Après des jours de casse-tête, le Président de la République a choisi Evans Paul alias « Konpè Plim » - « K-Plim » pour les intimes -, afin de succéder à Laurent Lamothe qui a démissionné le 14 décembre dernier de son poste de Premier ministre. Qui est donc le nouvel homme fort de la République ? L'image qui vient à l'esprit de tout Haïtien quand on évoque le nom d'Evans Paul, c'est celle d'un homme toujours aux postes de combat contre la dictature.

Son père, Alphonse Paul, de sensibilité fignoliste, est porté disparu un beau jour de 1958. Il est élevé par sa mère, Athémise, qui ne porte pas les Duvalier dans son cœur. C'est dans cette ambiance anti-duvaliériste que grandit Evans.

Très jeune, il porte l'étendard de la révolte contre la dictature. Comme journaliste à Radio Cacique, dénonçant à mots couverts les travers du régime jeanclaudiste et comme dramaturge, protestant sur les planches avec sa troupe de théâtre Konmbit Pitit Kay (KPK) contre les exactions du système. Toujours en termes voilés, par crainte des représailles de la part des tontons-macoutes.

Le meurtre par balles de sa sœur Amenta, alors âgée de 16 ans, en 1976, ne fait que le convaincre de la justesse de son combat. Ce jour-là, à Radio Cacique, Evans Paul ne met pas de gants pour pourfendre la barbarie du système. Les sbires du régime, entendant ce jour-là sa diatribe radiophonique, n'attendent pas longtemps pour se jeter comme des fauves sur la radio. Le journaliste l'échappe de justesse.

Il vit un second drame dans la même année : l'assassinat de Gasner Raymond le 1er juin 1976, journaliste célèbre de l'hebdomadaire indépendant Le Petit Samedi Soir. Un drame qui renforce son militantisme.

Profitant du « dégel » 1974-1980 « imposé » par l'élection du démocrate Jimmy Carter (1977–1981), il se lie aux autres opposants anti-duvaliéristes, membres de la presse indépendante, responsables des formations politiques, organisations des droits de l'homme qui pointent timidement leur nez.

On est vers la fin des années 70, moments qui correspondent à la chute des dictatures un peu partout dans le monde. Cette conjoncture internationale conforte Paul et d'autres militants dans la lutte pour l'instauration de la démocratie dans leur pays. Dans son esprit rassembleur, il se rend à New York pour rencontrer les exilés haïtiens, les opposants historiques. C'est ne pas avoir froid aux yeux car à son retour, le 16 octobre 1980, il est arrêté, conduit aux Casernes Dessalines et torturé. « Quatre-vingt coups de bâton », se rappelle-t-il. Libéré, il est contraint trois ans plus tard à l'exil. Son retour clandestin lui vaut une deuxième capture en 1984, suivie de bastonnades en règle. Tout ceci ne constitue que le début d'une longue suite d'arrestations plus ou moins longues, de séances de torture les unes les plus infâmes que les autres. Et ce, même après la chute et le départ en exil de Jean-Claude Duvalier, en février 1986.

Un acteur incontournable sur la scène politique
Duvalier parti, il poursuit la lutte. Les gouvernements se suivent mais se ressemblent. De 1986 à 1989, devenu un acteur incontournable, il est de toutes les négociations organisées par le secteur démocratique. Le KID (Konvansyon Inite Demokratik), qu'il fonde en 1986, s'associe au Groupe 54 durant la grande mobilisation de l'été 1987. Avec la CATH (Centre Autonome des Travailleurs Haïtiens), il offre sa contribution pour créer l'Organisation populaire OP17 regroupant les militaires progressistes qui ont renversé le général Henri Namphy le 17 septembre 1988. Pour ne citer que ces deux exemples.

Les gouvernements militaires qui succèdent à celui de Jean-Claude Duvalier poursuivent dans la même veine, frappant durement les militants démocrates trop remuants et trop bruyants. C'est ainsi qu'Evans Paul, pris dans un piège tendu par un « attaché », se retrouve en 1989 dans les geôles des Casernes Dessalines où il est sauvagement battu. L'opinion publique se souvient encore de cette image diffusée sur les ondes de la télévision d'État, où on le voit avec d'autres camarades, baptisés les « prisonniers de la Toussaint », le visage atrocement tuméfié, ensanglanté et presque défiguré par les coups de matraque de ses bourreaux. Une image qui choque l'opinion publique d'alors et qui conduit, quelques temps plus tard, à la destitution d'Avril en mars 1990. Encore convalescent, Evans Paul quitte Boston où il se faisait soigner des blessures de la Toussaint pour rentrer illico en Haïti afin de ne pas rater la mise en place du processus de transition, qui va aboutir à la nomination de Me Ertha Pascale Trouillot, présidente de la Cour de cassation, chargée, en tant que Présidente provisoire de la République, d'organiser les élections.

Avec l'émergence du curé de St Jean Bosco, Jean-Bertrand Aristide, sur la scène politique, on retrouvera Evans Paul à ses côtés, dirigeant sa campagne pour les élections générales du 16 décembre 1990. C'est à l'issue de ces joutes électorales qu'Artistide est élu président et lui, maire de Port-au-Prince. A l'Hôtel de Ville, il ne connaît cependant que des déboires, n'ayant pu prendre fonction que pendant huit mois et en deux temps (en 1991 et en 1993). Il a juste le temps de créer le COMUREM (Conseil métropolitain urbain de Port-au-Prince). Son plan d'aménagement de la région métropolitaine ne peut être appliqué, coup d'État et autres mécomptes obligent.

