Le pouvoir Martelly Lamothe est-il au bord de la rupture?
PORT-AU-PRINCE, 15 Décembre – Ainsi le ‘troisième larron’ est un élément interne au pouvoir.
En effet tout concourt. La dénommée force parallèle qui a surgi aux Cayes (troisième ville du pays) défiant les autorités gouvernementales tout en se réclamant du pouvoir en place.
L’utilisation de la voix du président de la république, Michel Joseph Martelly, pour haranguer les émeutiers lors des derniers troubles ayant éclaté à Jérémie (Grande Anse, Sud). Officiellement pour protester contre l’arrêt des travaux de construction de la nationale Cayes-Jérémie.
Et aussi à Port-au-Prince l’apparition sur les murs de graffiti qui s’en prennent à des proches du chef du gouvernement, le premier ministre Laurent Salvador Lamothe, les dénonçant comme des ennemis du président Martelly.
Ainsi la boucle est bouclée. Il s’agit d’un mouvement dirigé contre le chef du gouvernement.
Et de la part de proches du président Martelly mais qui se considèrent frustrés par le pouvoir exercé par le premier ministre Laurent Lamothe.
Encore dans ses couches …
Désormais le doute n’est plus possible. Il s’agit du sort de l’actuel gouvernement. Et de son chef lui-même, Laurent Lamothe, 39 ans, le plus jeune premier ministre de l’histoire de la jeune démocratie haïtienne. Que disons-nous, une démocratie encore en ‘couchettes’ (dans ses couches) et dont elle n’arrive résolument pas à se débarrasser !
Mais c’est le président Martelly lui-même qui vient confirmer ce qui n’était encore que rumeurs plus ou moins orchestrées. Prenant la parole à l’occasion de l’inauguration du nouveau complexe hôtelier Royal Oasis, Michel Martelly a rendu un hommage appuyé à son premier ministre : ‘sans Laurent, je n’aurais pu exercer le pouvoir avec sérénité. Il me rend libre de défendre ce qui est essentiel : la recherche de toujours plus de coopération pour améliorer les conditions de vie de la population et la promotion de l’image de notre pays.’
Autrement dit, le premier ministre dirige les affaires gouvernementales et publiques et de manière effective ; le président de la république poursuit les démarches pour sécuriser les moyens nécessaires et assurer la viabilité de l’ensemble.
Cela semble une bonne division du travail et assez conforme aux prescrits de la Constitution en ce qui a trait au pouvoir Exécutif.
Quoi qu’il en soit, les propos du président Martelly semblent d’abord destinés à couper court à certaines rumeurs selon lesquelles il serait au moins en train de s’interroger sur l’avenir de son partenariat avec son premier ministre.
Réforme de l’Etat …
La réponse présidentielle c’est donc : Pas question. Laurent Lamothe fait un bon travail. Qui plus est, c’est grâce à lui que je peux faire, moi aussi, du bon travail !
C’est ainsi du moins que l’estime Michel Martelly.
Quel travail fait actuellement le chef du gouvernement ? Il s’agit d’une opération rénovation - réhabilitation de l’Etat haïtien (réforme de l’Etat, rationaliser la coordination entre ses différentes entités, meilleure utilisation de la coopération externe etc). Et cela à un moment de croissance économique quasi négative, doublée d’un retrait non négligeable de l’aide externe. Ce n’est pas trop de prédire que 2013 sera un Annus horribilis !
Conditions économiques défavorables …
Par conséquent s’il bénéficie de la confiance présidentielle, les conditions économiques ne sont cependant pas en faveur du premier ministre. Et cela a aussi son poids dans la balance.
Les adversaires de Lamothe (et non des moindres, comprenne qui pourra !) ne vont pas manquer d’en tirer avantage. D’autant plus qu’ils gitent dans l’administration même. Le moindre mouvement d’humeur dans la population est exploité contre le gouvernement et son chef. Et toujours en s’abritant derrière le nom du chef de l’Etat. Ce qui neutralise la réaction des forces de l’ordre.
Comme on l’a déjà vu au Cap-Haïtien, à Jérémie, aux Cayes et à la capitale. Jusqu’aux manifestations étudiantes qui n’échappent pas à la règle.
Ensuite le président Martelly lui-même pourra-t-il demeurer longtemps dans cette position en porte-à-faux, quoi qu’il dise ? D’autant plus que des élections (sénatoriales partielles et totalité des municipales) devront avoir lieu tôt ou tard et que le parti présidentiel (‘Tèt Kale’) préférerait bien entendu présenter un front commun.
Les conséquences seraient multiples …
Mais quelles seraient les conséquences d’un départ de Laurent Lamothe ?
L’actuel gouvernement mène aussi une lutte acharnée contre la corruption sous toutes ses formes : gaspillage des ressources de l’Etat - y compris envers les tenants du pouvoir, contrebande, fraude fiscale, trafic de drogue etc.
Jusqu’au kidnapping !
Quel rapport entre les pressions pour le renvoi du premier ministre et les secteurs visés par cette véritable croisade contre le crime organisé ?
Rapport probable sans doute mais non évident !
Cependant la communauté internationale est supposée apprécier une telle politique de remise en ordre dans les affaires de l’Etat.
A plus forte raison quand elle annonce que son aide sera parcimonieuse, crise économique oblige.
Mais la communauté internationale peut aussi être revenue aujourd’hui des aléas constants et franchement fatigants de la politique haïtienne.
Plus de difficultés, plus de frustrations …
Par contre une nouvelle crise gouvernementale ne fera qu’aggraver la situation pour le pays réel et ajouter aux difficultés dues à une politique d’austérité drastique déjà annoncée par le gouvernement.
Ironiquement ce sont ces mêmes mesures pourtant incontournables dont va s’emparer la cabale anti Lamothe pour continuer à pousser le chef de l’Etat à renvoyer son premier ministre.
Sans aucun souci de la situation générale. Mais cela n’a-t-il pas toujours été ainsi ? Sauf que, à force de tirer sur la corde de la misère généralisée, les frustrations cette fois peuvent être incontrôlables.
Quant à l’opposition, elle va probablement se contenter de laisser le pouvoir s’entre-déchirer, s’auto-détruire.
Haïti en Marche, 15 Décembre 2012