MEYER, 16 Août – 14 Août 2013, 222e anniversaire de la Cérémonie du Bois Caïman, que les Haïtiens honorent comme l'acte fondateur de leur indépendance, le 1er Janvier 1804, mettant fin à l'esclavage de l'homme noir sur la terre de Saint Domingue, colonie de la France, et créant la première république noire du monde.
Ils étaient cependant à peine quelques centaines au pied de la statue équestre du Libérateur, le général en chef de l'armée indigène, Jean-Jacques Dessalines, dominant puissamment le Champ de Mars, plus grande place publique du pays.
Oui, à peine quelques centaines car l'événement ne donne lieu à aucune manifestation officielle.
Justement cette année encore le message du chef de la religion Vodou ou 'ati', l'anthropologue Max Beauvoir, c'est la réclamation que le 14 Août soit déclaré jour férié et honoré comme tel.
Comme par ironie, le lendemain 15 août est jour de congé national, la fête catholique de Notre Dame.
'Vivre libre ou mourir' ...
Pourtant peu d'Haïtiens qui contesteraient le symbolisme du Bois Caïman. On apprend depuis sa plus tendre enfance que le 14 Août 1791, deux ans après la Révolution française, des esclaves se réunirent en cachette dans ce lieu perdu de la Plaine du Nord, sous la direction d'un prêtre Vodou dénommé Boukman, et jurèrent de mettre fin à l'esclavage aux cris de 'Vivre libre ou mourir' et que jamais plus un habitant de cette terre ne baissera la tête devant quiconque.
La révolte, comme celles qui s'ensuivront, fut réprimée. Mais treize années plus tard, le 1er Janvier 1804, le corps expéditionnaire napoléonien fut vaincu.
Et naissait la République d'Haïti.
Si le reste c'est à l'avenant, mais comme dans un scénario où chacun y met du sien, chaque génération, chaque catégorie, selon ses intérêts du moment, par contre un leitmotiv ne se dément jamais, c'est le fameux 'vivre libre ou mourir.'
Toute une conception du monde ...
Pourquoi le Vodou ? Et si une religion autre que le Vodou avait présidé à la Cérémonie du Bois Caïman, est-ce que l'Histoire d'Haïti eut été différente ?
Il arrive que le Vodou soit né dans l'enfer qu'a été la colonie française de Saint Domingue, surnommée en France : La Perle des Antilles (bien sûr à quel prix !) et que c'est lui, et non le Christianisme qui leur a été officiellement inculqué, qui les a accompagné sur les chemins de la Liberté.
Il arrive que le Vodou (et il n'est probablement pas le seul à cet égard) n'est pas seulement un cérémonial, un ensemble de formules sacramentelles, mais c'est toute une conception du monde et de ses différentes représentations. Au propre comme au figuré.
Et c'est fortement évident, ce 14 Août 2013, au pied de la statue du Libérateur - pris au sens Vodou, c'est à dire qui ouvre toutes les barrières et conduit son peuple vers la terre promise mais non encore atteinte ni réalisée. Religion par conséquent hautement politique. Malgré elle.
Une âme Vodou ? ...
Mais la foi ne saurait faiblir car qu'ils soient à peine quelques centaines, et serait-ce quelques dizaines, qu'ils sont la représentation la plus emblématique de ce qu'est l'Haïtien.
Ainsi nous dansons, marchons Vodou, nous mangeons, buvons Vodou, c'est aussi notre pharmacopée, notre dernière ligne de défense face à l'insécurité alimentaire, notre littérature bien sûr.
Si toute notre représentation du monde est Vodou, il doit donc exister une pensée Vodou. Conclusion : avons-nous une âme Vodou ?
Et c'est là ce qui fait problème.
La deuxième revendication de ce 14 Août 2013, à part que cette date soit déclarée jour férié, c'est la dénonciation des persécutions de la part de sectes protestantes qui nous viennent du grand Nord ( !).
On sait que celles-ci sont engagées dans une furieuse campagne religio-impérialiste dans les pays du Sud. Comme l'a aussi dénoncé le nouveau Pape, un natif d'Argentine, lors de son voyage le mois dernier au Brésil, actuellement le plus grand pays catholique.
Il y a quelques années, elles (ces sectes) ont livré bataille, physiquement, aux adeptes du Vodou sur le site même du Bois Caïman.
Après que certains historiens étrangers eurent prétendu, dans une première étape, qu'aucun endroit dénommé Bois Caïman n'a jamais figuré sur la carte saint-domingoise.
Pourquoi vouloir faire disparaître le Bois Caïman ?
Suivez mon regard. C'est une suite logique (dans leur logique à eux, bien sûr).
Peut-on tuer le Vodou sans tuer l'Haïtien ... et vice versa ?
Nier le Bois Caïman, c'est banaliser le Vodou, rejeté ainsi au rang de vulgaires maléfices incapables de pareil fait de gloire comme mener un peuple à son indépendance. Y compris Dessalines considéré dans le panthéon Vodou comme l'équivalent d'un Moïse haïtien (sinon afro-américain), mais qui dans l'histoire occidentale est décrit comme un assassin de blancs.
Après la trahison dont son chef, Toussaint Louverture, a été victime (celui-ci mourra en exil en France), il en conclut que la seule façon de mettre fin définitivement à l'esclavage, c'est tuer tous les esclavagistes.
Mais peut-on tuer le Vodou ?
Question tout à fait futile. Le Vodou n'étant pas seulement une religion mais une présence au monde.
Comme cela s'évidente au Champ de Mars, au coeur de Port-au-Prince, ce 14 Août 2013.
Chaque couleur, chaque pas de danse, chaque nœud de foulard, chaque battement de tambour, chaque dégaine se reflète dans notre comportement. Au quotidien.
Tuer le Vodou c'est un non sens car il faudrait tuer l'Haïtien.
Justement. Tuer une partie de lui. Son âme !
Le reste, chacun comprendra de lui-même.
'Yo banm yon ti kout pye, mwen vin tonbe la a.'
Marcus - Mélodie 103.3 FM, Port-au-Prince