L'option table rase n'est plus la seule alternative

JACMEL, 2 Janvier – L'opposition ne risque-t-elle pas de nous faire perdre une nouvelle fois l'occasion d'avoir un peu plus de contrôle sur le devenir de notre pays. Cela en maintenant son exigence pour le départ immédiat du président Michel Martelly.
Est-elle prête à une telle éventualité ? A-t-elle les moyens pour gérer une situation aussi définitive ?
En 2004, l'opposition avait la même attitude face au pouvoir affaibli de Jean-Bertrand Aristide.
Mais c'est un troisième larron qui déboucha de nulle part : un certain Gérard Latortue, amené de Washington, lui aussi dans les bagages des US Marines.
De quelle alternative dispose aujourd'hui l'opposition haïtienne pour empêcher la même situation de se reproduire ?

Eviction de l'homme fort ...
Alors que le même changement souhaité par elle, est déjà en marche. Et comment !
Eviction de l'homme fort du pouvoir Martelly : le premier ministre Laurent Lamothe.
Nomination à sa place, en attendant la sanction parlementaire, d'un militant qui, quoique connu et reconnu, a passé le plus clair de sa carrière politique, ou de sa vie tout court, dans l'opposition : Evans Paul.
Renvoi du conseil électoral, désormais effectif, pour le remplacer par une nouvelle équipe choisie sur une base plus consensuelle (Article 289 de la Constitution).
Nomination d'un gouvernement de consensus, c'est-à-dire ouvert à l'opposition et sur des secteurs non partisans.
Et tout cela mené tambour battant.

Elections dans trois mois ...
Prochaines étapes : établir le programme du gouvernement de consensus et obtenir la ratification parlementaire ; ensuite le vote de la loi électorale pour l'organisation des élections (législatives et municipales) dans un délai de trois mois ...
Mais alors que la réalisation de tout ce qui a constitué l'essentiel de ses revendications à ce jour se concrétise, avance et progresse, l'opposition continue sur sa lancée : c'est le départ de Michel Martelly ou rien !

On sait ce qu'il en advint ...
L'un des négociateurs les plus coriaces que Aristide eut à confronter lors de la crise de 2004 a été l'assistant secrétaire d'Etat américain Roger Noriega.
Eh bien ce dernier eut à déclarer plus tard que, sous la pression, Aristide avait pratiquement tout concédé, y compris un premier ministre désigné par l'opposition.
Mais c'est alors, dit-il, que l'opposition haïtienne sortit sa dernière carte : si Aristide avait pu aller jusque-là, c'est qu'il était perdu. Alors autant s'en débarrasser !
Mais on sait ce qu'il en advint. Les pires turbulences de l'après-Duvalier. Et dont nous payons encore le coût.
Mieux encore : il n'y a pas longtemps que la même opposition manifestait en nombre imposant devant l'ambassade américaine, demandant que Washington (et la communauté internationale) cesse d'appuyer le pouvoir Martelly-Lamothe et de fermer les yeux sur ses dérives et exactions comme entre autres la détention de nombreux 'prisonniers politiques.'
Une commission consultative fut chargée de formuler une proposition de sortie de crise.
Le rapport de la commission a été aussitôt validé par le Département d'Etat américain et le CORE Group (communauté internationale et ONU).
Outre la démission de Laurent Lamothe et la refonte du conseil électoral, que demande encore le rapport ? C'est la libération de tous les prisonniers politiques. Des organisations locales de défense des droits humains, et non des moindres, affirment que ces derniers sont pratiquement tous actuellement en liberté.
Il y a un mois on pensait que Washington et les grandes chancelleries feraient le tout pour le tout pour maintenir au pouvoir l'équipe 'Tèt Kale', parce que celle-ci servirait mieux leurs intérêts qu'aucune autre.
Aujourd'hui c'est le même Washington qui encourage le démantèlement du pouvoir qu'il était censé protéger seulement hier de manière aussi unilatérale.

Abandonner la proie pour l'ombre ...
Donc pratiquement tout se passe comme l'opposition haïtienne l'avait jusqu'ici souhaité. Et mieux encore.
Et pourtant les manifestants sont encore sortis par milliers ce 1er janvier pour exiger le départ du président Martelly. Ni plus ni moins.
Nous pensons que les dirigeants de l'opposition savent probablement bien ce qu'ils font.
Néanmoins il n'est peut-être pas inutile de rappeler qu'une nouvelle fois, nous risquons d'abandonner la proie pour l'ombre.
Comme en 2004 ...
Alors qu'il n'est pas impossible (du moins pas encore) de continuer au contraire à parfaire ce qui a déjà commencé.
L'argument de l'autre branche de l'opposition (celle qui favorise la négociation) c'est que le renversement de Martelly avant la fin de son mandat jetterait à nouveau le pays dans une situation chaotique. Certains vous disent que non, ils ont déjà tout arrangé pour gérer la transition, et qu'il n'y aura pas de casse. Or non seulement il est difficile de les croire puisqu'ils n'ont toujours pas fait état des moyens de leur politique, mais il s'agit aussi de notre image internationale. Haïti, le seul pays du continent qui ne peut pas tenir une élection et où l'instabilité est éternelle. Haïti la maudite, comme on entend parfois sur certains grands médias internationaux (francophones ou plutôt antillaises préférablement).

Sans effusion de sang ...
Alors que récapitulons : renversement de l'homme fort du régime, Laurent Lamothe ; un nouvel organisme électoral sur une base plus ouverte ; prolongation du mandat des parlementaires jusqu'à l'installation des nouveaux élus et pour éviter que le président Martelly ne soit tenté de diriger par décrets en l'absence du pouvoir législatif à partir du 12 janvier prochain; enfin ouverture du scrutin trois mois après le vote de la loi électorale ... Et, n'oublions pas, remise en liberté de tous les 'prisonniers politiques'.
Et tout cela, et pour la première fois en Haïti : sans un coup de feu. Sans effusion de sang. Incroyable mais vrai.
Que faut-il de plus ?
Oui, le départ du président du conseil supérieur du pouvoir judiciaire, Anel Alexis Joseph, un barbon mais le symbole de l'influence que détient le président Martelly sur cette institution.
Mais surtout, ce qu'il faut encore, c'est garantir que le nouveau programme du gouvernement (gouvernement de consensus) soit bâti sur des bases plus conformes aux idéaux de justice sociale, conformément à la Constitution, avec des objectifs clairement définis pour la relance de la production nationale, la lutte contre le gangstérisme sous toutes ses formes (y compris la concurrence déloyale, jusque dans le petit monde des médias !!!) et plus de souci et d'équité dans l'utilisation des deniers publics.
Ensuite, last but not least, une réforme qui permette de libérer véritablement la machine électorale (car il n'y a pas que les membres du conseil électoral) de toute interférence, de haut en bas, locale et internationale. Afin de garantir des urnes vraiment démocratiques lors des prochaines élections au printemps 2015.
Oui, sincèrement, nous pensons que l'opposition a mieux à faire aujourd'hui !

Marcus - Haïti en Marche, 2 Janvier 2015