MIAMI, 26 Mars – Le film qui fait courir cette semaine aux Etats-Unis s’appelle ‘Twelve years a slave’ (Douze ans en esclavage).
Cela au même moment où l’ONU commémore la journée des victimes de la Traite et que le Secrétaire général Ban Ki-Moon rend hommage à Haïti, le pays qui a le premier vaincu le régime esclavagiste, en 1803.
‘Twelve years a slave’ (esclave pendant 12 ans) est la relation d’une page jusqu’à présent peu abordée dans l’histoire de l’esclavage des Noirs aux Etats-Unis.
Il s’agit de noirs libres qui étaient ‘kidnappés’, eh oui, dans des villes du Nord des Etats-Unis où ils exerçaient des professions respectables, instruits, mariés et élevant leur famille dignement, mais qui un jour se font attirer dans un piège. Transportés alors dans les grandes plantations du Sud où se pratiquait encore l’esclavage, ils sont mis dans les fers, battus et torturés éventuellement jusqu’à mort, livrés à la volonté du maitre blanc et de ses commandeurs sadiques, et surtout ‘bourriquant’ (travaillant) sans salaire à couper la canne ou à cultiver le coton ou le tabac.
Tiré d’une histoire authentique …
Le générique du film dit que c’est une histoire authentique et tirée d’un ouvrage écrit par la personne même qui l’a vécue. Le livre ‘Twelve years a slave’ a été publié en 1853, sous forme de mémoires, par Solomon Northup, un Africain Américain né libre et qui raconte avoir été kidnappé en 1841, à Washington, DC, et vendu comme esclave, puis transporté dans les plantations en Louisiane où il fut employé comme tel.
Premier avertissement : le film est dur. Des séances de bastonnade ou de torture par pendaison lente, peuvent être difficilement soutenables.
Cela au long d’une histoire bien racontée et pleine de rebondissements. Le héros est un excellent violoniste de race noire vivant avec sa respectable petite famille à Saratoga (dans l’Etat de New York), et que des artistes, des funambules (ou des messieurs blancs se faisant passer comme tels) arrivent à convaincre à les accompagner dans la capitale, Washington DC, pour y donner un concert. Notre bonhomme se fit ou enivrer ou droguer, inconsciemment.
‘Sale esclave nègre’ …
Quand il se réveille, il constate avec effarement qu’il est dans les fers, attaché aux quatre membres par de lourdes chaines.
Deux individus entrent qui le traitent d’esclave, de ‘sale esclave nègre.’
Il proteste, dit qui il est, d’où il vient. Non, il a déjà reçu un autre nom, et qui est désormais son vrai nom. Devant ses protestations, il est alors roué de coups par un tortionnaire déchaîné.
Première étape : lui apprendre qu’il est un esclave et que c’est ce qu’il a toujours été. Une éducation, un changement d’identité par la terreur.
Connotations avec notre propre histoire en Haïti …
Puis le voici embarqué dans une sorte de camion à bâche (du genre dans lequel nos compatriotes sont cachés pour traverser illégalement la frontière avec la République dominicaine voisine où ils vont eux aussi trimer dans des champs pour un salaire de misère). Les connotations avec notre propre histoire en Haïti sont tout ce qu’il y a de plus troublant pour nous Haïtiens regardant ce film.
Douze ans dans cet enfer innommable - faut-il rappeler aussi que cela se passe plusieurs dizaines d’années après que les esclaves d’Haïti, ci-devant Saint Domingue, eurent eux déjà arraché leur indépendance (référence à l’hommage rendu ce mardi 25 mars, commémoration de la Journée des victimes de la Traite, à nos braves ancêtres par le Secrétaire général de l’ONU) …
Revenons au héros du film, qui finit par retrouver sa liberté douze ans plus tard. Mais pas par la lutte que plutôt au moment où il s’était résigné à oublier totalement qui il était, à oublier le goût de la liberté, à oublier jusqu’à son nom, au moment où le système l’esclavagiste l’avait totalement vaincu parce que pas moyen d’y échapper.
L’Histoire officielle …
A présent quelques remarques. Historiquement deux systèmes existant au même moment. Au Nord des Etats-Unis des citoyens noirs, vivant presque la même existence que l’homme blanc moyen.
Au Sud et au même moment, l’esclavage régnant dans toute sa cruauté, toutes ses cruautés.
