Le dilemme Privert
PORT-AU-PRINCE, 15 Mars – Le président provisoire Jocelerme Privert est sous une pression multiple mais conjuguée pour organiser les élections.
Tous les protagonistes exigent des élections qui soient libres et honnêtes.
Mais chez nous l'expression libres et honnêtes dépend toujours de qui va l'emporter.
Ce qui l'est pour vous ne l'est pas pour moi, et vice versa.
Autrement dit, de quelque côté qu'il se tourne, le Président est susceptible de se faire des inimitiés solides.
Est-ce que cela fera réfléchir tous ceux qui lui mettent la pression ? On ne croit pas.
Parce qu'il ne peut y avoir d'autre solution que les élections. Parce que Mr Privert n'a pas les moyens de renverser la situation. C'est marche ou crève. Ceux qui parlent aujourd'hui de coup d'état font semblant d'oublier qu'on ne peut pas faire un coup sans en avoir les moyens, sans les moyens de sa politique. Et ces moyens ce sont des armes. Soit une armée. Militaire ou civile. Soit être un milliardaire comme une sorte de Donald Trump tropical. Par conséquent cessons de jouer avec les mots.
Tout comme Mr Privert semble avoir réalisé lui-même qu'il ne saurait prendre ses rêves (si jamais cela lui arrivait) – ni ceux de ses proches - pour la réalité.
Il a formulé dans un message à la nation (le dimanche 13 mars) qu'il reste fidèle à l'Accord qui l'a porté à la présidence provisoire de la République, l'Accord du 5 Février 2016.
Celui-ci fixe la conclusion du processus de la présidentielle au 24 Avril prochain. Et l'investiture du nouveau président élu de la République, le 14 Mai.
Vous avez dit : Président de la république ?
Et c'est là que tout se complique pour le Président provisoire. En un mot, comment éviter de se faire des ennemis. Comme si on descendait dans un nid de scorpions. Nœud de vipères !
Rien de plus évident ces jours-ci où des horizons les plus divers lui tombe dessus le même discours. Rageur.
C'est Jovenel Moïse, le candidat du PHTK-Martelly, qui annonce qu'il fera descendre ses troupes dans la rue s'il ne reçoit pas le signal positif, savoir le second tour tel que le prévoit l'Accord du 5 Février. C'est-à-dire le 24 Avril prochain.
Mais en même temps le candidat Tèt Kale a un problème : il ne peut empêcher l'application, tel qu'annoncé dans le même Accord, des recommandations de la commission de vérification électorale.
Conclusion : Mr Jovenel Moïse n'est pas si sûr de lui, ni des résultats promulgués par le conseil électoral provisoire (CEP) sortant, qui l'ont placé en tête !
L'opposition maintient son accusation d'irrégularités et de fraudes massives.
Mais l'opposition ne cherche pas autre chose : la certitude que les élections sont le seul objectif du Président provisoire. Et non que celui-ci soit en train de faire passer le temps. Opposition utilisant aujourd'hui le même discours que les Martellistes, ou pire encore. Car, comme on dit : qui aime bien, châtie bien !
Contrairement au camp Martelly qui mise sur le 24 Avril, l'arme de l'opposition c'est la commission de vérification électorale.
Autrement dit l'opposition espère prouver que les résultats communiqués par le CEP défunt, ont été manipulés en faveur des PHTK.
Jovenel Moïse répond : faux. Et que la vérification ne sera qu'une perte de temps !
C'est aussi l'avis du Département d'Etat américain en la personne de son envoyé spécial, l'ex-ambassadeur en Haïti, Kenneth Merten.
Cependant, sans parler avec autant d'assurance que le candidat PHTK, Mr Merten souligne d'abord que la vérification (qui rappelons-le, se trouve aussi dans l'Accord du 5 Février) est une prérogative des Haïtiens et que Washington n'a pas le droit d'y intervenir.
Mais en même temps, Merten dit craindre que le processus ne s'éternise, ne se perde dans toutes sortes de corridors des machinations, jusqu'à annuler totalement le processus.
Aussi question, quelles doivent être les prérogatives de la commission de vérification, qui doivent être définies avec suffisamment de précision pour satisfaire toutes les parties, si c'est possible. Et d'abord pour ne pas menacer l'intégrité du processus électoral qui est le seul point qui réunit tout le monde : PHTK, opposition, et aussi Core Group (communauté internationale).
La seule différence est une affaire de timing : Jovenel Moïse et consorts parient sur le 24 Avril ; l'opposition d'abord sur les résultats de la vérification électorale. En même temps que ses leaders ne se privent pas de rappeler au Président provisoire qu'il a un mandat de 120 jours. Pas un de plus. Allusion à certains collaborateurs de Mr Privert qui pourraient essayer de l'en dissuader. De le détourner du droit chemin.
Cependant il y a une autre opposition, celle qu'on qualifie de 'maitre du béton' et qui a permis une baisse considérable de la tension politique et sociale depuis l'entrée en application du fameux Accord.
Cette opposition-là, objectivement la plus populaire en termes de nombre lors des manifestations (malgré que le candidat PHTK ait déclaré à Miami : « nous sommes les plus nombreux, nous sommes les plus forts, nous sommes les plus intelligents et nous n'allons pas reculer »), on l'entend moins aujourd'hui que les autres cette opposition qui semble mettre moins la pression sur l'occupant du palais national.
De là à la soupçonner d'être de mèche avec le Président provisoire pour 'faire passer le temps', il n'y a qu'un pas !
Mais elle aussi ne peut avoir d'autre finalité que de compter sur la commission de vérification, car c'est la seule arme qu'il reste à l'opposition (tous secteurs confondus) si elle ne veut pas que le 24 Avril ne soit un simple remake (photocopie) de ce qui se préparait pour le 27 Décembre : des élections à un seul candidat, celui de Michel Martelly !
Mais encore faut-il que la commission de vérification ne devienne ce que dénonce l'envoyé spécial du Département d'Etat : une mitraillette folle tirant sur tout ce qui bouge.
Car là où l'on peut croire que Merten est de mèche avec le candidat de Martelly, retenons qu'il a dit dans son interview au Miami Herald que c'est aux Haïtiens de définir les prérogatives de la commission de vérification. C'est un premier point important. Et numéro 2, que l'administration américaine n'a point de candidat. On ferait un cadeau extraordinaire à Jovenel Moïse en ne prenant pas ces derniers mots au sérieux.
D'où l'extrême agitation du candidat PHTK. Tandis que l'opposition à côté fait plutôt à la traine. Outre qu'elle n'a plus la même unité qu'avant le 7 Février.
Pour finir, last but not least, il n'y a pas que Haïti en jeu. Les présidentielles américaines c'est en Novembre prochain. Et Haïti ne peut pas s'aviser d'empêcher l'élection du candidat (ou de la candidate) qui a l'appui de la Maison Blanche.
A moins que les Haïtiens ne décident qu'on va tous perdre mais qu'aucun d'entre nous ne gagnera !
Autrement dit, un suicide collectif.
Mélodie 103.3 FM