René Préval fut un politicien des plus madrés mais économe et respectueux des droits humains
PORT-AU-PRINCE, 3 Mars – De mémoire de vivant, c'est la première fois que toute la nation haïtienne répond avec un sentiment de sympathie à la mort d'un ancien président.
C'est René Préval. Le seul de plus qui accomplit deux mandats présidentiels (1996-2001 et 2006-2011. Et jusqu'au dernier jour de ses deux présidences.
Tout de suite après la nouvelle de la mort, survenue ce vendredi 3 mars, à l'âge de 74 ans, une blague a fait le tour des réseaux sociaux.
Une fois débarqué dans l'au-delà, Préval rend visite à son ami Fidel Castro :
'. Fidel : T'as pris trop de temps. Eske ou pote kleren ?
. Préval : Sorry amigo pou ti reta sa a ! Men se titid kap pote l. Msye pa lwen vini.'
Ti René (et même Ti Rèn pour les intimes) n'aurait pas détesté. Tout le monde sait qu'il avait le mot pour rire. Et c'est ce sens de l'humour qui le distingua de ses homologues.
Et qui devint même la marque de sa politique. Lorsque les émeutes de la faim faisaient rage (en 2008), et que plus d'un craignait que le pouvoir ne puisse tenir, il répondit du tac au tac aux manifestants, des propos qui sont passés aujourd'hui dans le langage courant. 'Pase chache m, ma pase chache w' (traduisez je suis prêt à vous rejoindre) mais surtout : 'Se naje pou w sòti' (les temps sont durs pour tout le monde mon ami).
Cela ne veut pas dire qu'il ne prenait pas en même temps toutes les dispositions pour augmenter la quantité de riz débarquant sur le marché local.
Mais il détestait la démagogie et fuyait le populisme servant à embrigader les masses mais pour ensuite les abandonner plus qu'avant à leur triste sort.
Toujours de bonne humeur, il m'apparut triste deux fois, plus triste que vraiment en colère.
Lorsque l'on tua son chien qu'il avait adopté au palais national et qu'il fut évident que c'était un avertissement politique ...
Et peu après lorsqu'une tentative d'assassinat eut lieu contre sa sœur Marie Claude Calvin, qui en sortit grièvement blessée.
Alors que Préval comme président et comme politicien (et un des plus retors de sa génération) n'a cependant aucune tendance à souhaiter le mal pour un adversaire.
Si ce dernier craint quelque chose de lui, ce n'est pas d'être frappé de sa foudre, mais c'est d'être récupéré dans sa toile.
Car chez René Préval, la politique n'exclut pas l'amitié.
Il eut même plusieurs membres de l'opposition comme ministres dans son administration.
Ce qui n'exclut pas non plus des reproches ou des rappels à l'ordre, mais avec toujours le mot pour rire.
Un côté peu formaliste qui le fit surnommer par le peuple 'président relax.'
Le seul capable aussi de circuler librement dans la rue, y compris pendant sa présidence et qu'il voulait faire la surprise aux petites marchandes du Champ de Mars.
Lorsque après sa présidence, il fut convoqué (lui aussi) au Parquet de la capitale dans le dossier de l'assassinat du journaliste Jean Dominique, qui fut l'un de ses plus proches, il s'y rendit sans aucune sécurité.
Ni jamais un mot déplacé à son endroit dans la presse locale, pourtant si versatile et qui cultive le scandale comme le sommet de l'art.
Pourtant 'Président relax' fut celui sous lequel Haïti a enregistré son dernier effort pour sortir de son statut de seul PMA (pays moins avancé) du continent.
Croissance annuelle du PIB (produit intérieur brut) en constante progression au moins jusqu'au séisme du 12 janvier 2010 qui détruisit le centre économique de la capitale haïtienne.
« 2004 (années de troubles politiques) : -3,51; 2005 : 1,79; 2006 : 2,25; 2007 : 3,34; 2008 : 0,84 mais 2009 : 3,08 etc. ».
Le tremblement de terre qui a failli enlever la vie également au chef de l'Etat, en détruisant le palais national, a été précédé d'un véritable boom touristique avec le choix par la Royal Caribbean de la station balnéaire de Labadie (nord) pour le voyage inaugural de son dernier né, le paquebot Oasis of the Seas.
Mais surtout Préval avait signé avec le Venezuela du président Hugo Chavez, en reconnaissance de la participation haïtienne à la libération de ce pays (1815 – amitié Pétion – Bolivar), l'accord Petrocaribe qui fournit à Haïti, en marge de l'achat du pétrole vénézuélien, la possibilité de maintenir une ligne de crédit, remboursable en 25 ans et avec seulement 1% d'intérêts annuels.
Le seul regret aujourd'hui est que le président Préval n'ait pas eu le temps, avant la fin de son second et dernier mandat (2011), d'engager, grâce à Petrocaribe, des projets d'envergure (comme le reboisement, une couverture santé générale ou autres).
A l'arrivée de son successeur Michel Martelly, les fonds Petrocaribe s'élevaient à plus de 2 milliards de dollars américains.
A la fin de l'administration Martelly, c'est nous qui avons une dette pour le Venezuela. Même les livraisons de pétrole qui n'étaient pas payées.
Au lendemain du séisme de 2010, Haïti obtenait une annulation de sa dette externe. Aujourd'hui celle-ci s'élève déjà à 2.4 milliards. Y compris envers le Venezuela. Et son remboursement bouffe 28.8% du PIB.
Si le peuple a un reproche pour René Préval, c'est d'avoir été plutôt pingre (en créole 'chiche', il considère comme une marque de mépris l'habitude de distribuer de l'argent à l'entrée du palais) mais certainement pas un dépensier comme presque tous ceux qui ont dirigé le pays à la même période.
Oui, notre seul chef d'Etat dont la mort est reçue comme un choc à tous les niveaux de la population.
Ce ne fut le cas ni pour les deux Duvalier (Papa et Baby Doc) bien entendu.
Ni pour les autres après eux !
Son secret, homme simple mais d'une simplicité qui lui est si naturelle que ses adversaires ont crû vainement pouvoir en tirer parti tandis que le pays a mieux compris que c'est une manifestation de sagesse. Vir bonus !
Au milieu d'une histoire de bruit et de fureur déclenchée pendant un demi siècle par tous les autres sans une seule exception (même quand c'est avec de bonnes intentions, qui sait), Ti René nous aura au moins fourni deux quinquennats de répit. Cela malgré que son règne fut marqué par la plus grande catastrophe qui nous eut frappé depuis plus de 100 ans – le séisme du 12 janvier 2010 (et qui sembla le laisser lui-même groggy – jusqu'à baisser sa garde pour nous laisser avoir un successeur comme qui l'on sait !).
Ci-git : Préval, il ne casse pas des briques. Mais il ne nous casse pas les pieds !
Pourquoi toute la nation s'arrête un instant pour saluer son départ.
Mais comme il aurait voulu : sans tambour, ni trompettes !
Marcus - Mélodie 103 FM, Port-au-Prince