L’événement qui peut tout changer

CEH : Objectif Dialogue

EL RANCHO, 24 Janvier – L’un des plus beaux traits de notre tempérament à nous, Haïtiens, est la possibilité d’y croire toujours et toujours. C’est le principe même de ce qu’on appelle le merveilleux haïtien. Et qu’un autre a traduit : le peuple qui chante et danse sa misère.
Eh bien, ceci dit sans idées préconçues, c’était à l’œuvre vendredi lors de la rencontre conviée par la CEH (Conférence Episcopale d’Haïti), c’est à dire la hiérarchie catholique, dans un grand hôtel de Pétionville (El Rancho), dans le but de rechercher, avec la classe politique toutes étiquettes confondues, un consensus autour d’un projet de Dialogue Politique, dont la CEH propose d’assurer la médiation.
Cela sous l’œil de tous les autres secteurs et entités du pays généralement quelconques, servant d’observateurs. Et dans un schéma proactif, ou chacun peut intervenir, mais dans un cadre discipliné préétabli et avec respect l’un de l’autre.

Décennies perdues …
Mais comment ne pas, malgré tout, penser à tant de décennies perdues en guérilla politique futile et improductive qui a mis notre nation aujourd’hui pratiquement au ban de la modernité et du développement. Cette initiative peut-elle être une baguette magique qui va tout changer ? Ou serait-ce une nouvelle fois uniquement de beaux discours ? ‘Epi, epi anyen.’ Des mots, rien que des mots !


Et pourtant, c’est l’autre visage de Janus de nous Haïtiens. Comme Sisyphe sur son rocher. Aucun respect humain qui nous fasse répugner à reprendre le même effort, le même parcours. Mais on aurait souhaité : pas dans les mêmes sentiers battus et rebattus. En tout cas, quand on est le dos au mur, il ne reste plus qu’à regarder vers l’avant. Comme la Scarlett de ‘Autant en emporte le vent’ pour qui : Demain est toujours un nouveau jour.

Dessalines et Pétion ! …
Et celui-ci se présente ce vendredi 24 janvier avec l’assurance tranquille du premier cardinal haïtien nommé par le Vatican. Le jeune évêque haïtien (55 ans), Mgr Chibly Langlois, que le Pape François vient d’élever à la pourpre cardinalice.
Comme dans le théâtre classique, un seul événement accompli semble conditionner tout le reste. Merci le Pape !
Le décor : une colombe (le Saint Esprit) ; le vocable : l’unité ou en créole ‘Tèt ansanm’, et une fillette (10 ans) pour lire l’acte de convocation. Une véritable mise en demeure au nom des générations futures.
La cérémonie se terminera en entonnant des chants religieux. D’abord catholique. Puis oecuménique.
Mais l’hymne national sera chanté en deux couplets plutôt qu’un.
Et dans son message, le président Michel Martelly fera appel d’abord au Bois Caïman, où l’esclave et futur citoyen haïtien jura de vivre libre ou mourir, et au congrès de l’Arcahaie (18 mai 1803) qui créera le drapeau noir et rouge, le rouge pour l’autre composante de la population, le mulâtre. Dessalines et Pétion !

Pas de cadeau …
Le premier intervenant a été, comme il se doit, le Cardinal désigné, Mgr Chibly Langlois, qui dit l’espoir de l’Eglise que cette tentative de médiation dont elle a accepté de prendre la paternité, ne sera pas perdue.
Puis ce fut comme porte-parole des partis politiques, l’ex-sénatrice et secrétaire générale de la Fusion des socio-démocrates, Madame Edmonde Supplice Beauzile.
Discours-bilan des nombreux soubresauts qui ont marqué l’année politique 2013 : non organisation des élections en suspens depuis 2011, interminables querelles entre les pouvoirs exécutif et législatif. L’oratrice ne fait de cadeau à personne. Aux parlementaires, elle reproche de mettre trop souvent les intérêts partisans avant l’intérêt national. (On remarque justement l’absence dans la salle du président de l’Assemblée nationale, le sénateur Simon Dieuseul Desras, et cette absence ne semble pas jouer en sa faveur. Du moins sur le moment …).
Le sénateur Desras est membre de Fanmi Lavalas, le parti de l’ex-président Jean-Bertrand Aristide, qui n’a pas répondu à l’invitation de la CEH, tout comme un autre mouvement formé de partis et d’organisations de l’opposition la plus radicale ou MOPOD.
Mme Beauzile n’oublie pas de mentionner en passant ceux-là qui ne veulent aucun dialogue mais n’ont encore proposé aucune alternative véritable. Mais en ajoutant que c’est là plutôt de sa part un appel à se joindre au mouvement.