Mais une histoire qui nous était jusqu’ici présentée plutôt comme s’il s’agissait de deux mondes séparés de façon très nette. Le Nord en voie d’industrialisation et un peu plus libéral, le Sud esclavagiste. L’Histoire officielle veut même que la libération des esclaves ait été l’une des causes de la Guerre de sécession, guerre civile qui vit le Nord vaincre le Sud, rendant en passant hommage au Président Abraham Lincoln.
Mais « Twelve years a slave’ met fin à cette conception plutôt idyllique de l’Histoire de l’Empire américain.
L’esclavage a régné partout. Le nègre doit travailler, le blanc doit commander. Ce n’est pas une vue de l’esprit, c’est un système.
Tel maître blanc peut être moins cruel, mais n’empêche, il est sûr qu’il est au-dessus et que à la limite l’esclavage peut être même salutaire pour l’esclave élevé par un maitre dans la crainte de Dieu.
‘The wild wide west’ est-il aujourd’hui moins sauvage ? …
Mine de rien la réalisation de ce film marque un tournant, une nouvelle étape dans l’approche de la question de l’esclavage, amorcée depuis déjà quelque temps, entre autres par la production cinématographique aux Etats-Unis.
Nous insistons sur le mot production parce que ce sont des films grand spectacle donc nécessitant des budgets importants, donc c’est aussi le système qui choisit de laisser évoluer ainsi les choses. C’était les années passées le film ‘Lincoln’, qui raconte la Guerre de sécession et l’incidence sur les événements de la question de l’esclavage.
Puis la même année ‘Django Unchained’, le Noir surgissant de ses chaînes sous la forme sympathique d’un des héros favoris du cinéma américain, le cowboy.
Mais là où ‘Lincoln’ peut faire un peu livresque et ‘Django unchained’ amusant, donc pas dangereux du tout, un film comme ‘Douze ans en esclavage’ vous fait un peu froid dans le dos, vous un noir. ‘Moi un noir’. Est-ce que la psychologie humaine a partout changé ou non dans ce grand pays qui s’appelle les Etats-Unis d’Amérique. Ou encore : ‘The wild wide west’ est-il aujourd’hui moins sauvage ?
Toussaint Louverture, une production de France 2 …
Est-ce que les temps où l’homme blanc se considérait fait pour commander et le noir pour obéir ne sont définitivement plus ?
On pense à ces deux procès qui ont défrayé la chronique ces temps derniers dans l’Etat de Floride. Dans les deux cas, un blanc tuant un jeune noir et libéré par le jury au nom d’une certaine conception floridienne de la légitime défense. Qui plus est, dans le second cas le blanc a tué un adolescent parce que celui-ci jouait de la musique trop fort dans sa voiture. On rapporte que le blanc lui aurait crié que c’est une ‘musique de sauvage’ !
Mais les Etats-Unis, notons-le, c’est aussi un pays où l’évolution des mœurs souvent va plus vite qu’ailleurs. Et nous pensons que ‘Twelve years a slave’ entre peut-être dans cette catégorie.
Enfin ce film nous fait découvrir le bien fondé d’une critique qui a été adressée à une autre production semblable et qui nous est plus proche, c’est le Toussaint Louverture du réalisateur Philippe Niang (père sénégalais et mère française), joué par l’excellent acteur haïtien Jimmy Jean Louis.
Produit par la télévision française (France 2), on a reproché au film Toussaint Louverture (même s’il ne manque pas de qualités et de valeur symbolique à nos yeux d’Haïtien) de faire la part trop belle aux anciens colons et de n’avoir pas montré les horreurs de l’esclavage dans la colonie de Saint Domingue alors que le film semble au contraire dénoncer impitoyablement les excès de Moïse, le neveu de Toussaint qui avait désobéi à ses ordres pour se remettre au massacre des colons, et surtout Jean Jacques Dessalines, notre futur libérateur et l’homme du ‘koupe tèt, boule kay’ (couper les têtes et brûler les plantations).
Les Ti Boule, Luc Désir et autres …
‘Douze ans en esclavage’ ne fait pas dans la dentelle comme Toussaint Louverture. Il invite surtout à se poser bien des questions. Y compris pour nous Haïtiens, jusque dans nos rapports avec nos frères dans notre ‘Haïti Chérie’ pourtant indépendante après s’être libérée de l’esclavage depuis plus de deux siècles. Deux siècles d’indépendance n’ont en effet pas fait totalement disparaître cette même mentalité qu’il y en a qui sont faits pour commander et d’autres pour se courber ! C’était hier encore dans les chambres de torture sous la dictature Duvalier. Les Ti Boule, Luc Désir et autres ne sont pas, eux, des personnages de cinéma.
Marcus - Mélodie 103.3 FM, Port-au-Prince