JACMEL, 18 Janvier – La nouvelle a pris tout le monde un peu par surprise. Une ordonnance du cabinet d’instruction épingle des proches de Jean-Bertrand Aristide, du temps de la présidence de son dauphin René Préval (1996-2001) et qu’il attendait son tour pour un second mandat - d’implication dans l’assassinat du directeur général de Radio Haïti Inter, Jean Léopold Dominique, qui a été tué par balles, en même temps que son gardien de sécurité, Jean Claude Louissaint, le 3 avril 2000, sur la cour même de la station.
Neuf (9) personnes sont officiellement inculpées, dont l’ex-sénatrice et responsable de la Fondation Aristide pour la Démocratie, vivant actuellement aux Etats-Unis, Mirlande Libérus Pavert, qui est considérée comme l’’auteur intellectuel’ de l’assassinat du journaliste.
Les autres suspects sont Mme Annette Auguste, surnommée Sô Anne, ex-militante Lavalas, un ancien maire adjoint de la capitale, Gabriel Harold Sévère, et un groupe de présumés hommes de main nommés Frantz Camille alias Franco Camille, Markenton Michel, Jeudi Jean Daniel, Mérité et Dismley Milien, Toussaint Mercidieu.
Il semble que dans l’ordonnance proprement dite l’ex-président Aristide et son ex-chef de la sécurité au palais national, Oriel Jean, sont cités comme des ‘témoins importants’.
Cependant le journaliste Guyler C. Delva (responsable aujourd’hui d’une nouvelle agence d’informations en ligne, HCNN ou Haitian Caribbean News Network) qui a fait éclater la nouvelle vendredi (17 janvier) est allé plus loin pour suggérer que le véritable commanditaire de l’assassinat de Jean Dominique ne peut avoir été que Jean-Bertrand Aristide.
Voici ce que écrit l’agence HCNN : ‘Le juge (…) a inculpé neuf suspects, dont l’un, Mirlande Libérus, qui aurait reçu l’ordre d’Aristide pour planifier le crime, selon des témoins qui ont déposé par devant le juge d’instruction et qui ont (lesdits témoins) parlé également à HCNN.
‘Aristide m’a dit que Jean Dominique devait être réduit au silence ou notre retour au pouvoir sera compromis …’ aurait déclaré un de ces témoins.
‘Il (Aristide) m’a dit de rejoindre Mirlande qui était chargée de s’occuper du dossier de Jean Dominique et je suis allé la voir et elle (Mirlande) m’a demandé des véhicules et des armes pour mener l’opération …’

L’éclatement du parti d’Aristide, Fanmi Lavalas …
Sans que HCNN ne précise directement qui est ledit témoin, il y a de fortes possibilités qu’il ne soit autre que l’ex-responsable de la sécurité d’Aristide au palais national, M. Oriel Jean, puisque devant être en mesure de fournir la logistique (‘véhicules et armes’) pour l’assassinat.
Oriel Jean cité comme ‘témoin clé’ par le juge d’instruction, en même temps que Aristide.
Sans préjuger de l’issue de ce dossier qui traine depuis aujourd’hui 14 années, il serait important de relever quelques points.
D’abord cela reconfirme l’éclatement du parti d’Aristide, Fanmi Lavalas, dont se sont aujourd’hui écartés certains de ceux-là mêmes mentionnés dans le dossier d’inculpation.
Aussi bien, Annette Auguste (Sô Anne) devenue un proche de l’actuel président Michel Martelly. Militante de la base et politicienne fort expérimentée, Annette Auguste, musicienne de profession comme Michel Martelly, est de nature à jouer un rôle pour ce dernier lors des prochaines (et importantes) élections législatives et municipales.
Ensuite, Oriel Jean. L’ancien responsable de la sécurité personnelle d’Aristide a fait de la prison à Miami après la chute du gouvernement Lavalas, le 29 février 2004, sous la poussée d’un mouvement de la société civile, avec en tête les élites économique et intellectuelle.

L’affaire Moïse …
Or tout comme Sô Anne, qui fut arrêtée en pleine nuit par les Marines américains débarqués après le renversement d’Aristide et qui la jetteront en prison pour plusieurs mois, tout ce monde se sent frustré parce que Aristide les aurait écartés des postes de direction du parti Lavalas sans considération pour les sacrifices consentis.
Et ils sont plusieurs à partager le même ressentiment.
Voilà donc qui vient encore s’ajouter à cette impression de débâcle qui se manifeste aujourd’hui du côté du mouvement politique qui reste tout de même le plus important du pays qu’est le Lavalas.
On connaît l’affaire Moïse – le sénateur Moïse Jean-Charles qui a récemment presque provoqué un éclatement du parti en entrant publiquement en rébellion contre le directoire nommé par Aristide.

