WASHINGTON, 7 Février – Le Président Michel Martelly a délivré le mercredi 5 février à Howard University, à Washington, une véritable performance parce que se révélant en effet plus près de l’art de la scène que de la politique.
D’abord le scénario. Puis l’interprétation. Deux sans faute.
L’assistance, de jeunes étudiants, bon nombre d’ascendance haïtienne, était sous le charme. A la fin du spectacle, l’exclamation d’une demoiselle disait tout : ‘he is so cute.’ Il est si charmant !
Tel est l’adjectif qui convient en effet. Michel Martelly avait déployé tout son charme. Et c’est aujourd’hui son arme de choc. Laissant le vilain petit garçon dénommé ‘Sweet Miky’ au vestiaire, c’est aujourd’hui le monsieur bien sous tous rapports qui vous ferait acheter n’importe quoi sans en avoir besoin. Et cela s’appelle la communication politique.
Surtout quand c’est desservi par un texte comme celui qui lui avait été préparé pour la soirée de Howard University.
Une pincée d’histoire générale, une bonne connaissance de son public et des sentiments capables de le toucher et surtout un sens de la progression dramatique. Et le tour est joué. Mais surtout un ‘performer’ de métier. C’est le cocktail parfait.
Tout d’abord commencer par remonter le moral, chatouiller l’orgueil de nos jeunes expatriés perdus dans ce grand monde universitaire, cette ‘Mecque’ (dixit Michel Martelly) qui les écrase de tout son poids … eurocentriste !
Or qui existe lui aussi grâce à l’apport de certains grands cerveaux bien de chez nous qui s’appellent (nous citons) : ‘Jean-Baptiste Point du Sable, ‘un natif d’Haïti, qui est le fondateur de la grande ville de Chicago’ ; W. E. B. Du Bois, ‘un éminent Américain d’ascendance haïtienne’ ; Frederick Douglas, ‘un grand ami d’Haïti.’ Etc.
Comment ne pas gagner tout de suite la complicité de son auditoire quand celui-ci se voit attribuer de si glorieux antécédents, se sent aussi flatté même par personnes interposées !
Toucher le fond des consciences …
Puis le décor une fois planté, c’est tout de suite l’argument choc, l’arme absolue et un numéro que le chef de l’Etat haïtien semble avoir tant répété qu’il n’a aucun doute sur son impact : il s’agit du programme de scolarisation universelle gratuite. Près de 1.3 million d’enfants en âge scolaire qui se trouvent inscrits pour la première fois ; 329 salles de classe construites ; 125 écoles réhabilitées dont certaines avaient été détruites par le séisme de janvier 2010. Qui dit mieux !
Mais la propagande pure et simple est mauvaise conseillère. Au lieu d’une litanie de chiffres, il faut savoir aller plus au fond de la conscience de son public, à plus forte raison un public jeune, percer son intimité. Mélange de commisération et du désir naturel de participation.
Nous citons : ‘Je trouve inacceptable et honteux, dit Martelly, que des millions d’enfants haïtiens ne vont pas à l’école parce que leurs parents ne peuvent pas se le permettre. J’avais juré que si j’étais élu, j’affronterais ce défi comme le plus important du pays et que j’établirais l’éducation universelle gratuite pour tous les enfants en âge de l’école primaire.’
Texte bien chronométré …
La manœuvre est fort habile. En s’effaçant derrière le cliché des pauvres parents démunis, en adoptant le ton de l’humilité au lieu de crier partout victoire (comme le Martelly d’hier !), on a plus de chance de pouvoir faire mouche.
En effet, voici déjà dépassé le stade de la simple curiosité pour soulever l’intérêt. Et bientôt même une certaine passion. Tout cela à la faveur d’un texte calculé, bien chronométré, pour prendre au fur et à mesure toujours plus de vitesse comme un bolide de Formule 1.
L’orateur se fait de plus en plus hardi. Il joue sur du velours. Et peut tout oser sans la moindre hésitation. Oyez plutôt : ‘Nous travaillons dur pour donner à nos gradués de collège une raison pour rester en Haïti après l’achèvement de leurs études. Nous travaillons dur aussi pour donner aux Haïtiens étudiant à l’étranger une raison pour retourner dans leur pays.’
De mieux en mieux : ‘nous sommes très intéressés dans un partenariat avec Howard University pour créer des programmes d’échanges avec nos meilleures universités en Haïti et votre Ecole d’Education, Ecole de Droit, Collège de Médecine, Collège de génie, d’Architecture et de Computer Sciences.’
Fierté et commisération …
A ce moment le Président, pardon l’artiste, parait si maître du jeu qu’il n’a aucune difficulté à faire balancer son public dans le rêve. Et ça marche.
‘C’est une grande opportunité pour échanger des idées, collaborer dans des projets d’éducation innovants et mettre au point de nouvelles politiques.’
Vous rendez-vous compte. Ce n’est point le chef de l’Etat haïtien qui vient avec un chapeau faire la quête. Celui-ci nous apporte au contraire la fierté. D’être les fils et filles de grands hommes. Mais aussi, de pouvoir être utiles à notre pauvre pays d’origne sans devoir sacrifier nos propres connaissances. C’est un bon deal !
Le Président poursuit en leur racontant l’histoire des frères Taharka, de jeunes entrepreneurs venant de Baltimore, Maryland, pour ouvrir en Haïti une fabrique de crème à la glace avec du café, du chocolat et du sel produits par les paysans en Haïti.
‘C’est un exemple d’alliance économique que la nouvelle Haïti (avec accent sur ‘nouvelle’ bien sûr) attend de gens comme vous.’
‘Come and be part of the new and better Haiti we are building.’
La salle éclate alors en applaudissements à tout rompre. Un jeune collaborateur me demande si c’est bien cela qu’on appelle un ‘standing ovation’ ?
Mais bien sûr, mon vieux. Tout à fait !
Mais toujours le chaos vous rattrape …
Et voilà comment le Président Michel Martelly a conquis son public le mercredi 5 février à l’Université Howard, Washington DC.
Un texte bâti comme un scénario à suspense. Et un acteur qui semble y mettre toute son âme. A la fin on ne sait plus qui est qui ? De l’acteur ou de l’homme politique, lequel vient-on d’entendre !
Mais l’interrogation vaut aussi pour l’interprète lui-même. Derrière le tour de force, n’y a-t-il pas risque que le rêve l’emporte dangereusement sur la réalité ? De faire oublier momentanément l’existence du chaos d’Haïti. Car le chaos vous rattrape. Et sans tarder.
Le lendemain en effet, changement total de décor, alors qu’il entrait à la Maison blanche, à l’invitation du Président Obama, le chef de l’Etat haïtien était reçu par une trentaine de manifestants venus par autobus de New York, et dans un froid glacial, chahuter un autre artiste-président, un certain Sweet Miky. Et en exhibant une photo de ce dernier en petite tenue lors du carnaval du temps jadis.
Cependant les manifestants devant la Maison blanche étaient tous de vieux retraités, contrairement à l’assistance la veille à Howard.
Existe-t-il un conflit de générations ?
Toujours est-il que le plus calé de nos universitaires aurait-il été invité devant la même audience, que malgré un grand étalage de connaissances il n’aurait pas eu le même effet.
Si la politique est communication, comme on dit aujourd’hui, eh bien la communication a aussi son maître.
Marcus - Haïti en Marche, 7 Février 2014