NUIT ET BROUILLARD!
JACMEL, 8 Octobre – Deux cataclysmes presque coup sur coup. Le séisme de 2010 aux 200.000 morts. L'ouragan Matthew qui vient de décimer vies et biens les départements du Sud, de la Grande Anse et des Nippes. On parle de 600 morts ou plus et de 80 à 90 pour cent des maisons endommagées, de plantations et d'élevages disparus.
Des villages entiers (Dame Marie, Les Anglais dans la Grande Anse) restés prisonniers sur eux-mêmes.
Jusqu'à ce samedi (8 octobre), 4 jours après le passage de Matthew, impossible de se frayer un chemin jusqu'à ses compatriotes abandonnés à la faim, à la soif. Et à la peur ! L'ouragan est resté 12 heures au-dessus de la Grande Anse. Penser au regard des enfants pris encore là-dedans
Le martyrologe continue : Anse d'Hainault 12 morts, D'Espagne 15 morts, Abricot 5 morts, Baumont 82 morts, Mouline 58 disparus, Moron 85 morts, Jérémie 31 morts etc.
Une double hécatombe.
Et devant laquelle nous n'avons que nos yeux pour pleurer (principalement les victimes ou leurs parents), nos mains jointes pour prier et rien d'autre parce que les mains vides.
Ce sont au contraire autant de coups qui viennent accélérer notre descente dans l'enfer de tous les maux : le chômage, la pauvreté extrême, et carrément la famine pour ces populations qui ont perdu aussi bien leur foyer que leur gagne pain. Mais aussi le désespoir qui pousse la jeunesse à prendre le chemin de la migration sous sa forme la plus risquée : traverser tout le sous-continent par n'importe quel moyen pour aller rechercher l'asile aux Etats-Unis par la frontière américano-mexicaine.
La malédiction de toutes les puissances esclavagistes ...
Mais ces coups de la fatalité, ajoutés à nos erreurs et nos errements de nation, ces derniers dus aussi, du moins pour une bonne part, au fait d'avoir pris naissance (1804) poursuivie par la malédiction de toutes les puissances esclavagistes de l'heure (dont la plupart qui règnent encore dans le monde aujourd'hui) - sans vouloir écarter nos torts à nous, probablement plus condamnables car on ne peut passer des siècles à vouloir s'excuser sur le dos des autres, mais contrairement à ce que disent diplomates et journalistes étrangers qui assistent en première loge à notre martyre, ces coups du destin ne nous rendent pas plus 'résilients (plus forts), en tout cas pas à nos yeux, mais augmentent chez nous le sentiment de n'être pas aimés, parce que portant le poids de notre condamnation, celle d'être les fils et filles d'un pays qui avait osé défier les maîtres de l'humanité.
Le huis clos total ...
Au niveau du symbolisme nous voici entre un Adam et Eve chassés du paradis pour avoir gouté au fruit défendu et ... le Penseur de Rodin. Nu (sans plus rien sur le dos) et plongé dans une réflexion insondable !
Sans oublier l'inévitable côté auto flagellation. C'est ma très grande faute !
No way out. Le huis clos total.
Le gouvernement Préval était sorti du séisme du 12 janvier 2010 dans un état de prostration, qui lui fut reproché.
L'actuel gouvernement provisoire semble en pleine effervescence.
Mais dans les deux cas, le problème reste entier.
Comment sortir du piège qui continue à se refermer davantage sur nous à chacune de ces étapes ?
Résilience ? Peut-être. Car la pensée du Titanic nous effleure-t-elle qu'aussitôt nous remonte l'image du géant Antée qui reprend force à chaque fois que ses pieds touchent à nouveau le sol.
Oui c'est bien ça l'Haïtien. Ça s'engueule et ne cesse de s'accuser les uns les autres de la catastrophe nationale mais ça ne peut s'empêcher de se rappeler qu'on reste les enfants de Toussaint, Dessalines, Capois, ces hommes d'airin.
Car quoi de pire que l'esclavage et la Traite !
Haïti en Marche, 8 Octobre 2016