Le nouveau maire ne va pas tarder à prendre méthodiquement ses distances avec son ancien allié, Aristide, à cause de désaccord sur la gestion du pouvoir de ce dernier. Il constate un virage pas trop catholique chez l'ancien « prêtre des pauvres ».

Mais le coup d'état du 30 septembre 1991, qui renverse le président Aristide après seulement sept mois d'exercice du pouvoir, va leur faire oublier leur différend pour mettre l'accent sur la nécessité de « retourner à l'ordre constitutionnel ». Ce martyr de la cause démocratique va une fois encore connaître l'horreur de la violence des militaires des Forces armées d'Haïti. Alors que plusieurs politiciens sont à l'aéroport International de Port-au-Prince, le 8 octobre 1991, en partance pour le Venezuela où se trouvait le président renversé Aristide en vue d'initier des négociations, c'est Evans Paul, lors Maire de Port-au-Prince, qui est ciblé. Les soldats s'abattent sauvagement sur lui, lui brisant trois côtes.

C'est encore lui qui prend sur lui d'initier les négociations avec les putschistes qui devaient conduire à la signature de l'Accord de Governors' Island en juillet 1993, arrangement qui,comme on le sait, n'a pas été suivi d'effet.

Son exemple : Nelson Mandela
Le fait d'avoir à maintes reprises frôlé la mort ne semble pas avoir écorné sa confiance dans l'humain. « J'arrive à pardonner mes geôliers », confie-t-il. Ayant pour modèle Nelson Mandela, Evans Paul fait partie de ces rares hommes politiques de chez nous qui ne portent pas en eux l'esprit de vengeance et de représailles, sans pour autant exclure le besoin de justice exprimé par les citoyens.

Ses proches estiment que cette capacité vient de son « caractère généreux ». D'autres pensent que cette attitude s'est acquise avec l'expérience, qui façonne une vision plus moderne de la politique. Une pratique où le dialogue devrait fonder les rapports entre les acteurs, même s'ils campent sur des positions antagoniques. D'autres soutiennent que son approche modérée a à voir avec les séminaires qu'il a suivis sur la réconciliation et le consensus politiques en Afrique du Sud. Il a toujours à l'esprit l'exemple de Nelson Mandela dont les années de prison à Robben Island n'ont pas entamé ses élans de fraternité et de compréhension vis-à-vis de l'autre. Serge Gilles (PANPRA) et lui ont fait partie, à deux reprises, d'une délégation qui a voyagé, en 1994, en Afrique du Sud pour suivre le déroulement du processus de dialogue entre l'ANC (parti de Mandela) et le NP (Parti National) qui soutenait l'apartheid. Mission qui a été financée par l'ONG, le National Democratic Institute (NDI).

C'est dans la logique d'une vision basée sur le dialogue au lieu de la force que le 1er janvier 2014, on le voit aux Gonaïves, bavardant de bon cœur tout sourire avec deux de ses ex-tortionnaires. Beaucoup, surtout parmi les radicaux, l'ont très vertement critiqué pour cette approche qui, de leur avis, laisse le champ libre aux pratiques d'impunité. Mais d'autres ont apprécié ce geste qui donne de lui l'image d'un homme de pardon, soucieux de consensus. Mais pour Evans Paul, il s'agit d'un geste d'apaisement, convaincu que seuls le pardon et la réconciliation peuvent conduire à un ordre socio-politique relativement stable. Ce qu'il appelle le « chemin du vivre ensemble ». « Le vivre-ensemble veut dire, pour moi, le respect de l'opinion de l'autre. Le respect de la position de l'autre. Le respect du droit de l'autre d'exister comme personne et de vivre normalement. », explique-t-il.

Dans l'opinion, il est perçu comme un opposant modéré qui émet des critiques « de manière sobre, respectueuse, rationnelle et équilibrée ». « Ce qui rend ses prises de position plus crédibles aux yeux de l'opinion », entend-on souvent. C'est cette espèce de sagesse qu'il dégage, son sens de l'équilibre et son côté rassembleur qui semblent lui avoir valu d'être choisi pour le poste de Premier ministre. Les observateurs pensent qu'il est celui qui sera capable de rétablir la confiance des acteurs sur le terrain, de s'allier les partis politiques modérés et de calmer les ardeurs de l'opposition jusqu'auboutiste.

Ancien proche du Président Aristide, il saura rassurer à la fois les Lavalas et les partisans de Michel Martelly, indiquent les proches d'Evans Paul. « Il est le seul ayant cette capacité de rassembleur à même de faire ce trait d'union nécessaire et indispensable pour apporter la paix dans le pays », estiment-ils encore. Aux parlementaires, où il compte d'anciens camarades de combat, il pourra également donner une certaine garantie par sa sagesse et son esprit de compromis. Son défi : convaincre le Président et les acteurs politiques dont les intérêts sont divergents qu'il n'y a qu'un seul dénominateur commun : Haïti. Gageons, comme dit l'autre, qu'il saura mettre son expertise et son expérience politique à la disposition du pays à un moment difficile et décisif de son histoire.

Huguette von Raussendorf et Chantal Guerrier