Les adieux d’Haïti à Bernie !
PORT-AU-PRINCE, 15 Janvier – Un Mapou est tombé. Oui Mapou, le qualificatif convient on ne peut plus au journaliste et écrivain décédé le mardi 14 janvier 2020 en Haïti, le pays qui sera sa seconde patrie et peut-être aujourd’hui sa première puisqu’il a choisi volontairement d’y terminer sa vie (à 94 ans) et d’être enterré (il a insisté, nous dit son épouse Dr Ginette Diederich née Dreyfus) en terre haïtienne.
Mapou, l’arbre symbolique de l’Haïtien natif-natal, c’est-à-dire aussi bien par l’amour du pays que pour l’attachement par toutes les fibres de son être (‘bon tan kou move tan’), par le genre de vie (le ‘haitian way of life’ ou ‘donbwèy nan pwa sa bon’) tout comme par l’amour de la belle culture bien de chez nous : nos peintres et sculpteurs depuis les Primitifs de la naissance du Centre d’art haïtien dans les années 1940 - à ‘L’Héritage d’Ismaël : l’Ecole d’art de l’Artibonite ’, l’une des dernières passions de l’auteur et comme la plupart de ses livres sur Haïti traduit dans plusieurs langues (français, créole, anglais, espagnol et certains peut-être aussi en ‘néo-zélandais’, ou même en Maori, population autochtone de son pays natal, la Nouvelle Zélande, que Haïti devait lui rappeler peut-être par certains côtés).
Bernard Diederich, profession journaliste !
Mais au sens plein du mot. Comme il se devait à l’origine. C’est-à-dire ne pas se laisser conter mais, comme disait l’autre, être toujours là où l’action se passe.
Comme lorsque Fidel Castro est descendu de la Sierra Maestra, le 1er janvier 1959, la révolution est victorieuse, Diederich (correspondant pour Time Magazine) se tient face au Lider Maximo à Santiago de Cuba pour son premier discours à la nation avant la grande promenade de la victoire jusqu’à La Havane.


Tout comme le jour des élections de 1957 en Haïti, au bout de l’année électorale la plus tourmentée de toute notre Histoire, il était au balcon de la petite maison de la Ruelle Roy, à côté du candidat François Duvalier quand celui-ci apprit que c’est son rival Louis Déjoie qui menait.
Alors le gentil petit docteur de la campagne contre la maladie pian, à la surprise générale, sortit pour la première fois un pistolet qu’il cachait au fond de sa poche et tira plusieurs coups de feu en l’air en criant : ‘Kraze bonda yo.’
Mais c’est aussi Bernie le premier correspondant étranger sur place à Santo Domingo, après avoir traversé l’île en trombe au volant de sa petite Volkswagen, pour confirmer que en effet, le tyran des tyrans, le Général Rafael Leonidas Trujillo y Molina, venait d’être assassiné.
Mais la presse déjà à cette époque ce n’était pas un jeu et il fallait transiger avec les autorités locales.
Papa Doc est élu en 1957. Castro, comme on vient de voir, arrive au pouvoir en 1959, couvert de la gloire de la révolution victorieuse.
Duvalier se pique lui aussi d’être un révolutionnaire. Oui, peut-être en chambre !
Diederich vient à peine de rentrer de son reportage à Cuba et s’apprête à rédiger sa version pour sa propre publication, l’hebdomadaire Haiti Sun, que Papa Doc le fit chercher.
Oui en pleine nuit. Amenez-moi Diederich. ‘Blan an.’
Tout fatigué voici le correspondant de Time Magazine (et occasionnellement aussi pour le New York Times) face au nouvel homme fort d’Haïti … mais qui se cherchait encore à cette époque.
‘Pitit mwen’ (tout le monde est son fils à Papa Doc), raconte moi donc, comment est ce fameux Fidel Castro ?
Bernie lui fit alors un récit de tout ce qu’il a vu et appris.
‘Mèsi piti mwen, mèsi gason m’.
Cependant que dira Duvalier après le départ du journaliste ?
