Fidel et Haïti !

PORT-AU-PRINCE, 26 Novembre – L'homme était une légende. Mais pas un Dieu vivant. Comme s'est considéré un Papa Doc. Ou même Balaguer, successeur du dictateur dominicain Trujillo. Et pourtant, son influence a couvert plusieurs continents.
Nous eûmes la chance de rencontrer Fidel Castro sur une invitation du président René Préval (1996-2001) à un groupe de journalistes pour l'accompagner lors d'une visite officielle à Cuba.
Le clou de la visite a été la réception offerte au Palais de la Révolution à La Havane.
Le protocole à son summum. Défilé de la Garde d'honneur à l'intérieur même de l'édifice. C'est un régime militaro-civil comme se veut un régime révolutionnaire.
Les deux chefs d'Etat font leur discours. Et c'est la surprise. Le Lider Maximo ne connaît pas seulement l'Histoire d'Haïti. Il la connaît mieux que nous mêmes. Pour la bonne raison qu'il est un fanatique de cette histoire. Un admirateur fou. Et que pour lui, l'Histoire d'Haïti et celle de Cuba sont intimement liées. Depuis Hatuey à Cuba et le Cacique Henry chez nous, les deux chefs indiens qui ont refusé radicalement de se soumettre au Conquistador, en passant par les Héros de la Guerre de l'Indépendance d'Haïti.

Dette envers Haïti ...
Après la victoire des anciens esclaves haïtiens sur les forces d'occupation françaises en novembre 1803, beaucoup de colons de Saint Domingue se réfugieront à Cuba où ils reproduiront l'industrie sucrière qui avait fait de la future terre d'Haïti la Perle des Antilles sous la colonie.
Fidel considère que Cuba a une grande dette envers Haïti qui a, la première et seule, implanté l'idée de révolution véritable dans le Nouveau monde, alors que les Etats-Unis pratiqueront l'esclavage pendant encore plusieurs décennies.
Lors de plus deux heures de conversation qu'il accorda cette soirée-là aux journalistes au Palais de la Révolution, il nous parla de sa première connaissance des Haïtiens. C'était les coupeurs de canne ('braceros') que l'on avait fait venir pour l'industrie de la canne dans la province de l'Oriente, chef lieu Santiago, en face de la presqu'île du Sud d'Haïti.


Puis sur le coup d'une crise économique, le 'dictateur cubain' de l'époque (terme utilisé par Fidel) décida de renvoyer les Haïtiens dans leur pays. Ceux-ci partiront avec pour tout bagage chemise et pantalon.

 

Une enfance dans les bois ...
Ce qui fut vécu par le gamin Castro comme une grande injustice.
Car l'enfant avait vécu depuis toujours dans les bois. Là même où il dirigera plus tard son armée de Barbudos (la Sierra Maestra). Son père Angel était une sorte de mécréant, mais soucieux de bien préparer l'avenir de ses enfants (issus de deux mariages). Cela en les jetant tout de suite dans la vraie vie. Quoique catholique, il ne se préoccupa pas de baptiser le gamin. Dès le premier jour des vacances, le petit Fidel armé déjà de son fusil se précipitait dans la montagne. C'est ainsi qu'il va rencontrer son parrain, un Haïtien nommé Hibbert, de la famille Faine bien connue, et qui était quelque chose comme consul honoraire d'Haïti dans la région.
Plus tard, il passera quelque temps en pension chez ce bonhomme. Il en gardera le souvenir d'un homme sérieux mais (trop) sévère.
Puis les études scolaires achevées (Ecole des Frères La Salle, chez les maristes, à Santiago, 1934 à 1939, puis chez les Jésuites, d'abord à l'école Dolores, 1939-1942, puis au prestigieux lycée Belen de la Havane, 1942-1945), Fidel entre à l'université de la capitale dont il sort avec un doctorat en droit, licencié en droit diplomatique et docteur en sciences sociales.

Moncada ! ...
Le président de la République (ou pour citer Fidel : le 'nouveau dictateur') est un ancien sergent monté en grade, Fulgencio Batista.
26 Juillet 1953, un petit groupe de militants se lance à l'assaut de la caserne militaire de Moncada, véritable place forte, à Santiago, la deuxième ville du pays.
A leur tête, Fidel Castro. Secondé par son cadet, Raul.
L'opération échoua. Le futur 'Commandante Jefe' se retrouva dans la montagne, pas loin de la ville. Comme l'est Port-au-Prince dans le bassin du Morne l'Hôpital.
Mais de fatigue il s'endormit.
Il fut réveillé par un violent coup de pied.
Un lieutenant, un noir, qui le mit en état d'arrestation, lui et deux ou trois compagnons.
Fidel de nous dire : il aurait pu nous conduire à Moncada où plusieurs des nôtres sont morts sous la torture.
Le lieutenant, qui ne savait pas qu'il venait de capturer le chef du soulèvement, les conduisit dans un autre centre de détention.

