Réconciliation oui mais …
MIAMI, 14 Mars – La situation s’aplanit entre la République dominicaine et Haïti. Lors d’une seconde rencontre vendredi à Jimani (ville frontalière, voisine de Malpasse), après des premiers contacts à la faveur d’un mini-sommet des pays de l’Amérique au Guatemala, les chanceliers dominicain Andres Navarro et haïtien Duly Brutus ont mis en place un plan pour la réouverture immédiate des 5 consulats dominicains en Haïti avec la garantie pour leur sécurité et la protection du personnel diplomatique, cela grâce au concours de la mission onusienne de maintien de la paix, Minustah.
La partie dominicaine a semblé assouplir sa position. Après avoir parlé d’exiger ‘des excuses publiques’ pour la violation de leur consulat à Port-au-Prince (Pétionville), avec le drapeau dominicain brûlé sur la voie publique par des haïtiens protestant contre les persécutions racistes dont est victime la communauté haïtienne dans le pays voisin, et particulièrement contre la pendaison publique d’un jeune ressortissant haïtien dans la ville de Santiago, le chef de la diplomatie dominicaine est revenu sur ces ‘menaces’ (du genre ‘notre patience a des limites’) pour faire des propositions plus raisonnables. La réouverture des consulats, qui a été la mesure la plus extrême prise par le gouvernement du président Danilo Medina, contre la promesse haïtienne d’assurer la protection du personnel diplomatique dominicain, avec en sus la garantie des Nations Unies.
Grands groupes commerciaux dominicains …
Comment les consulats sont-ils devenus le nœud du problème ?
Parce que leur fermeture touche directement aux intérêts des grands groupes commerciaux dominicains … et aussi haïtiens.
Ceux-ci avaient tôt fait de protester qu’ils sont les seuls perdants dans une crise dont les véritables protagonistes sont des ‘petits groupes d’ultra-nationalistes’ qui tirent les ficelles dans une nation comme dans l’autre.
Ce qui du coup ramène les dirigeants du pays voisin à la réalité. La République dominicaine exporte pour près de 2 milliards de dollars l’an en Haïti tandis que nous peinons à leur vendre pour quelques dizaines de millions.
Un peu d’eau dans le rhum punch …
On pense aussi qu’il y a eu quelque pression internationale très discrète mais capable de convaincre les deux capitales à mettre un peu d’eau dans leur rhum punch.
Du côté haïtien on est certain que la tension ne va pas tarder à quasiment disparaître, n’ayant été qu’un contrecoup aux événements sanglants et insultants (drapeau haïtien livré au feu) qui se sont produits précédemment dans le pays voisin, un ras le bol face aux persécutions contre les nationaux haïtiens, tandis que de l’autre côté ce n’est pas pareil.
En effet la pression ne va pas cesser sur le gouvernement du président Danilo Medina de la part des politiciens qui se servent de l’anti-haïtianisme comme cheval de bataille aux élections. Les prochaines présidentielles auront lieu en 2016.
‘J’embrasse mon rival mais ‘ …
Les articles pleuvent à nouveau dans la presse dominicaine. L’angle choisi cette fois est celui de la commisération. Objectif : convaincre la communauté internationale de la pauvreté, qui pis est du sort misérable d’Haïti, et que c’est à elle de lui prêter une main secourable car la République dominicaine ne peut pas faire davantage. Cela nous vaut un titre comme ‘La République dominicaine est aussi un pays pauvre mais Haïti est plus que pauvre.’ En un mot, c’est un pays qui a mal tourné, en tout, bref un pays foutu !
Cette forme de pratique indirecte de l’anti-haïtianisme, selon le mot : ‘j’embrasse mon rival mais c’est pour mieux l’étouffer’ nous ramène, comme le dénonçait une pétition signée récemment par plusieurs dizaines de citoyens haïtiens, à un certain ex-président Leonel Fernandez.
Celui-ci s’est fait une image de défenseur de la cause haïtienne sur la scène internationale. Partout appelant à considérer le relèvement d’Haïti comme un devoir pour la communauté internationale.
A la faveur du séisme …
C’est le même président Fernandez qui, comme aime à le rappeler (un peu innocemment !) le président haïtien René Préval, fut le premier à débarquer à Port-au-Prince peu de jours après le séisme qui détruisit la capitale haïtienne, le 12 janvier 2010, faisant des centaines de milliers de morts et plus d’un million de sans abris.
Comme de juste c’est en République dominicaine, dans l’enclave touristique de Punta Cana, que se tint la plus importante rencontre internationale sur l’aide à la reconstruction d’Haïti - après celle de l’ONU (New York).