Il fut rapporté à Bernie qu’il a dit : ‘Diederich pa moun nou. Il a dit rien que de belles choses pour Castro mais il n’a pas dit un mot de la révolution duvaliériste.’
‘Papa Doc et les Tontons macoutes’, écrit par Al Burt et Bernard Diederich, traduit lui aussi en plusieurs langues, est considéré par plusieurs générations comme la bible du mouvement anti-duvaliériste.
En effet, on y retrouve palpitants tous les coups de tête tentés par l’opposition, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur, pour tenter d’abattre le monstre …
Des débarquements de ‘camoquen’ (surnom donné aux résistants par les Tontons Macoutes et venant d’un remède contre la malaria que ceux-ci avaient dans leurs bagages en débarquant en terre haïtienne où cette maladie est endémique), aussi bien les tentatives du mouvement de Fred Baptiste à la frontière haïtiano-dominicaine que la guérilla des Treize jeunes Jérémiens dans la Grande Anse, sans omettre bien sûr ce qui vaudra à notre auteur son arrestation et son atterrissage en exil, comme toujours sans un sou et sans sa famille : l’affaire de la tentative d’enlèvement contre Jean-Claude Duvalier le 26 avril 1963.
Les chiens sont lâchés. On parle d’une centaine de personnes assassinées. La Saint-Barthélemy duvaliériste.
Ne voulait-il pas que Diederich couvre l’événement, Papa Doc le fit arrêter. Après une nuit en prison, notre homme est expédié en République dominicaine voisine.
Okay, comme tout journaliste qui se respecte celui-ci, passés les premiers moments de difficultés et de nostalgie, en profitera pour mieux connaitre le pays voisin.
Son ouvrage sur l’assassinat du dictateur Trujillo (‘La Mort du Bouc’) est aussi fameux que ‘Papa Doc et les Tontons Macoutes’.
Au point que tous reconnaitront que son livre a été abondamment plagié par le Prix Nobel de littérature le péruvien Vargas Llosa (comme celui-ci a dû aussi le reconnaître), Bernard Diederich ayant été l’un des premiers correspondants étrangers sur place après l’assassinat et à avoir pu interroger les témoins en direct.
Entre deux grands événements, il a roulé sa bosse avec d’autres alter ego et non des moindres.
Prenons son amitié et ses voyages avec le célèbre écrivain britannique Graham Green rapportés dans ‘Seeds of fiction’ (semences de fiction).
D’abord couvrant l’actualité des exilés haïtiens à la frontière haïtiano-dominicaine où Green se prit de sympathie pour Fred Baptiste.
Quand celui-ci fut fait prisonnier par Papa Doc, Green lui écrivit pour lui proposer en échange de la remise en liberté du chef ‘camoquen’, de stopper la production du film Les Comédiens sur les horreurs de son régime.
Duvalier n’en fit rien. Mais le film, joué par Elizabeth Taylor et Richard Burton, ne sera montré en Haïti qu’après le renversement de Baby Doc en 1986.
Entretemps Bernard Diderich, depuis son exil au Mexique, continua à couvrir l’Amérique latine.
Ce qui nous valut quelques-uns de ses meilleurs ouvrages comme celui sur la dictature des Somoza : ‘Somoza and the Legacy of U.S. Involvement in Central America’ (Somoza et l’Héritage de l’Intervention des Etats-Unis en Amérique Centrale), le journaliste élargit son champ de réflexion. Et avec lui aussi le nôtre …
Tel aussi son voyage de reportage avec Graham Green dans le Panama du général Omar Torrijos (sur une invitation, dit-on, de l’écrivain Prix Nobel Garcia Marquez qui était un familier de Torrijos), présageant de la mort dans un accident d’avion que beaucoup crurent provoqué de cet autre héros de l’Amérique latine (en référence à Salvador Allende).
Titre de l’article de Graham Greene après la mort du président panaméen : ‘Une bombe dans l’avion’.
Toujours là où l’action se passe, Bernard Diederich est aussi le premier à attendre les journalistes exilés d’Haïti après les Vêpres du 28 Novembre 1980 qui mit fin à l’expérience dite de la Presse indépendante.
