Projets réalisés : un bilan relatif
PORT-AU-PRINCE, 8 Mars – On ne pourra nier que de nombreux projets sont accomplis sous l’actuel gouvernement mais impossible de ne pas en garder aussi, et dans de nombreux cas, une impression d’inachevé.
Difficile de savoir pourquoi. Est-ce le pouvoir qui voit trop grand ? Dans son besoin presque maladif de propagande. Ou parce que le financement ne lui appartient pas en propre (BID, Banque mondiale, UE, Japon, Taiwan, Petrocaribe sont les principaux partenaires, et particulièrement ce dernier par la grâce du défunt président vénézuélien Hugo Chavez et de son successeur Nicolas Maduro) ?
Ou le processus d’appel d’offres qui n’est pas suffisamment respecté, sinon maitrisé ?
Ou d’autres causes moins avouables, comme le copinage, le ‘scratch my back’, le jeu des commissions, petits copains petits coquins etc ?
‘Lajan monte bwa’ …
En tout cas il est évident que l’heure du bilan commence à sonner. Et que trop de ces projets restent inaboutis. Tandis que d’autres sont déjà - officieusement – abandonnés. Pour cause de financement prétendument insuffisant. ‘Lajan monte bwa.’ Et ça nous fait une belle jambe.
Plusieurs de ces projets et non des moindres. Pourquoi donc avoir soulevé tant d’espérance ? De quoi pousser soi-même le peuple vers certaines extrémités. Irresponsabilité, oui, des dirigeants. Le secrétaire d’Etat aux travaux publics, transports et communications vient d’annoncer que les travaux pour rendre l’aéroport des Cayes (chef-lieu du Sud et 3e ville du pays) international, sont susceptibles de coûter le double de ce qui avait été prévu (US$ 40 millions au lieu de US$ 23) …
Idem pour l’aéroport de Jacmel (Sud-Est), ville déjà dotée de plusieurs infrastructures touristiques. Le coût des expropriations nécessaires, dit-on aujourd’hui, reviendrait à plus que les quelque trois millions qui avaient été mis de côté pour la construction de la nouvelle piste.
Jusqu’à l’aéroport du Cap-Haïtien (au Nord et 2e ville du pays) qui, quoique agrandi, attend encore les ouvrages complémentaires pour l’élever à la hauteur d’un véritable aéroport international.
A plus forte raison un pays qui se veut une vocation touristique.
Style Nouvelle Orléans ou Key West …
Tout récemment le président Michel Martelly inaugurait d’intéressantes innovations dans le quartier historique de Jacmel. Estimation : pas moins de dix millions de dollars. Un centre de convention international et un front de mer couleur locale, réalisé par les artistes de la ville qui est reconnue à ce sujet.
Tout l’ensemble placé sous la même dénomination : Pétion-Bolivar. Le président Alexandre Pétion, l’un des héros de l’indépendance d’Haïti, donnera au Libertador de l’Amérique du Sud, Simon Bolivar, les moyens d’accomplir sa mission et le dernier assaut partira de Jacmel, juste en face de la côte sud-américaine.
Malgré l’importance (et la beauté, et aussi le coût) de l’œuvre, elle reste largement inachevée. Le ‘convention center’ est prisonnier d’un ensemble hétéroclite de boîtes de nuit et autres bouisbouis qui lui enlève toute sa grandeur. Quant à la promenade du bord de mer, elle aboutit inopinément dans une sorte de cul de sac qui lui enlève toute sa perspective. Faute d’avoir pu accomplir les expropriations nécessaires. Bref on donne sa langue au chat ! Et difficile d’espérer que se réalisent jamais les autres éléments du plan de rénovation du quartier historique de Jacmel : rue piétonne style Nouvelle Orléans ou Key West (Floride) dont cette ville est cousine, hôtels 3 voire 5 étoiles etc.
Mystère ! …
Et pourtant ce sont là des réalisations dont se glorifie abondamment le gouvernement. Et à bon droit. Mais alors pourquoi n’être pas allé jusqu’au bout ? C’est le cas de dire : mystère et boule de gomme !
