Dany ou un Immortel comme les autres !

MIAMI, 15 Décembre – Dany Laferrière reçu à l’Académie Française. Un petit Haïtien prenant place parmi les Immortels. Sous ces voûtes où ont retenti les voix de Richelieu, qui l’a fondée en 1635 sous le règne de Louis XIII, de Victor Hugo, Alexandre Dumas, Paul Valéry, François Mauriac, Lévi-Strauss et Co. Le second noir à y accéder après le président sénégalais Léopold Senghor, rien de moins.


C’est le cas de dire : incroyable mais vrai !
Sauf pour Dany qui aurait bien pu avoir nourri ce rêve depuis les longues randonnées à travers les rues de la capitale haïtienne hantées par la police politique du régime dictatorial de Duvalier fils, surnommé Baby Doc, lorgnant pour journalistes, militants, écrivains, artistes ou tout autre jeune hors des normes fixées par le père de la dynastie, Tyrannosaurus Papa Doc.
Comme aurait dit ce représentant du Tiers Etat en 1789 : je n’ai rien, donc je veux tout !


Le talent au service de l’audace, saine audace parce que avec une idée plus haute de ce que peut (et doit) faire le jeune Haïtien pour aider à reformater l’image de son pays piétinée par au moins deux siècles de discriminations, d’incompréhension réciproque et de tyrannie obscurantiste.

 

Sans parrain ! …
Dany Laferrière confie qu’il a posé lui-même sa candidature à l’Académie Française. Sans parrain. Go Dany, go ! On croit entendre la petite bande des reporters et chroniqueurs de l’hebdomadaire Le Petit Samedi Soir des années 1970.

‘Se parler par signes’ …
Le talent et l’audace comme nouvelle idéologie quand toute idéologie, aussi bien de droite (Déjoiste et Fignoliste des présidentielles de 1957) que de gauche, avait été écrasée, éradiquée, réduite à néant dans un pays devenu une plaque tournante de la Guerre froide et une dernière frontière pour les puissances occidentales face au communisme qui a pu s’établir à un vol d’oiseau des Etats-Unis : Cuba.
Après une décennie entière (années 1960) à ‘se parler par signes’, selon l’expression de Phelps, que peut faire un jeune Haïtien, instruit mais désargenté, apparemment sans avenir, sans se faire détruire à son tour ? Gratuitement.

Devenir le plus grand ! …
Peu aussi qui pensaient à gagner l’exil alors que les possibilités de visa étaient bien moins difficiles qu’aujourd’hui.
Curieuse réponse : seule façon d’échapper à un destin aussi fatal : devenir le plus grand ! Il n’y avait pas le choix. Dans quelque domaine que ce soit. Un rêve, certes. Mais en travaillant sans relâche à se donner les moyens qu’il devienne réalité. Aussi fort que possible. C’est un devoir. Un must. J’ai toujours pensé à cette époque comme le cowboy qui continue d’avancer vers un horizon dont il sait qu’il ne verra jamais la limite. Le Ranger solitaire. Le Desperado. Entre la terre, le plancher des vaches, et le ciel par où s’échafaudent les plans les plus imaginatifs (pas inimaginables).
Même formant une bande à part dans ce tout Port-au-Prince qui nous faisait si peur mais si plein de surprises et d’excitation à la fois, aucun label ou nom d’école revendiqué. Le terme ‘presse indépendante’ a peut-être été une invention de la police secrète du colonel Jean Valmé, chef redouté des services de renseignements.

‘Des héros de roman’ …
Et comme il était trop risqué de rêver devenir le nouveau Jacques Stephen Alexis, célèbre romancier haïtien tué par le régime ‘tonton macoute’ en débarquant les armes à la main, alors va pour ‘the Great Gatsby’ ou Walter Cronkite, le monstre sacré de la télé américaine. Va, pourquoi pas, pour l’Académie Française ! Rien n’est trop grand pour le rêve. Tant que celui-ci est considéré comme une succession de frontières à dépasser l’une après l’autre. Comme dans un western de John Ford. Ou la dernière image des films Charlot.
Frankétienne ira chercher le scénario de sa pièce la plus célèbre, Pèlen Tèt, dans une œuvre européenne de l’Est ; René Philoctète revient à Mr. de Vastey (de la Cour du roi Christophe) …
Comme Cyrano : ‘nos modèles étaient des héros de roman.’
Dany Toussaint quant à lui ne rêvait à l’époque que des romanciers haïtiens de La Ronde. Non seulement il les faisait lire à tout le monde grâce à ses chroniques dans Le Petit Samedi Soir (grâce aussi aux Editions Fardin qui se sont aussitôt mises à les republier en version bon marché) mais il se promettait de devenir lui aussi un jour un aussi excellent conteur que Frédéric Marcelin, Justin Lhérisson, Fernand Hibert.

Et la mémoire …
Si l’on veut connaître Dany Laferrière et pourquoi il est l’un des rares écrivains haïtiens à avoir écrit une ‘série’, les romans consacrés à Petit Goâve où il a grandi et à sa grand mère Da (d’où aussi son influence sur les jeunes Haïtiens d’aujourd’hui, on connaît la popularité de ce genre surtout à la télé) ce n’est pas du côté des ‘Rougon-Macquart’ de Zola qu’il faut chercher mais dans son admiration sans bornes pour les écrivains de La Ronde. Comment au-delà de toute idéologie imposée ou importée, créer un univers bien de chez nous et amener le lecteur non seulement à se regarder comme dans un miroir mais aussi y projeter ses sentiments les plus beaux, les plus secrets, les plus nobles. On aurait dit le patriotisme, si le mot ne risquait pas de faire justement trop pompeux.
C’est cette même démarche que l’écrivain, qui s’épanouira au Québec, continuera à perfectionner, tantôt au cinéma, toujours entre le rêve et la réalité, sans capoter d’un côté ni de l’autre. Tantôt, et mieux encore, dans la littérature enfantine, mais non infantile.
Toujours au-dessus des modes. Jamais au-dessous de ces sentiments parmi les plus humains qui se nomment la simplicité. Et même l’humilité.
Et enfin la mémoire. Gasner Raymond et Ezéchiel Abélard disparus dans ‘la machine’ de Baby Doc (comme ce dernier le qualifie comme si les victimes sont seuls coupables). Et notre cher Emmanuel Pierre Charles, notre Leonard de Vinci du Bel Air, enlevé à notre affection par un cancer.
Bravo Dany mais surtout merci de tant de fidélité !

Marcus, Haïti en Marche, Mélodie FM