PORT-AU-PRINCE, 10 Mars – La grève des transports, le lundi 9 mars, n'a pas eu le succès escompté. La capitale a fonctionné. Même au ralenti. Cependant au regard des deux exercices précédents, les 9 et 10 février, qui avaient eu un tel retentissement, les organisateurs eux-mêmes ont compris, disons, la nécessité de rectifier le tir. Aussi ont-ils appelé à l'annulation de la deuxième journée et demandé à leurs confrères transporteurs de reprendre le travail le lendemain mardi 10 mars.

Evidemment ils l'ont consenti de mauvaise grâce, lançant des accusations à tort et à travers. Allant jusqu'à accuser les médias d'être de mèche avec le gouvernement, quand ces derniers se sont contentés, tout comme la première fois, de faire leur travail : rapporter tout simplement ce qui se passait dans les rues.

Non, ce qui a joué contre la grève de ce lundi c'est le poids du facteur économique.

La grève est une arme à double tranchant. Elle agit en conjonction étroite avec la réalité économique. Depuis les débuts de l'industrialisation, l'arme du patronat a toujours été d'attendre tranquillement que l'ouvrier en grève arrive à la fin du mois où il est talonné par des besoins urgents : le budget familial, le loyer, l'écolage etc.

Voilà justement le pourquoi des caisses d'assurances syndicales, c'est pour aider le travailleur à pouvoir continuer à faire face.

L'appel à la grève des transporteurs haïtiens semble n'avoir fait aucun cas du fatum économique.

 

Et c'est là une erreur impardonnable. Le mouvement n'a pas perdu de son intérêt pour les secteurs visés (comment ceux-ci pourraient-ils refuser une augmentation de leur pouvoir d'achat, autrement dit d'ajouter un 'tchotcho' à leur portefeuille s'ils peuvent payer moins cher le carburant), mais c'est la programmation qui a pêché.

Combien gagne le conducteur de taxi ou de tap tap par jour ? Combien qui ne sont pas propriétaires du véhicule et qui doivent accomplir suffisamment de courses pour qu'il leur reste quelque chose à rapporter à la maison ?

Bien que ces données soient familières aux organisateurs de la grève, elles semblent n'avoir pas été suffisamment prises en compte.

Pourtant le dossier est bien défendu, la cause est juste (comment en effet peut-on charger 4 à 5 fois plus cher en Haïti la gazoline qui est en baisse partout dans le monde – le gouvernement vient de souligner par communiqué une légère remontée des cours internationaux).

Aussi les deux premières journées de grève, les 9 et 10 février, avaient-elles été suivies de manière spontanée.

Mais un mois plus tard, le mouvement n'a plus la même fraicheur. Les gens ont eu le temps de (trop) réfléchir. Ou plutôt l'habitude prend le pas. Ou pis, la résignation.Souvenez-vous des patrons d'autrefois attendant tranquillement la fatigue et l'angoisse des fins de mois sans pain.

Le gouvernement ne fait pas différemment.

La grève demande alors pour réussir un supplément d'organisation. De méthode.

Une grève en début de mois (9 et 10), sauf à bénéficier d'un moment particulièrement enthousiaste comme les 9 et 10 février derniers, se trouve en porte à faux avec les nécessités correspondant à cette période particulière du mois où les parents, enfin tous ceux qui ont charge d'âme, ont plein de responsabilités dont ils doivent s'acquitter.
D'autant plus dans une économie totalement moribonde qui fonctionne (ou ne fonctionne même pas) au jour le jour mais au petit bonheur la chance. 'Si bon Dye vle.'

Et il n'y va pas que du conducteur de taxi, de tap tap ou de mini bus. C'est le sort aussi des petites et moyennes entreprises pour lesquelles une journée fermée, si l'on peut dire, ne se rattrape guère.

Les politiques peuvent se moquer de ces données essentielles et continuer à protester et à manifester comme et quand bon leur semble, cependant leurs actions ne dérangent pas forcément les activités générales dans la cité. Celles-ci sont toujours bien circonscrites, est-ce que eux-mêmes ne prennent pas sagement la précaution de toujours publier à l'avance le parcours de leurs manifestations !

Aussi est-ce une grande erreur de la part des syndicats de transport de se laisser récupérer leur cause par des secteurs politiciens.

Dès lors c'est la confusion. Le temps politique et le temps syndical ne sont pas les mêmes.

La politique est tactique, s'adapte selon les circonstances du moment. Le syndical est plutôt stratégique. Doit savoir bien choisir son moment pour ne pas entrainer la fatigue, voire le découragement chez le syndiqué. D'autant plus quand il s'agit d'une relation informelle.

Ce n'est pas parce que nous fonctionnons tous dans le vide, dans un pays en chute libre, que tout est facile.

En tout cas, en Haïti comme ailleurs, il y a des impondérables qui rythment la vie de tout un chacun. Des charges auxquelles aucun de nous ne peut échapper. Et que tous les acteurs généralement quelconques se doivent de prendre en compte dans leurs calculs et leur stratégie.

Les politiciens, qu'ils soient du pouvoir ou de l'opposition, ne semblent pas trop s'en faire.

Les syndicats auraient tort de suivre le même chemin. Parce que les demandes qu'ils adressent aux populations pénètrent beaucoup plus profondément leur existence réelle. Leur primum vivere.

Les syndicats peuvent faire cause commune avec les organisations politiques, oui mais dans des cas bien particuliers. Un grand moment révolutionnaire. 'Peuple, je vous ai compris !'

Mais ce grand moment ne peut être trop anticipé non plus.

Mélodie 103.3 FM, Port-au-Prince