Trop de ces innovations ressemblent aux feux de signalisation à la capitale, Port-au-Prince. Dès l’arrivée du nouveau gouvernement, tous ont été renouvelés, revus et augmentés considérablement. Mais deux années plus tard, rien ne marche, aucun ou presque ne fonctionne sinon une fois ou deux.
Problèmes avec la firme devant faire l’entretien des équipements, si tant est que cette firme ait jamais réellement existé. ‘Ti zanmi’ (copinage) ? On ne sait. Les secrets sont réellement bien gardés. Sinon le gouvernement aurait tôt fait de dénoncer la rupture illégale de contrat et d’exiger réparations.
Course contre la montre …
Un autre aspect important est que le gouvernement semble pris dans une sorte de course contre la montre qui, elle non plus, n’est pas très explicable.
Alors même qu’on attend encore le complet achèvement de l’aéroport international du Cap-Haïtien, voici annoncés coup sur coup des projets pour d’autres aéroports internationaux un peu partout (Cayes, Ile-à-Vache etc) mais pour déclarer quelques mois plus tard qu’il faudrait doubler le budget ici et là. Chez nous cela équivaut le plus souvent à une fin de non recevoir.
On connaît les difficultés actuellement rencontrées auprès de la population de l’Ile-à-Vache pour réaliser le ‘Projet touristique’ déjà tant vanté par les officiels … mais dans le même temps, voici que semble avoir commencé aussi la prospection d’autres îles adjacentes. Serait-ce, pour répéter La Fontaine, qu’‘un trésor est caché dedans’ ! Ce ne sont que notes de presse rapportant la visite tant du chef du gouvernement que des ministres à La Tortue, puis La Gonave. Que se passe-t-il donc ? Officiellement pour venir en aide à la population. Mais c’est partout dans le pays que la population a besoin d’aide. Aujourd’hui plus que jamais avec notre gourde (monnaie locale) en chute libre. Plus que jamais : ‘zòrèy bourik’.
Mais aussi des acquis indiscutables …
Récapitulons un peu : à aucun moment ces dernières années on avait vu autant de projets en réalisation dans le pays. La route du Sud ou Nationale 2 a été réhabilitée sur toute sa longueur, on fait comme autrefois (les années 70) Port-au-Prince – Cayes en moins de 4 heures ; le Département des Nippes a sa première route nationale, effective jusqu’à Petite Rivière de Nippes, le reste en construction via Anse à Veau et Petit Trou de Nippes, département qui sera relié pour la première fois au reste du pays par la route asphaltée.
Actuellement se réalise un nouvel axe Jacmel (Sud-Est) vers La Vallée de Jacmel, une grande voie par delà monts et vaux et qui emploie autant la main d’œuvre locale que des équipements lourds.
Le Département du Sud-Est n’a définitivement pas à se plaindre. Les travaux de fortification des berges sont un fait accompli, de l’entrée de Jacmel jusqu’à Marigot, d’où l’on voit au loin Les Pédernales, sur la frontière avec la République dominicaine voisine.
Tour de Babel …
Mais en même temps on n’arrive pas à s’expliquer cette marotte (ou véritable crise) d’un gouvernement qui laisse l’impression de vouloir consumer d’un seul coup toute la fortune nationale. Ah !
Officiellement pour mettre le pays à niveau et en état de bénéficier d’investissements étrangers. D’accord. Mais ne risquons nous pas avec tant de projets inachevés, voire quand le gouvernement accuse lui-même de mauvaises estimations comme dans le cas de l’aéroport des Cayes et partant laissant percevoir un certain manque de coordination - à se demander même s’il existe véritablement un agenda général, eh bien ne risque-t-on pas de se retrouver devant une autre catastrophe ? Un énorme gaspillage faute d’un véritable plan directeur ou tout simplement pour avoir mis, dans bien des cas, la charrue devant les bœufs. Si ce n’est pire …
Une sorte de tour de Babel ne servant finalement pas à grand chose.
Une nouvelle Citadelle pour l’admiration des touristes, mais après 2 siècles !
Mais une autre faiblesse du gouvernement pourrait être sa méfiance totale de la moindre critique et de ne vouloir en faire qu’à sa tête. Comme on le voit dans l’affaire de l’Ile-à-Vache …
Haïti en Marche, 8 Mars 2014