Fanmi Lavalas et MOPOD …
Tandis que le président Martelly est accusé par la porte-parole des partis politiques d’avoir voulu diriger le pays en dehors des lois. Exemples à l’appui. Mais c’est pour gratifier aussi le chef de l’Etat de la récente publication de la loi sur les partis politiques, ainsi que du respect du mandat du deuxième tiers du Sénat, ces derniers restant en fonction en attendant la réélection du premier tiers.
Pour terminer en disant que son message ne se veut pas un verdict de tribunal mais plutôt commencer à paver la voie du Dialogue.
Le sénateur Steven Benoit a pris la parole au nom du pouvoir législatif pour principalement insister sur l’invitation aux organisations qui ne l’ont pas encore fait, principalement Fanmi Lavalas et MOPOD, à rejoindre le processus. Une énième tentative, dit-il, de reprendre en main notre destin. Et sans paternalisme international. Mais un dialogue inter-haïtien. Yes we can !

C’est le Martelly nouveau ! …
Quant au président Michel Martelly, il a refait la surprise du 2 janvier 2014. Comme on le dit du vin beaujolais, c’est le Martelly nouveau !
Oyez plutôt : ‘Je (continue) à privilégier la voie de la concertation avec nos chefs de partis politiques. Les partis politiques sont des éléments clés de notre système politique. Ainsi les élus devraient provenir des partis politiques – par le jeu d’élections claires et honnêtes.’
Mais c’est pour préciser avec encore plus d’évidence : Des échéances électorales arrivent cette année. Nous dépendons des partenaires internationaux pour le financement de nos élections. Or celles-ci accusent à chaque fois un taux de participation encore plus bas : 23% en 2011 (quand Michel Martelly lui-même a été élu) comparé au taux record de plus de 60% aux élections générales de 1990 (quand Lavalas-FNCD rafla la presque totalité des postes électifs). Mais cette dernière coalition ne tarda point à éclater. Avant même l’investiture du président élu. Et faut-il rappeler que ce sont ces déchirements qui occasionneront en partie le terrible coup d’état militaire de septembre 1991.

‘Des citoyens socialisés et imprégnés de la culture démocratique’ …
Selon le président Martelly, l’amélioration du climat politique, comme gage de stabilité et progressivement de progrès général, doit immanquablement passer aussi par un plus grand fusionnement ou rationalisation des différentes tendances. Moins de partis = classe politique plus cohérente. Parce que, une des premières conséquences de cet émiettement quasi anarchique, c’est qu’aujourd’hui à peine le quart des élus sont membres d’un parti politique. D’où le risque d’un personnel politique toujours de moins en moins qualifié.
Avec conséquence immédiate sur l’alternance démocratique. Ce ne sont pas seulement les élections qui peuvent garantir cette dernière si les partis ne sont pas en état de se succéder valablement au pouvoir.
Pour le chef de l’Etat, un tel débat se doit de proposer aussi des modifications aux partis politiques, afin de donner au pays un personnel politique qualifié, et autour de valeurs clairement définies. Et nous citons les mots du président : ‘des citoyens socialisés et imprégnés de la culture démocratique.’
Poursuivant : c’est seulement à ce prix que nous retrouverons la stabilité politique. Des élections qui font honneur au citoyen qui dès lors retrouvera le chemin des urnes. Et qui rassurent aussi nos partenaires internationaux.

Toute la cosmogonie politique haïtienne éventuellement en voie de changement …
Mais bien sûr (et nous citons toujours Michel Martelly) : élections confiées à un organisme crédible.
Puis le mot de la fin : ‘Avec la bonne foi de tous, nous parviendrons à un consensus.
‘Que Dieu nous vienne en aide. Vive Haïti !’
Puis ce sera la signature du ‘Protocole de Médiation’ (texte publié également dans cette édition d’Haïti en Marche).
Lecture en a été donnée publiquement. C’est alors que les conseillers du chef de l’Etat solliciteront la correction d’un des Considérants, dont la formulation mettrait en doute la ‘capacité’ des acteurs nationaux, dont bien entendu aussi le chef du pouvoir exécutif, à solutionner les problèmes du pays …

La remarque a été considérée comme tout à fait juste par l’assemblée et la correction immédiatement apportée.
Même si notre conclusion ne sied pas à la signification profonde de la démarche de la Conférence épiscopale qui se veut non partisane, cependant s’il faut donner un gagnant à l’événement du 24 janvier c’est le président Martelly. Il est comme sorti de la rencontre apparemment plus proche de son opposition que de ses propres collaborateurs. Cela veut dire beaucoup pour les décisions politiques et gouvernementales à venir.
D’autant que si le Protocole de Médiation signé ce vendredi 24 janvier devenait réalité à travers le processus dit de Dialogue Politique (qui sera lancé dès ce lundi 27 janvier à El Rancho), eh bien c’est toute la cosmogonie politique haïtienne qui serait touchée : calendrier électoral, formation du conseil électoral, et plus tard nomination du Premier ministre et formation du Gouvernement. Si tant est que le maître mot aujourd’hui c’est consensus !

Touchons du bois !

Marcus – Haïti en Marche – Mélodie 103.3 FM, Port-au-Prince