Débarqués en plein hiver à New York, nous fûmes invités à une conférence de presse dans les locaux des Nations Unies.
Mais en outre et depuis, nos chemins (Bernard Diederich et moi) ne finirent pas de se croiser.
Nous nous établirons à Miami, à côté de Little Haïti, le nouveau quartier de Miami, et Bernie dans le South West.
Elsie est aussi de la partie.
Toujours le premier sur l’actualité, Bernie m’apprit un soir, alors qu’on venait d’enregistrer en Haïti un premier départ raté et que l’opposition était désespérée quoique impatiente, que cette fois c’est le bon, JCD prendra demain matin l’avion pour l’exil.
Notre ami était devenu à l’époque directeur du bureau du magazine Time à Miami.
Ce qui fut dit fut fait. Ce fut le 7 février 1986, la délivrance enfin réalité !
Tout le monde put retourner s’établir à nouveau en Haïti.
Mais certains jurèrent qu’ils n’en repartiront jamais.
Parmi eux, Bernard Diederich.
En même temps, celui-ci fut pris d’une boulimie, publiant coup sur coup une série plus large sur la dictature Duvalier comprenant : Le Trophée ; Le Prix du Sang ; L’Héritier (il accomplit pas moins de trois voyages à Paris pour interviewer Jean Claude Duvalier lors encore en exil) ; avec un flash-back ou retour en arrière, ‘Général Bon Papa’ (le président-général Paul Eugène Magloire – 1950-1956), le titre ‘bon papa’ n’est pas de lui car les deux ne s’entendaient pas si bien mais du magazine Time en faisant de Paul Magloire, qui venait d’être l’invité spécial du président des Etats-Unis, Dwight Eisenhower, son personnage de la semaine ou du mois que sais-je.
En même temps, ne voulant rien laisser au hasard voici notre ami qui livre coup sur coup, ouvrage après ouvrage et avec une précision sans faille ses réflexions sur la culture haïtienne ‘L’Héritage d’Ismaël : l’Ecole d’art de l’Artibonite ’ et son tout dernier qui est une charge contre les nouvelles religions ‘importées’ (suivez mon regard) mais Bernard Diederich croit le Vodou capable de résister à tous les assauts.
En débarquant en Haïti en 1949 et tout à fait par hasard, il était à bord d’un voilier venu apporter des matériaux pour la construction d’un grand hôtel, El Rancho, Bernie fut abordé par des jeunes sur un grand boulevard en construction. C’était pour l’Exposition du Bicentenaire de la Ville de Port-au-Prince communément appelé le Bicentenaire.
Le voyageur n’avait rien vu d’aussi beau, pendant que les jeunes lui disaient : ‘Blan se yon bèl peyi sa ou di ? Wa p rete avè nou.’
Chose promise, chose due !
Diederich abandonna sa première passion, les voiliers (il raconte aussi dans un livre son service militaire qu’il fit pendant la Seconde guerre mondiale sur un grand voilier, le Palmir) pour une autre aventure au nom également passionnant Haïti.
Certains diront une passion douce-amère.
Je fus en effet frappé lors d’une dernière édition de Livres en folie, la foire du livre organisée par le quotidien Le Nouvelliste et la Unibank, par le fait que les livres haïtiens ont des titres peu engageants, du genre ‘yon lang krochi nan yon peyi deja krochi’, tandis que les titres de Bernard Diederich sur Haïti sont toujours positifs.
Il a découvert ce pays comme par hasard, ou est-ce au contraire le pays qui est venu vers lui, ils se sont aimés.
Vous savez ce que m’a dit son épouse Ginette : Bernie veut non seulement être inhumé en Haïti mais il ne veut pas être incinéré ni placé dans un coffre comme une momie.
Il veut être placé sous terre. Dans cette terre même.
N’est-ce pas une belle histoire.
Et signée d’un grand journaliste, un grand écrivain et aussi une grande âme !

Marcus-Mélodie 103.3 FM, Port-au-Prince