'Et Guevarra est vivant !' ...
Commentaire de Fidel : ce lieutenant était sûrement un Haïtien !
Il éclata de rire. Et nous avec lui. Ce fut un moment de bonheur rare pour nous autres Haïtiens, qui adolescent dans le Port-au-Prince de la fin des années 1950 et avec l'avènement de la dictature Duvalier, avions vécu - sur les ondes radiophoniques, partagés entre 3 stations : Radio Habana Cuba, Radio Progreso, à Santo Domingo et Radio Haïti - l'épopée de la Sierra Maestra.
Et comment peut-on oublier le cri du speaker le plus populaire de l'époque en Haïti, Rockfeller Jean-Baptiste : 'Et Guevarra est vivant !'
Il s'agit bien entendu du Commandant Ernesto Che Guevarra qui venait de réussir le coup de Santa Clara : faire dérailler le train qui transportait des armes et munitions pour les troupes gouvernementales pratiquement assiégées par l'armée rebelle (les Barbudos).
Ce qui conduisit à la victoire de Fidel Castro et à la fuite du dictateur. Batista se réfugia chez son allié Trujillo en République Dominicaine.

'Desandann' ...
Une fois au pouvoir, l'amitié de Fidel pour les Haïtiens va se traduire en accordant la nationalité cubaine à tous les descendants de ceux qu'il avait vu chasser quelques décennies plus tôt après avoir épuisé leurs forces pour le développement du pays.
Ceux-là qui s'appellent fièrement aujourd'hui les 'Desandann.'
Il leur ouvrit les mêmes facilités d'accès aux meilleurs soins de santé, en éducation universitaire.
Beaucoup gagneront aussi des galons dans les forces armées cubaines.
Lors de notre premier voyage à Cuba, dans les années 1970, accompagnant l'équipe nationale de football d'Haïti devant rencontrer celle de Cuba à La Havane, nous étions assis au milieu de deux jeunes militaires qui se révéleront être des « desandann ». Ils nous racontèrent : 'Le Commandant Raul Castro est arrivé et il a dit : Garde à vous ! Où sont les fils de Dessalines et de Capois la Mort, avancez ?'
Et c'est ainsi que nous avons été choisis pour faire partie des troupes qui iront combattre en Afrique contre les racistes d'Afrique du Sud et leurs alliés.
(Cuba sera l'un des premiers pays visités par le président de la nouvelle Afrique du Sud, Nelson Mandela).
'Au retour on a été récompensé qui d'une maison, qui d'un meilleur emploi', nous dirent nos deux interlocuteurs au stade de football à La Havane.
Quant à Haïti, c'est justement ce début décembre qu'on va commémorer les 20 ans du traité signé par les deux pays en 1996 (dernier acte du président sortant Jean-Bertrand Aristide) instaurant un programme de coopération et d'échanges en éducation, en assistance médicale et en sports.
Plusieurs centaines de médecins haïtiens sont déjà sortis des facultés de médecine à Cuba.
Mais surtout on vit arriver les brigades de médecins cubains qui se répandirent jusque dans les endroits les plus reculés de notre pays.
Toujours les premiers sur place lors des catastrophes naturelles. Comme en octobre dernier dans les trois départements les plus touchés par l'ouragan Matthew (500 morts, 2.4 millions de personnes affectées, et toutes les plantations disparues).
C'est aujourd'hui Haïti qui a une grande dette envers Cuba.

Funérailles officielles le 4 Décembre ...
Fidel Castro est décédé le vendredi 25 novembre écoulé à l'âge de 90 ans.
C'est son frère, le président Raul Castro qui l'a annoncé à la télévision cubaine.
'Jusqu'à la victoire, toujours' a-t-il conclu.
A La Havane, la rue est restée calme.
A Miami, capitale de l'opposition cubaine depuis 1959, des exilés sont descendus dans les rues du quartier cubain, Calle Ocho, en criant : 'Le dictateur est mort. Les Cubains sont enfin libres.'
Ni cette farouche opposition, ni l'administration américaine sous plusieurs présidents, ni plus d'une centaine de complots de la CIA n'ont pu y arriver, seuls l'âge et la maladie qui ont eu raison du Lider Maximo.
Pendant que pour finir Cuba semble en train de trouver sa voie.
Haïti aura joué même un tout petit rôle dans la nouvelle politique de rapprochement entre La Havane et Washington.
Lors de la dernière visite du navire hôpital américain dans la baie de Port-au-Prince, le USNS Comfort, la brigade médicale cubaine en Haïti a été invitée à bord pour soigner les patients haïtiens aux côtés des confrères américains.

Le blocus ...
Ensuite, depuis plusieurs années Haïti devant l'Assemblée générale de l'ONU vote pour la levée de l'embargo ('blocus') américain contre l'île.
Coup de théâtre, cette année l'administration américaine (Obama) a voté abstention.
C'est-à-dire seul le Congrès américain, à majorité Républicaine, qui empêche désormais la levée de cette mesure.
Enfin Fidel Castro a toujours évité de créer le moindre problème à Haïti dans le cadre des relations avec Washington.
A notre question : 'à quand votre visite en Haïti, Comandante ?, sa réponse a été : « la situation ne s'y prête pas pour le moment ! »
Par contre, il a voyagé en République dominicaine pour un sommet régional sous le président Leonel Fernandez.
Un deuil national de 9 jours a été décrété (selon les vœux du défunt, son corps a été incinéré).
Les funérailles officielles auront lieu le 4 décembre.

Marcus, Haïti en Marche, 26 Novembre 2016