L’attitude personnelle de Guyler C. Delva …
Tout en prétendant ne plus faire de politique pour ne se préoccuper que de son université (l’Université Dr. Jean-Bertrand Aristide), l’ancien président est cependant considéré par la plupart des observateurs comme restant celui qui tire les ficelles.
Ensuite comment ne pas signaler l’attitude de notre confrère Guyler C. Delva qui se comporte comme le ‘maître’ de ce dossier. Qui plus est, au-dessus des lois. En effet, alors que le juge d’instruction cite Aristide seulement comme témoin (rappelons-nous l’invitation à laquelle ce dernier avait répondu l’année dernière au cabinet d’instruction, et où il fut accompagné par plusieurs milliers de ses partisans envahissant les artères de la capitale), Guyler désigne quant à lui l’ex-président comme le commanditaire de l’assassinat de celui qui été le plus célèbre journaliste du pays.
Qu’est-ce qui fait courir Guyler C. Delva ?
Attention, il a été nommé par le président René Préval - sous la présidence duquel a été tué Jean Dominique (celui-ci était probablement à l’époque le plus proche conseiller, pour ne pas dire un ami intime, du chef de l’Etat haïtien) - président d’un Comité pour trouver justice pour Jean Dominique.
Par conséquent, Guyler est tout à fait dans le cadre de sa mission quand il prend la liberté d’interpréter l’ordonnance du juge.
Mais entre-temps aussi notre confrère s’est mis au service du président Michel Martelly, dont il est devenu le Secrétaire d’Etat à la communication.
Pour être déposé récemment et aussitôt réintégrer son rang dans la presse par la création de cette nouvelle agence de nouvelles en ligne, qui diffuse en deux langues (français et anglais), HCNN – Haitian Caribbean News Network.

Placer sur un même pied Aristide et Duvalier …
Le 2 janvier 2014, le président Michel Martelly a annoncé que cette année se tiendront (enfin) les élections sénatoriales partielles et municipales tant attendues (elles étaient programmées depuis novembre 2011).
La semaine dernière aussi, un éditorial de Mélodie Matin (Haïti en Marche) s’intitulait : ‘Entre Lavalas et Duvalier, il n’existe rien d’autre.’
Le même 1er janvier, le président Michel Martelly se présentait aux festivités du 210e anniversaire de l’Indépendance, aux Gonaïves, en compagnie de l’ex-dictateur Jean Claude Duvalier.
Aussitôt les organisations de défense des droits humains se sont insurgées. La semaine dernière, Amnesty International et Human Rights Watch ont accusé le pouvoir en place de combinaison pour permettre à Baby Doc d’échapper à la justice.
Aussi cela ne peut ne pas suggérer que cette relance du dossier de l’assassinat de Jean Dominique ne soit à finalité politique. Placer sur un même pied que l’ex-chef à vie d’un des régimes les plus sanguinaires de notre histoire, le chef historique (et aujourd’hui controversé même au milieu de son propre mouvement) du parti Lavalas.
Outre que, pour compliquer davantage la situation, la plupart des dirigeants et dirigeantes des organisations locales qui mènent la lutte pour le procès de Duvalier, sont aussi des opposants à Lavalas. En tout cas, qui avaient fait partie du mouvement (dit GNB) qui avait milité pour le renversement d’Aristide le 29 février 2004. Ce qui ne complique pas moins la situation.

Au sein même du pouvoir en place …
Cependant la question politico-électorale peut ne pas en rester seulement à un face à face (même symbolique) entre Duvalier (comme allié au président Martelly) et Lavalas - et entre les deux une guerre de stigmatisation à outrance – mais pourquoi Sô Anne qui est aujourd’hui un allié du pouvoir en place ?
Elle figure parmi les inculpés dans le dossier d’instruction.
Est-il possible que la perspective électorale donne également lieu à des règlements de compte au sein même du pouvoir en place ?
L’année électorale 2014 promet donc d’être riche en renversements de situation.
Cependant toutes ces manipulations que l’on devine, laissent peu espérer que l’on débouche sur une solution véritable du dossier de l’assassinat de Jean Dominique.
Outre que le confrère s’était fait des ennemis dans différents secteurs, comme on ne peut s’en empêcher lorsqu’on a pour mission de dire les choses comme elles sont dans un pays où la vérité n’est pas du tout bonne à dire.

Marcus-Haïti en Marche, 18 Janvier 2014