Le duel Mulet – Préval !
MEYER, 18 Mai – Le film documentaire de Raoul Peck sur Haïti, ‘Assistance mortelle’, a une résonnance internationale.
En effet, il faudrait peut-être y rapprocher d’abord la décision d’une Représentante américaine, Barbara Lee, de déposer au Congrès un projet de loi pour monitorer l’aide américaine pour la Reconstruction d’Haïti au lendemain du séisme du 12 janvier 2010.
‘Assistance mortelle’ est une dénonciation du détournement des milliards de l’aide post-séisme par les puissances étrangères, et pour commencer les Etats-Unis, en consacrant les fonds à leurs besoins propres plutôt qu’au pays victime.
Cependant le film fait aussi une incursion dans le champ politique, histoire de prouver comment ces puissances établissent leur pouvoir de contrôle sur le reste de l’humanité.
Expédier en exil sur l’heure …
Et quel meilleur exemple que les dernières élections présidentielles en Haïti. D’autant que le réalisateur de ‘Lumumba’ a eu la primeur à ce sujet des premières déclarations publique de l’ex-président René Préval expliquant sans mâcher ses mots comment il a été menacé par l’ex-numéro 1 de la communauté internationale en Haïti, le canado-guatémaltèque Edmond Mulet, de l’expédier en exil sur l’heure, s’il s’opposait à la ‘volonté internationale.’
« J’ai reçu un appel de Mr. (Edmond) Mulet, qui était le chef de la Minustah, me disant : Monsieur le Président, c’est un problème politique, nous allons vous placer sur un avion et vous évacuer. »
A cela je lui répondis, poursuit René Préval : « Amenez votre avion, venez me chercher au Palais, passez moi les menottes et tout le monde verra que c’est un kidnapping. »
Démenti formel …
Edmond Mulet, aujourd’hui Secrétaire d’Etat adjoint pour les Forces de Maintien de la Paix des Nations Unies, apporte un démenti formel dans le Toronto Star, journal canadien.
« Je m’inquiétais que s’il ne mettait pas fin à la fraude électorale et aux émeutes, une révolution le forcerait à partir. Je n’avais ni la capacité, ni le pouvoir ni aucun intérêt à le mettre sur un avion. »
Le Toronto Star revient alors sur les élections du 28 novembre 2010 qui démarrèrent dans une atmosphère de pagaille. Les bureaux de vote étaient ouverts depuis quelques heures que 12 des 18 candidats à la présidence tinrent une conférence de presse improvisée dans un hôtel de la capitale (Karibe Convention Center) pour dénoncer les fraudes supposément en faveur du candidat du parti au pouvoir. En l’occurrence Jude Célestin, responsable d’un organisme gouvernemental de construction, et un proche de Mr Préval.
Tandis que des centaines de partisans d’autres candidats (principalement le populaire chanteur Michel Martelly) se rassemblaient automatiquement devant l’hôtel Karibe. Puis gagnaient les rues. Ce qui semble enlever à l’événement son caractère d’improvisation.
Le premier tour des élections se termina donc presqu’en queue de poisson.
Jude Célestin remplacé par Michel Martelly ! …
Quelques jours plus tard, le conseil électoral proclama les deux gagnants ou candidats appelés à aller au second tour.
C’était Mirlande Manigat et Jude Célestin.
Sur ce les émeutes recommencèrent encore plus violemment. Les principaux axes de la capitale furent fermés par des manifestants qui firent aussitôt le siège du conseil électoral (à Pétion-Ville) aux cris de Vive Michel Martelly ! Tandis que le siège du parti au pouvoir, INITE, fut incendié.
Réunion des ‘grands ambassadeurs’ (USA, Canada, Union européenne). On décida de recourir aux bons offices de l’Organisation des Etats Américains (OEA).
Celle-ci procéda à un semblant de recompte des votes. Puis conclut de remplacer Jude Célestin par Michel Martelly. Ce dernier devant donc affronter Mirlande Manigat au second tour.
« Pourquoi avoir des élections ? » …
Mais ce n’est pas fini. Préval dit qu’il fit venir alors Mulet au Palais. « Alors le problème est résolu ? »
Réponse du représentant des Nations Unies : « Non, il ne l’est pas. Si les résultats ne sont pas conformes aux recommandations de la mission Américaine nous ne les accepterons pas. »
Alors de poursuivre Préval : « Dans ce cas, pourquoi avoir des élections ? »
Cependant Edmond Mulet nie également cette version des faits. C’est lui au contraire qui aurait dit à René Préval : « Pourquoi avoir des élections si à la fin le président est élu par des moyens frauduleux ? »
Un long passé d’immixtion …
Mulet trouve aussi le moyen de manifester un certain racisme dans sa réponse au Toronto Star. Selon lui, le cinéaste Raoul Peck n’a pas échappé lui non plus à ce travers bien haïtien consistant à refuser toujours d’admettre ses erreurs. ‘Pa faute moi’. En français petit-nègre !