C’est le même président Leonel Fernandez qui conçut le projet de doter Haïti d’une université moderne (l’Université du Roi Henry, à Ouanaminthe, ville frontalière) qu’il fera financer par les milieux d’affaires dominicains impliqués dans le commerce avec Haïti.
Plus de 300 millions de dollars …
Et donc comme de juste c’est un proche de l’ex-président Fernandez (soulignons que celui-ci compterait briguer à nouveau le pouvoir pour un 4e mandat), le sénateur Felix Bautista, le magnat d’un grand groupe d’entreprises de construction, qui obtiendra le plus grand nombre de contrats pour la reconstruction en Haïti.
Actuellement ce dernier est sous une investigation pour corruption et détournement de fonds, y compris des fonds de l’aide humanitaire à Haïti.
En même temps, les projets de reconstruction en Haïti qui avaient été accordés à son groupe, sont tous suspendus.
Evidemment les articles paraissant cette semaine dans la presse dominicaine pour pleurer (plutôt hypocritement) les malheurs d’Haïti se gardent bien de parler de cet épisode de la disparition de plus de 300 millions de dollars pour des projets post-séisme dans les caisses des milieux de pouvoir de Santo Domingo, le sénateur Bautista étant un grand pourvoyeur pour le parti du président Fernandez, le PLD, Parti de la Libération dominicaine.
A qui le crime profite ? …
Or pour conserver la majorité politique, le PLD s’est affilié à la droite la plus anti-haïtianiste. Ce qui nous donne le même discours mi-figue mi-raisin du président Fernandez sous une forme plus terre à terre. D’où la situation qui a régné, avec une chasse à l’homme de plus en plus frénétique contre les ressortissants haïtiens, avant le déclenchement des derniers événements qui mettront à un moment presque face à face les populations de deux pays.
Expulsions plus massives que jamais d’immigrants haïtiens d’un côté, de l’autre travailleurs dominicains traversant en toute hâte la frontière à cause de menaces de la part de leurs voisins haïtiens.
Reste la menace du président Danilo Medina qui, sous la pression des circonstances, a déclaré qu’il ne prolongera pas le délai accordé aux sans papiers (haïtiens presque dans leur totalité) pour s’inscrire à un plan de régularisation (qui devrait être au moins un équivalent du TPS américain ou statut de protection temporaire accordé par un arrêté gouvernemental).
Le président Medina a été aussitôt pris à partie par les organisations régionales et continentales (Caricom en tête).
Chair à canon pour les besoins idéologiques …
Quelque soit la façon dont il se termine, cet épisode ne va pas mettre fin à la question fondamentale : l’utilisation d’une façon ou d’une autre éhontée de la main d’œuvre haïtienne par les capitalistes et les politiciens de la république voisine.
Cela depuis le dictateur Trujillo, celui-ci arrivé au pouvoir avec la fin de l’occupation américaine de la partie orientale d’abord (1916-1924), puis de la partie haïtienne (1915-1934), entretemps imprimant à l’île entière ce qui va constituer son système de production. Les grandes entreprises installées chez nos voisins, tandis que Haïti fournit la main d’œuvre abondante et à meilleur coût que la force de travail locale.
En même temps se greffe une nouvelle approche au plan politico-idéologique. Est-ce pour couper l’herbe sous le pied à la forte implantation de la gauche marxiste qui, au lendemain de la mort du dictateur Trujillo, a même valu au pays une nouvelle intervention militaire américaine mais cette fois sous la bannière de l’OEA (1965), désormais le même immigrant haïtien qu’on laisse volontiers entrer comme main d’œuvre corvéable à souhait, jouera aussi le rôle de chair à canon pour les besoins idéologiques de la politique électorale.
Le même président Balaguer (qui a totalisé plusieurs mandats et que le président Fernandez semble vouloir émuler) qui a été le premier dénonciateur attitré de ‘l’invasion tranquille haïtienne’ est celui qui, de connivence avec la dictature Duvalier, a facilité la réimplantation d’une communauté immigrante haïtienne (la première ayant été décimée par les Vêpres haïtiennes, plus de 30.000 Haïtiens poursuivis et assassinés jusqu’à la Rivière Massacre, qui délimite la frontière, d’ordre de Trujillo).
Tant qu’on a besoin du concours des immigrants haïtiens pour une grande tâche économique, les ultra-nationalistes se taisent ; à l’approche des élections, le vilain immigrant revient.
Mais cette fois la coupe semble avoir débordé. Nos voisins craindraient-ils d’être bientôt touchés également par la crise économique ?
Ou par quelque menace du même genre avec le rapprochement entre les Etats-Unis et Cuba ?
(Voir dans notre précédente édition l’article ‘Et si les Dominicains avaient raison !’)
Marcus – Haïti en Marche, 14 Mars 2015