Little Haiti devient officiellement membre de la riche métropole floridienne

MIAMI, 28 Mai – Le Little Haiti Cultural Center n'aura pas à changer de nom. C'est ce qui serait arrivé à ce beau centre dédié à l'art et à la culture d'origine haïtienne si le quartier haïtien de Miami (Dade County) devait reprendre son ancien nom de Lemon City, comme le voulaient certains citoyens de la ville, principalement blancs et noirs bahamiens.
Le jeudi 26 mai écoulé, les dirigeants municipaux de la Ville de Miami (Miami City Council) ont consacré leur séance plénière à cette question.
Conclusion : le quartier gardera son nom de Little Haiti.
Le dossier a été défendu par le 'commissionnaire' (adjoint municipal) Keon Hardemon, fils d'un militant juif qui lui-même avait déjà pris parti pour la communauté haïtienne lors de la création du quartier au début des années 1980.
Les partisans pour redonner au quartier son ancien nom de Lemon City, ou encore Little River comme il s'appelait tout au début, ont fait jouer, comme dans la fable, le droit du premier occupant.

Contribution à la guerre d'indépendance des Etats-Unis ...
Mais appuyé par une foule de résidents d'origine haïtienne, mobilisés par des leaders de la communauté, le commissionnaire Hardemon a mis, quant à lui, l'accent sur les souffrances endurées par les immigrants haïtiens qui ont débarqué sur les plages de l'Etat de Floride, sans compter des milliers qui sont restés au fond de l'océan, mais aussi l'importance d'Haïti, première république noire indépendante, pour toute la race noire et la contribution des futurs haïtiens à la guerre d'indépendance des Etats-Unis (bataille de Savannah) etc.
Des arguments qui ont emporté la décision du conseil municipal.
Le nom de Little Haiti restera.

La ville du citron et la petite rivière ...
Au commencement était Little River (Petite Rivière), nom donné à ces lieux par les Indiens (Séminole) qui commerçaient par la rivière avec le reste du continent.


Puis la mise en valeur des immenses plantations de citrus (oranges) qui s'étendaient du Biscayne Boulevard (d'aujourd'hui) jusqu'au quartier de Haileah, conduisit tout naturellement à la dénomination de Lemon City (la ville du citron).
Jusqu'à l'arrivée de l'ingénieur et entrepreneur Henry Flagler (1889) qui étendit le réseau national de chemin de fer jusqu'à ce qui constitue aujourd'hui le Down town Miami (Flagler Street), enlevant à la rivière (devenue aujourd'hui le Miami River) son monopole de voie principale de communication.
Le premier réseau de highway (autoroute) attendra jusqu'aux années 1970.
Désormais les plantations de mandarines avaient disparu du paysage, mais qui n'en demeura pas moins comme une sorte de halte passagère pour voyageurs commerciaux. Y fleuriront les boites de nuit et magasins d'articles érotiques.

 

Les noms des héros haïtiens ...
C'est dans cet endroit plus ou moins déshérité que seront logés les premiers immigrants haïtiens quand ils ont commencé à débarquer par la mer en 1980.
L'un des pères fondateurs de la communauté haïtienne, l'homme d'affaires Viter Juste, ancien exilé descendu de New York, eut l'idée d'intituler un article placé dans le quotidien The Miami Herald 'Little Port-au-Prince' (par analogie avec le quartier cubain de Miami, Little Havana). Le journal choisit plutôt le titre de 'Little Haiti.'
Et voilà !
L'événement a été fêté le week-end écoulé au Little Haiti Book Fair (foire du livre) organisé par la librairie Mapou (Sosyete Koukouy), dans les locaux du Little Haiti Cultural Center, au cœur du quartier de Little Haiti.
Little Haiti restera. Mieux encore, c'était jusqu'à présent une appellation symbolique. Désormais le nom est légal. C'est une décision administrative qui garantit que le quartier haïtien continuera à bénéficier plus qu'avant des égards réservés à tout autre.
Les rues continueront à porter les noms des héros haïtiens et des grandes personnalités américaines qui ont marqué également l'histoire entre les deux nations.

Le big business de l'immobilier ...
Mais la véritable menace n'a pas disparu. Et ne disparaitra pas. C'est l'occupation lentement et sûrement du quartier - celui compris grosso modo entre la 54e et la 79e Rues d'un côté, et de l'autre la 2e Ave Nord-Est et la 6e Ave Nord-Ouest - par le big business de l'immobilier. Des prix faramineux sont offerts aujourd'hui pour des propriétés qui ne valaient pas grand chose lors de l'implantation de la communauté haïtienne voilà 35 ans. Bien entendu très loin au-dessus des moyens des résidents haïtiens, qui lentement mais sûrement sont en train de plier bagages.
En même temps que la métropole de Floride, la ville de Miami, devient la Mecque d'autres nationalités, entre autres, de l'Amérique du Sud.

Une aubaine aussi pour le marché haïtien ? ...
Hier chasse gardée des Cubains fuyant le régime communiste de Fidel Castro, aujourd'hui une plateforme financière pour les milieux économiques du Venezuela mettant leur fortune à l'abri de la crise traversée par ce pays, en attendant l'arrivée peut-être aussi de leurs homologues brésiliens, aujourd'hui la confirmation du statut municipal de Little Haiti pourrait constituer aussi une aubaine pour le marché haïtien (en mal d'opportunités) si nos chefs d'entreprises et autres détenteurs de capitaux étaient capables de saisir le moment. Mais ce n'est pas dans la tradition de notre pays où l'on préfère ou mettre tous ses œufs dans un même panier, ou rien ! Quitte à s'entredévorer jusqu'au dernier quand il ne reste plus rien.
Aussi risque-t-on un jour pas si lointain de voir les affiches de toutes les autres dénominations du continent qui s'alignent le long de la 2e Avenue N.E. (ateliers d'art, restaurants, centres d'artisanat, produits tropicaux, centres de dégustation, design etc), sauf celles d'Haïti. Et tous bénéficiant sans effort du made in Haiti, vu le poids reconnu de notre pays sur le marché culturel.
Que peut-on faire ?
Commencer par y réfléchir.

Haïti en Marche, 28 Mai 2016