Elections immédiatement, oui mais sécurité d’abord …

MIAMI, 24 Janvier – Le Miami Herald titre : ‘Les Etats-Unis veulent une date ferme pour la tenue des prochaines élections en Haïti.’
Il s’agit des élections législatives pour remplacer toute la Chambre des députés (120 membres) ainsi que les 2 tiers du Sénat (20 membres) dont le président de la République, Jovenel Moïse vient de reconnaître la fin de leur mandat, conformément à la Constitution en vigueur, le lundi 13 janvier dernier.
Au grand dam d’un groupe de sénateurs (1/3) protestant que leur mandat, conformément à la loi électorale en vigueur (et non la Constitution), n’est pas terminé.
Cependant que Washington ‘demande’ de fixer sans tarder la date des prochaines législatives – et aussi municipales, montre que l’administration américaine ne marche pas avec les sénateurs protestataires …
Mais en même temps elle ne tient (peut-être !) pas à voir le président Jovenel Moïse ‘jouir’ trop longtemps du régime des pleins pouvoirs ou gouvernement par décrets, c’est-à-dire d’une totale liberté de manœuvre qui peut sombrer facilement dans l’autoritarisme voire la dictature.
Revenons à l’article des correspondants du Miami Herald, Jacqueline Charles et Nora Gamez Torres (couvrant la visite du Secrétaire d’Etat américain Mike Pompeo dans la Caraïbe –spécialement à la Jamaïque - pour rencontrer des ministres des affaires étrangères de la région, dont celui d’Haïti, M. Bocchit Edmond. A l’affiche toujours les efforts combinés pour tenter de déloger le président dit socialiste du Venezuela, Nicolas Maduro) …
‘C’est la chose la plus importante’, dit M. Pompeo dans une interview exclusive au Herald : ‘Nous avons besoin d’avoir des élections (en Haïti). C’est le plus important.’

‘Ils ont la capacité et le droit légal de le faire’ …
La position de l’administration Trump, poursuit le quotidien de Floride, vient alors que le président haïtien Jovenel Moïse cherche à utiliser (à son avantage) le pouvoir récemment obtenu de gouverner par décrets et a aussi annoncé son désir de réformer la Constitution en vigueur, une initiative controversée dont beaucoup craignent qu’elle contribue à renvoyer les élections, voire à plonger le pays plus profondément dans la crise politique, et dans l’insécurité sous toutes les formes : économique, sécuritaire, humanitaire.
Le Secrétaire d’Etat américain ne semble pas s’être trop étendu sur la question de réforme constitutionnelle, mais il ne l’a pas rejetée non plus, répondant au Miami Herald concernant l’administration haïtienne actuelle : ‘Ils ont la capacité et le droit légal de le faire.’
Mais la question des élections est prioritaire dans sa pensée.


M. Pompeo dit avoir soulevé la question avec le ministre des affaires étrangères haïtien Bocchit Edmond en marge des discussions tenues pendant la semaine à la Jamaïque avec un groupe ‘sélect’ de chanceliers de la Caraïbe :
‘Nous les pressons de mettre au point un calendrier ; de fixer une date ferme pour ces élections’ a dit Mike Pompeo.

‘Réformer ou changer la Constitution requiert un large consensus entre les forces politiques et de la société civile. Or nous en sommes loin’ …
Selon l’ex-député Jerry Tardieu (Pétionville, banlieue de la capitale Port-au-Prince) et auteur d’un projet d’amendement de la Constitution : ‘une réforme constitutionnelle devrait sortir d’un accord politique global, où tous les acteurs politiques et de la société civile se mettent ensemble autour des objectifs clefs à atteindre, cela ne peut être un projet séparé.’
‘Réformer ou changer la Constitution requiert un large consensus entre les forces politiques et de la société civile. Or nous en sommes loin’, poursuit Jerry Tardieu …
‘Nous ne pouvons même pas trouver un consensus pour former un gouvernement, dit-il, voire pour changer la Constitution’.

Jamais les violences n’avaient atteint à une telle dimension, ni autant d’horreurs commises …
Cependant est-il plus recommandé de tenir les élections, comme le souhaite le Secrétaire d’Etat américain, alors que c’est l’insécurité qui occupe tout le terrain, la moindre parcelle de terrain au sens propre du mot ?
Jamais les violences n’avaient atteint à une telle dimension, ni autant d’horreurs commises que ces jours derniers.
Mercredi (22 janvier), un policier est tué au cours d’une patrouille au Bicentenaire par des gangs qui, de plus, donnent une heure aux fonctionnaires du palais de justice (logé dans un ancien hôtel depuis le séisme du 12 janvier 2010) pour déguerpir.
Tandis que d’autres gangs (il en sort de partout) menacent de prendre d’assaut le Pénitencier national, au centre-ville de la capitale.
Le lendemain, jeudi 23 janvier, un autre policier (ou ancien policier) est abattu dans une localité au nord de la capitale, Croix-des-Bouquets et un de ses deux enfants (une fillette) tuée tandis que l’autre est transporté à l’hôpital dans un état grave.
La police ne reste pas inactive (arrestation entre autres d’un chef de gang aux Cayes, département du Sud) mais elle n’a pas assez d’effectifs, outre que ceux-ci ne sont pas suffisamment préparés et équipés, quand ces groupes armés semblent surgir de partout et armés plus lourdement (dit-on) que les 15.000 membres de la police nationale.

Des élections dans l’état actuel c’est faire le jeu des mêmes qui financent et arment ces gangs …
Par conséquent, le voudrait-on, qu’il paraît impossible de réaliser actuellement des élections, comme dit le souhaiter l’administration américaine, et encore moins des élections sérieuses - si la sécurité n’est pas rétablie et partout dans le pays.
Car des élections dans l’état actuel c’est faire le jeu des mêmes qui financent et qui arment ces gangs, car bien entendu que ces gamins n’ont pas les moyens de le faire eux-mêmes.
Ne soyons pas aussi naïfs !
Donc sans rétablissement de la sécurité, inutile d’avoir des élections qui viendraient seulement assurer la permanence du même système à base de corruption et de violence armée auquel nous sommes actuellement asservis.
Elémentaire mon cher Watson !

Désarmez la rue est une condition indispensable …
Mais ce n’est pas tout : non seulement c’est opposition ‘kanpe lwen’, n’approchez pas car les groupes armés (et stipendiés ?) font bonne garde … mais cette insécurité fait aussi le jeu des plus radicaux (car aujourd’hui, bizarrement, on ne fait plus de différence entre les activistes partisans du tout ou rien et les acteurs politiques partisans du dialogue et de l’équilibre démocratique !) or en conséquence, voici ces derniers qui se retrouvent aujourd’hui prisonniers entre les uns et les autres, entre un pouvoir prêt à tout pour garder le pouvoir et des extrémistes qui luttent contre le système démocratique lui-même.
Conclusion : désarmez la rue est une condition indispensable pour réaliser les élections même considérées comme la chose la plus importante actuellement en Haïti, selon les déclarations du Secrétaire d’Etat américain lors d’un sommet qui vient d’avoir lieu avec les chanceliers de la Caraïbe, le jeudi 23 janvier, à la Jamaïque.
Une condition indispensable, certes mais en même temps pas la seule, comme nous verrons bientôt.

Haïti en Marche, 24 Janvier 2020