PORT-AU-PRINCE, 7 Décembre – Haïti a eu aussi son Nelson Mandela. Avant l’heure. Plus de deux siècles auparavant. Et il s’appelle Toussaint Louverture.
En effet, comme Mandela, Toussaint Louverture a œuvré pour une nation multiraciale. Où blancs et noirs coexisteraient. Dans la liberté.
Mais notre Toussaint était bien sûr trop en avance. Deux siècles trop tôt.
Ou plutôt la France qui était en retard. La France de la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1789 qui avait nourri l’idée d’indépendance dans sa colonie de Saint Domingue mais pour se renier seulement quelques années plus tard dans une caricature de monarchie militariste et colonialiste, sous la botte de Napoléon Bonaparte, qui n’a rien trouvé de plus pressé que de vouloir rétablir l’esclavage à Saint Domingue.
Celui qui signait sa correspondance ‘Du premier des noirs au premier des blancs’ ne se payait pas de mots. Toussaint Louverture voulait en effet la liberté pour ses frères et sœurs, la liberté et la dignité, mais dans la coopération avec les forces de progrès et à l’époque c’était les colons qui avaient fait la prospérité de la colonie dans les décennies précédentes qui lui ont valu le label de ‘la perle des Antilles.’

La Constitution de 1802 …
Après s’être rendu maître de la colonie par ses victoires militaires contre l’Espagne et l’Angleterre, le Gouverneur général fit, à la surprise générale, appel aux mêmes colons qui avaient fui le pays en guerre.


La Constitution de 1802 devait consacrer cette nouvelle entité multiraciale sans précédent. L’autonomie tout de suite. Plus tard, on verra.
Mais la France n’était pas aussi en avance. Envoi d’une force expéditionnaire. Celle-ci sera, comme l’on sait, battue par l’armée indigène sous la direction des lieutenants de Toussaint Louverture et culbutée hors de l’île.
Mais au prix du sacrifice de la vie de celui que Haïti appelle avec justesse ‘le Précurseur.’
Précurseur et par conséquent sur plus de 2 siècles.

 

La France avait perdu …
Toussaint fut trahi par les généraux de Napoléon, et expédié en France, détenu dans des conditions cruelles et humiliantes par des bourreaux bassement n’en voulant qu’à son soi-disant trésor qu’il avait caché avant de laisser Saint Domingue. Et laissé à mourir seul dans sa peau dans une cellule froide.


La France avait perdu, forcée par exemple qu’elle fut de vendre la Louisiane aux Américains dans des conditions très désavantageuses. Napoléon devait lui-même le reconnaître dans ses mémoires pendant son exil à Sainte Hélène, une possession britannique.
Haïti a gagné son indépendance et sa fierté de premier peuple noir ayant conquis sa liberté par ses propres moyens mais dans des conditions économiques précaires et qui durent encore.

Qu’est-ce qui a changé ? …
Le rêve de première nation libre multiraciale ne renaitra pas avant deux siècles plus tard. Après la libération après 27 ans de prison du militant sud-africain Nelson Mandela.
Faut-il encore souligner que celui que le monde entier célèbre aujourd’hui comme l’icône par excellence du pacifisme commença, comme Toussaint Louverture, son parcours par la lutte armée.
Comme Toussaint enfermé au Fort de Joux et plaidant seul sa cause dans ses lettres à Napoléon mais qui ont abouti toutes probablement à la poubelle, Nelson Mandela assura lui-même sa défense devant le tribunal sans pardon du système raciste ou Apartheid. Pour être condamné lui aussi à la prison à vie.
Mandela sort néanmoins de prison 27 ans plus tard. Et c’est pour devenir le premier président de la première nation démocratique et multiraciale : l’Afrique du Sud.
Blancs et noirs se bousculent pour déposer des fleurs devant la maison où il repose à Johannesburg après son décès jeudi (5 décembre) à l’âge de 95 ans.
Qu’est-ce qui a changé ?
Le monde est-il devenu plus pacifique et compréhensif. Difficile à dire au moment où ce qu’on a appelé trop vite le Printemps arabe s’est transformé l’instant d’après en un terrible cauchemar.

‘L’identité française’ ! …
Ou quand la même France (et ce n’est qu’un exemple entre mille) qui chante aussi bien sûr les louanges de Mandela ne parle aujourd’hui encore, et dans toutes ses composantes politiques, aussi bien à droite qu’à gauche, que de la protection de l’’identité française’ ! Et au milieu de manifestations soudaines du racisme le plus bas.
Mais c’est encore la même France qui a reconnu l’erreur qu’elle avait faite en 1802 et tenté de se réhabiliter en faisant entrer Toussaint Louverture (‘Général français, Gouverneur général de Saint Domingue’) au Panthéon aux côtés des plus grands de son Histoire.
Mais pour finir, est-ce seulement la France qui ne l’avait pas compris, Toussaint Louverture avait-il plus de chance du côté de ses propres partisans et administrés, anciens et nouveaux libres ?
Prenons un exemple. Un autre de ses lieutenants, sous le nom de Roi Christophe, tentera une expérience un peu similaire. Troquant les français pour des anglais.
Le peuple s’est réjoui à sa mort !

Haïti en Marche, 7 Décembre 2013