ARCAHAIE, 18 Mai – Arcahaie où se commémore la fête du drapeau national, le 18 Mai, est une petite ville très coquette qui retrouve son calme total et, présumons-nous jalousement gardé, une fois repartie la meute vers la capitale, Port-au-Prince.
C'est aussi l'occasion de constater que la catastrophe environnementale qui menace d'envoyer tout Port-au-Prince, au sens propre du mot, dans la tombe, est en train aussi, lentement mais encore plus sûrement, d'englober tout le pays.
Selon notre manuel scolaire d'histoire, le Petit Dorsainvil, l'empereur Dessalines a éti : té tué (le 17 octobre 1806) au Pont Rouge, qui marquait lors l'entrée de Port-au-Prince, la capitale d'Haïti.
Cependant dans la prime adolescence de l'auteur de cet article (années 1950), Port-au-Prince au nord n'allait pas plus loin que la Gare du Nord, à l'endroit où aujourd'hui l'autoroute de Delmas rencontre le Boulevard Jean Jacques Dessalines.
La vénérable Gare du Nord sera détruite dans un incendie sous la présidence de Jean Claude 'Baby Doc' Duvalier, dans les années 1970.
Selon la rumeur, elle était surtout devenue une cache pour la drogue en provenance de Colombie (cartel de Medellin).

'Les villes tentaculaires et les campagnes affamées' ...
Mais même après la chute de fiston Duvalier (février 1986), après 29 ans de règne sans partage, que Port-au-Prince ne dépassait pas la limite de l'Aéroport international.


Le nouveau réseau d'autoroutes qui dessert aujourd'hui cette partie de la zone métropolitaine a été construit sous la première présidence de René Préval (1996-2001), probablement sans en prévoir les conséquences sur l'extension extrême de la bidonvilisation que cela allait entrainer. Il est vrai spécialement après le séisme du 12 janvier 2010 qui a détruit les ¾ des quartiers de la capitale, Port-au-Prince.
On peut reprocher aujourd'hui aux Duvalier de n'avoir pas vu assez grand (eux seuls qui avaient le pouvoir de le faire !) en laissant plus de place pour l'Aéroport international, au moins jusqu'aux pieds du Morne à Cabrits, l'élévation la plus proche, au-delà de la Plaine du Cul de Sac, comme on l'a fait pour l'Aéroport Charles de Gaule à Paris, ou au Japon ou Miami par-dessus les marais des Everglades, Haïti étant aussi un pays à vocation touristique.
Cela aurait protégé contre l'urbanisation d'abord à marches forcées, puis urbanisation sauvage, des terres préalablement consacrées à la canne à sucre (usine de production sucrière Hasco, créée sous l'Occupation américaine – 1915-1934) ainsi qu'à d'autres productions maraichères.
Mais surtout cela nous aurait peut-être (souligner bien le 'peut-être') un peu protégé du processus de bidonvilisation qui s'exerce aujourd'hui sans limites, sans frein.
Tout le monde sait que poussées par la famine, qui commence par décimer la campagne, les masses affamées dégringolent vers la capitale ('Les villes tentaculaires et les campagnes affamées') où elles espèrent ...
Où elles n'espèrent rien du tout. Mais c'est comme ça !

Megalopolis du pauvre ...
Par exemple aujourd'hui, quand on nous dit que sous le coup de la sécheresse qui a sévi ces deux dernières années, ce sont 1.5 million de nos compatriotes qui sont frappés par la famine et que si on rate la campagne (agricole) de printemps en ce moment, ce sont 3.5 millions (sur 10 millions) qui y seront exposés, on mentionne le Sud-Est, le Nord-Ouest, le Haut-Artibonite etc mais pas la capitale. Et pourtant !
En un mot comme en cent pour dire que si rien n'est fait pour limiter et délimiter les dégâts, Port-au-Prince déjà hyper-bidonville, Megalopolis du pauvre, comme dans un mauvais film de science fiction, qui a depuis longtemps dépassé ses limites, off-limits, comme un diable libéré de ses chaines, pour parvenir désormais, jusqu'à plus de cent lieues à la ronde, jusqu'à Ti Tanyen (est-ce par peur des dizaines de milliers de victimes anonymes du séisme inhumés en ces lieux !), Port-au-Prince, le Port-aux-Crimes comme l'avait surnommé le vieux président Jean Louis Pierrot, vétéran de la guerre de l'Indépendance, finira par entrainer tout le pays dans sa vertigineuse descente aux enfers.

Un système d'aménagement rigoureux du territoire ...
Conclusion : il faut dresser, IMMEDIATEMENT des barricades, ce qui aurait dû déjà l'être au moins depuis les Duvalier (1957-1986). Et encore ! Un système d'AMENAGEMENT rigoureux du territoire national. Un halte-là ! Une redistribution de l'espace, en parties consacrées EXCLUSIVEMENT à telle activité et/ou telle autre.
Cela a commencé certes. Mais sur le papier. De manière académique et qui n'arrive pas à maitriser l'anarchie.
Une fois passé Ti Tanyen, quelques pans d'espaces verts y compris avec quelques vaches broutant, comme dans une carte postale, mais si brièvement. Ce sont de grandes propriétés clôturées et apparemment consacrées au secteur industriel ou para-industriel (avec aujourd'hui pas loin le Port Lafito, qui espère devenir un point fort du commerce maritime dans cette partie de la Caraïbe) mais au-delà de la courte plaine qui longe la Côte des Arcadins, déjà au fond la montagne se hérisse de constructions de bric et de broc annonçant le prolongement et l'arrivée sous peu et jusqu'à ce niveau, du plus grand bidonville de la Caraïbe et que rien n'arrête, en un mot Port-au-Prince.
Or ces constructions qui pointent dans la montagne, jusqu'au niveau de l'Arcahaie ou de Montrouis, c'est la reproduction du même schéma qui, comme l'ont prouvé les dernières averses, nous condamne irrémédiablement, nous Port-au-Princiens, à aller nous confronter nez à nez avec ultimement les êtres microbiens les plus fantasques qui peuplent le fond du golfe de La Gonave.
On l'aura mérité par notre insouciance. Mais y condamner aussi tout le pays !

Haïti en Marche, 18 Mai 2016