MIAMI, 21 Mars – Dans les années 1970 une notion a vu le jour : la majorité silencieuse.
Quand un pays se trouve prisonnier d’une situation ou d’un système qui ne lui laisse aucune porte de sortie, il existe une dernière alternative : que le peuple lui-même prenne la parole.
Cela vaut évidemment dans un pays où il existe encore la liberté d’expression.
D’ailleurs c’est aux Etats-Unis qu’est née cette notion, que l’on voit aujourd’hui encore réapparaitre avec plus ou moins de bonheur que ce soit dans le monde arabe (printemps arabe), et plus récemment en Ukraine (avant la sécession de la Crimée) et actuellement au Venezuela du président Nicolas Maduro.
Mais vous me direz qu’en Haïti nous avons déjà tout épuisé, y compris la formule majorité silencieuse.
En effet, nous les voyons tous à l’œuvre depuis longtemps : organisations populaires, opposition sous toutes ses formes, ti-legliz, société civile, droits humains, féminisme, etc, y compris la presse dite indépendante.
Cependant aucun qui puisse faire actuellement la différence. Comme si tout avait été épuisé. Prostitué.
Comme une avalanche que rien ne semble pouvoir arrêter, ni même ralentir sur sa course.
Le remède pire que le mal …
Voilà à quoi ressemblerait la conjoncture actuellement en Haïti.
Il y a un demi siècle (la dernière fois en 1957), rien de cela ne se pourrait. L’armée aurait bien sûr résolu le problème en moins de deux.
Il est donc évident que nous ne méritons pas le système dans lequel nous vivons aujourd’hui. Et que le remède se révèle pire que le mal. Et voilà pourquoi ‘on’ ne nous permettra pas d’avoir une nouvelle armée, parce que nous faisons encore mieux le ‘ratiboisage’ qu’elle le ferait. Pas d’armée pour Haïti. Ni une nouvelle dictature, parce que il n’y a plus terrible dictateur que l’Haïtien envers lui-même.
Ni une occupation étrangère formelle, parce que on est plus utile comme on est et à qui de droit, pour défendre l’indépendance de l’Ukraine face à la Russie de Poutine.
Plus ça change …
Alors est-ce parce que la situation est tellement sans issue, même en s’imaginant la pire de toutes, qui fait que la politique haïtienne soit devenue cette machine folle que rien ne peut arrêter.
Pourtant tout est en place. Pas un élément ne manque. Chacun connaît son rôle par cœur. Les acteurs ont de nombreuses années d’entrainement. Tous des pros. The show must go on. Que le spectacle commence. Démocratie ne saurait être plus parfaite. Indépendance des trois pouvoirs. Liberté d’expression. Société civile. Droits humains. Egalité des genres. Et le clou du spectacle, un Dialogue qui arrache la signature de toutes les parties concernées. Qui dit mieux ? Mais plus ça change, plus l’on s’enfonce.
Ni à Dieu, ni au diable …
Parce que peut-être il manque l’essentiel : la foi. Nos décideurs, politiques ou autres, ne croient désormais plus à rien. Et pour être plus précis : ne croient ni à Dieu, ni au diable.
Les près de trente années qui ont suivi le renversement de la dictature officielle (Duvalier bien sûr, 1957-1986) ont vu tout défiler mais à chaque fois pour nous retrouver au plus bas. Toujours plus.
Elections démocratiques, finissant soit dans un massacre (1987), soit dans un coup d’état (1991), soit dans une occupation militaire (2004) ; opposition, base populaire, société civile, droits humains, contestation étudiante, mouvement féministe, même un président à avoir réussi la performance de terminer ses deux mandats, chacun a eu droit à son tour de piste mais pour nous retrouver aujourd’hui encore plus désarmés que jamais auparavant parce que dans ce brouhahas tous sans exception ont perdu leur virginité, personne ne peut en remontrer à personne, chacun est libre de faire ce qu’il veut, de dire ce qu’il veut, de réagir comme il veut, et avec une audace folle, tant pis pour ceux qui ne l’ont pas compris. Evidemment les plus audacieux en profitent aussi pour s’en mettre plein les poches.
‘Un pays lavé, blanchi jusqu’aux os’ …
Résumons-nous : difficile de croire dans le bien dans un pays où depuis deux siècles les forces du mal semblent toujours plus facilement pouvoir l’emporter.
Mais aujourd’hui c’est pire que jamais. Même ce qu’on avait toujours considéré comme le mal suprême, du moins nos ainés (une dictature de fer, l’occupation étrangère …) qui ne nous effraie plus parce que mis hors jeu par notre propre inconscience largement suffisante pour nous tenir encore plus sous contrôle que le ferait un nouveau Papa Doc ou toute une armée étrangère.
Alors va-t-elle se lever cette majorité jusqu’ici silencieuse, cette vague géante, cette houle pour, paraphrasant le poète Carl Brouard, nous laisser ‘un pays lavé, blanchi jusqu’aux os’ ?
Justement n’aura-t-on pas des élections le 26 octobre prochain ?
Mais c’est une décision qu’il faudrait attendre jusqu’à la veille des élections pour l’annoncer, tellement le piège est partout dressé. Et que seuls les plus injustes seront sauvés !
Haïti en Marche, 21 mars 2014