Cela parce que l’auteur du documentaire ‘Assistance mortelle’ est très critique pour les grandes puissances, notablement les Etats-Unis, qui ‘ont un long passé d’immixtion dans les affaires haïtiennes. Le pays a été occupé pendant 19 ans par les Marines (1915-1934). Plus près de nous c’est un avion militaire américain qui emmena en exil le dictateur Jean Claude Duvalier (7 février 1986). 18 ans plus tard, un autre avion fut envoyé par Washington pour évacuer Jean-Bertrand Aristide qui faisait face à une tentative de renversement (29 février 2004).’
Raoul Peck de commenter dans une interview au Toronto Star : « Vous avez un petit groupe d’ambassadeurs qui se considèrent comme les gouverneurs d’Haïti. Ce sont eux qui établissent la politique que le pays doit suivre. Ce sont eux qui créent les gouvernements. Ils préfèrent mettre en place un dictateur, pourvu qu’ils puissent contrôler le pays. »
‘Assistance mortelle’ ne précise pas quelles étaient les fameuses ‘recommandations’ américaines mentionnées plus haut. Mais le résultat final fut l’élection du chanteur Michel Martelly face à Mirlande Manigat.
Et les protestations de la communauté internationale s’arrêtèrent pile. Ainsi que les émeutes.
Et la suspension des visas ! …
Revenons un peu sur les démentis de Mr. Edmond Mulet. Si aucun avion ne fut envoyé pour embarquer le président Préval, par contre la répression contre le parti au pouvoir, INITE, n’avait pas tardé. Le visa d’entrée aux Etats-Unis de tous les cadres du parti et organisateurs de la campagne de son candidat, Mr Jude Célestin, a été instantanément révoqué. Et l’information répercutée dans la presse par les officiels américains. En même temps que la rumeur courut que les visas du président Préval, de son épouse et de ses filles allait être aussi suspendu.
On ne saurait donc être plus clair !
Et tout sera rétabli après la victoire de Michel Martelly. Sans plus d’explications.
Les torts de René Préval …
Mais René Préval de son côté sort-il tout blanc de ces événements ?
N’a-t-il pas commis des erreurs graves ?
Probablement.
D’abord son refus d’endosser assez clairement ‘son’ candidat, le directeur de l’office gouvernemental de la Reconstruction (CNE), et homme d’affaires, Jude Célestin.
Préval a trop longtemps tergiversé, joué avec les ambitions des uns et des autres. Tantôt la rumeur voulut que son choix pourrait être le premier ministre Jean Max Bellerive, tantôt son épouse, Elizabeth Débrosse Delatour Préval … Et même en dernier lieu, l’ex-première dame, Mirlande Manigat.
Peu avant les élections, il convoqua une conférence de presse pour (nous) déclarer verbatim : « Le président n’a pas de candidat. »
Oui, c’est ce qu’il a voulu éviter. Paraître endosser ouvertement la candidature d’un poulain. Afin justement d’éviter les réactions négatives de ladite communauté internationale. Mais ce qui eut comme première conséquence de limiter considérablement la marge de manœuvre du candidat de son parti, Mr Jude Célestin.
Les grandes puissances n’ont pas d’amis …
Bref Préval est tombé dans le piège qu’il avait voulu éviter. Puisque Edmond Mulet n’a pas ce genre d’état d’âme. Pour lui, le scénario est simple : Préval voulait faire gagner son candidat par la fraude. Alors que lui avait pour mission de faire réussir, voire imposer et si nécessaire par tous les moyens, le candidat de la communauté internationale.
Et de toute évidence, Michel Joseph Martelly.
Rappelons que Préval lui-même s’était trouvé dans un cas de figure similaire : face à une forte contestation de sa pré-victoire aux présidentielles de 2006, et que c’est une sortie massive des troupes Lavalas qui rétablit la situation en sa faveur.
Mais pendant son mandat il devait barrer la route à Lavalas aux élections. Dans quel but ? Est-ce pour avoir lui-même le contrôle de la rue ? On en doute.
Et d’ailleurs, 5 ans plus tard, lors des présidentielles de 2010-2011, ce sont les forces pro-Martelly (ou plus exactement celles mobilisées par la communauté internationale !) qui prirent ce contrôle.
Même si moins de la moitié du corps électoral de 4 millions se rendit aux urnes.
‘Assistance mortelle’ c’est aussi échec et mat pour René Préval !
L’occasion aussi de se rappeler que les grandes puissances n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts.
Haïti en Marche, 18 Mai 2013