PORT-AU-PRINCE, 28 Février – Les gouvernements passent, les problèmes restent. Et quand la misère devient trop aigue comme aujourd'hui, alors les jeunes, les plus profondément atteints parce que c'est leur avenir qui est hypothéqué, deviennent incontrôlables et ils cassent tout.

Mais ceci est d'abord le propre d'une société qui fonctionne (ou qui ne fonctionne pas parce que) sans gouvernail, sans but. Sans un projet.

Bientôt des élections pratiquement générales même si elles interviendront en deux ou en trois temps, aucun parti ni candidat qui pense à faire connaître véritablement au grand public son programme de gouvernement au cas où il remporterait la victoire.

La bataille électorale est vécue plutôt comme un match de boxe sans règlements véritables, c'est-à-dire où tous les coups sont permis.

Dans le même temps le pouvoir n'a qu'une préoccupation : ne jamais manquer de gaz lacrymogènes et de balles en caoutchouc pour contrer les manifestants.

La seule réponse officielle c'est la répression. Or celle-ci n'a toujours débouché que dans une impasse : soit la dictature, soit la pagaille. Donc toujours à recommencer !

Pour la bonne raison que les décideurs haïtiens ont une mentalité paternaliste du pays, quasiment méprisante. Le peuple est un mineur, c'est l'imbécile qui attend. Trop bête pour comprendre. Et quand il proteste, c'est le bâton, un point c'est tout.

Alors que dans maints cas, la solution peut être trouvée dans un projet, avec un grand P, autrement dit qui puisse si ce n'est réunir, interpeller toute la nation. Du moins, la grande majorité. Le reste a alors beaucoup de difficulté à vouloir tout casser parce que, c'est presque tout le pays qui a trop à perdre.

 

Mais si tous ont le même sentiment, qu'on ne nous mène nulle part, voire que les dirigeants nous mènent en bateau c'est à dire ne font que nous rouler, nous tromper, alors 'détruire, dit-il', ou pire encore : 'La prochaine fois, le feu' comme ce titre d'un film sud-américain de la période révolutionnaire dans cette partie du continent (les années 1960).

Aujourd'hui plus que jamais, notre pays a besoin de se définir un tel projet, un instrument qui puisse nous diriger vers un avenir autre, et de toutes façons, meilleur. Lentement, avec les moyens du bord certes, mais sûrement.

Qui soit un guide, une boussole. Mais aussi et surtout un levier, un moyen d'action (au singulier et au pluriel). Autour duquel, tout puisse être coordonné. Entre autres, de nouveaux domaines où ces étudiants qui se sentent si abandonnés, qui sont si désespérés, ont plus de chance de se construire un avenir meilleur, tout en faisant avancer l'agenda national car l'individualisme forcené (du genre capitalisme sauvage que certains glorifient comme la solution du moment) n'est pas non plus la réponse à la désespérance vécue dans pratiquement toutes les catégories sociales du pays.

Oui, un tel programme existe dans le pays, mais il n'est pas nôtre. C'est, par exemple, ce qu'on appelle 'les objectifs du Millénaire pour le développement', un instrument par lequel les Nations Unies mesurent l'impact de l'assistance internationale sur le développement national des pays en question.
Au pire, c'est notre fameux slogan : 'Haiti is open for business'. Mais que seul le business international a le droit de comprendre. Les nationaux n'ont qu'à attendre. Et se taire.
Or 'open' devrait signifier où les opportunités existent pour tout le monde, d'autant plus quand c'est le bien public, le patrimoine national qui est mis sur le marché. (Et non comme le montre ce grand reportage de Paris Match sur l'exploitation sauvage des mines d'or dans le Nord-est du pays). Et 'business' pour être conséquent, c'est d'abord qu'il ne soit pas permis aux mafias et aux corrupteurs de se mettre en bande afin de ruiner les honnêtes citoyens, comme on le devine en train de se faire en ce moment dans maints secteurs du pays.
Mais les décideurs haïtiens se fichent encore plus de donner au pays un tel instrument autour duquel pourrait se faire même un minimum de consensus, qu'ils abandonnent cette tâche à l'étranger.

Nous avons entièrement capitulé. 'Blan an di ou mouri, mon chè ou mouri.' C'est à l'étranger de nous fixer la voie à suivre. Que pouvons-nous ? Nous n'avons aucun moyen, vous dit-on. Voilà le credo de ceux qui prennent les décisions pour notre pays, pour nous tous.

Et comme ce dernier (l'étranger), serait-ce pour des raisons stratégiques, mais des raisons qui n'appartiennent qu'à lui – se refuse à dire quoi que ce soit, reste motus et bouche cousue sinon pour nous raconter des bobards, alors on continue de plonger tête baissée dans le néant. Dans l'inconnue.

Et nos élections de continuer sur le même modèle : on prend les mêmes, et on recommence !

Tandis que l'étudiant continue à se repasser ce vieux film des années 60 : 'La prochaine fois, le feu !'

Haïti en Marche, 28 Février 2015