MEYER, 16 Novembre – C’est la politique haïtienne qui a donné à nos voisins dominicains l’ascendance qu’ils semblent exercer sur nous aujourd’hui jusqu’à vouloir nous traiter ouvertement avec un total mépris.

C’est donc par la politique que viendra aussi éventuellement la solution.
Sans avoir besoin de remonter jusqu’au massacre de plusieurs milliers de paysans Haïtiens (30,000 selon certaines sources) d’ordre du dictateur dominicain Rafael Leonidas Trujillo mais accompli avec l’assurance que, par la corruption, il pouvait avoir la classe politique haïtienne dans sa poche (voir en annexe correspondance avec un proche du candidat aux présidentielles de 1957, le sénateur Louis Déjoie).
Mais fort aussi de l’indifférence des grandes puissances vis à vis de cette petite nation nègre. L’année où eut lieu le massacre des Haïtiens par Trujillo, 1937, fut aussi celui du début de l’Holocauste, l’élimination des Juifs dans l’Allemagne nazie et les pays occupés par cette dernière, période coïncidant avec la Deuxième guerre mondiale (1937-1945). Or jusqu’à nos jours on poursuit les disciples et complices de Hitler alors que la pression internationale se contenta de contraindre Trujillo à verser des réparations financières (US$750.000) à l’Etat haïtien (dont une grande partie disparaitra, comme on devine, dans les gorges profondes de la corruption).

De 25 millions à 1,4 milliard …
Mais faut-il remonter aussi haut quand en septembre 1991, lorsqu’éclata le coup d’état militaire qui renversa le premier gouvernement du président Jean-Bertrand Aristide, nos importations de la république voisine étaient estimées à moins de US$25 millions.


Elles vont suivre une progression vertigineuse, insensée pour atteindre en 2012 (il est vrai après le séisme de janvier 2010) : US$1, 4 milliard.
Cela commença avec l’embargo commercial contre le régime militaire. Pendant que le monde entier nous fermait la porte, tout continuait à nous arriver du pays voisin. Y compris le pétrole. Par la contrebande évidemment. Une mauvaise habitude s’installait et qui ne va jamais partir. Le gouvernement actuel signalait que nous perdons aujourd’hui en recettes non perçues, et par le commerce informel, environ US$300 millions l’an.

 

Est-ce simple hasard ? …
Mais la vraie catastrophe fut la perte des contrats de fabrication d’articles semi-industrialisés (les factories ou l’assemblage) qui émigrèrent vers des cieux plus tranquilles, entre autres chez nos voisins.


Et son corollaire direct : la perte de dizaines de milliers d’emplois. Autant de candidats pour l’émigration clandestine dont l’une des principales destinations se trouve être, bien entendu, la république voisine. Nous commençons dès lors à nous enfermer dans ce piège infernal.
Mais est-ce simple hasard ? Et si tout cela avait été prémédité ? Quand on se souvient que le président Joaquin Balaguer, fils spirituel de Trujillo, joua un rôle de catalyseur dans le coup d’état du 30 septembre 1991 (Aristide avait été installé seulement 7 mois auparavant) débarquant des centaines d’immigrants illégaux haïtiens jusque devant le palais national de Port-au-Prince, dans une attitude de défi. Mais avec probablement aussi (comme avant lui Trujillo) la complicité des décideurs haïtiens (l’armée et les élites) ?

 

Elus également irresponsables …
Mais on aurait tort de ne pas mentionner aussi le comportement irresponsable des élus du peuple : Aristide avait été élu avec une majorité insolente des voix ; idem le nouveau parlement dominé par le même secteur politique, mais qui ne tarda point à éclater en mille morceaux une fois le pouvoir obtenu.


Ce n’était que manifestations populaires et empoignades entre frères ennemis, quotidiennement, pendant que les nouveaux gouvernants n’arrivaient pas à maitriser la machine gouvernementale, pris dans leurs propres contradictions dont la première est de ne pas pouvoir accomplir leurs promesses. Alors on s’invente des ennemis. Mais en oubliant que ceux-ci existent pour de bon. Comme un Balaguer. Et que de ce côté le piège est déjà tendu. Soigneusement.
Comme il peut l’être aujourd’hui encore !!!
Depuis lors, Haïti se trouve sous la coupe de la République dominicaine voisine. Celle-ci nous tenant désormais par le ventre. Et elle ne nous lâchera plus.

 

Sucre amer …
L’animosité contre Aristide est évidente. N’avait-il pas osé chanter les funérailles symboliques de la zafra (embauche des paysans haïtiens pour les plantations de canne dominicaines dans des conditions proches du servage) et proclamé devant l’Assemblée générale de l’ONU que plus jamais on ne boira le ‘sucre amer’ trempé dans le sang haïtien ?
Aristide fut ramené au pouvoir trois ans après le coup d’état militaire (en septembre 1994) et à l’initiative de l’administration Clinton qui dépêcha une expédition militaire en Haïti. Le premier président renversé puis rétabli dans ses fonctions de toute l’histoire du continent américain, eut cependant à peine le temps pour organiser les prochaines élections (législatives – remportées par l’OPL, puis présidentielles qui porteront René Préval à la présidence).

‘A bunch of tugs’ …
Mais le temps aussi pour démettre les forces armées qui avaient perpétré le coup d’état le plus sanglant de l’histoire du pays.
Les Etats-Unis applaudirent. Mais comment savoir s’il n’y avait pas là aussi un piège ? Le même piège. Les militaires haïtiens s’étaient certes comportés, comme l’a dit le Premier ministre du Canada, Brian Mulroney, comme une bande d’assassins (‘a bunch of tugs’), tirant sur les résidents des quartiers populaires à bout portant afin de leur enlever le goût de voter pour les candidats de leur choix - et la bourgeoisie haïtienne qui soutenait le pouvoir militaire de ‘most repugnant elite’ (l’élite la plus répugnante !), mais est-ce qu’on ne s’est pas tous fait avoir, aussi bien peuple que élites, bref toute la nation ?
Oui, parce que en même temps ce sont d’autres qui tiraient les marrons du feu.

Le sabre et le goupillon …
Que l’Armée d’Haïti n’ait jamais servi depuis sa création par l’occupant américain (1915-1934) qu’à mâter le moindre soubresaut populaire et à commettre des coups d’état dont certains d’une brutalité inouïe (30 septembre 1991 mais aussi le renversement du président provisoire Daniel Fignolé le 14 mai 1957 après seulement 19 jours au palais national), et que ladite armée n’ait jamais eu à défendre le pays (même au moment du massacre des dizaines de milliers d’Haïtiens par Trujillo), il n’empêche que depuis notre indépendance (le 1er janvier 1804) le militaire et le religieux sont les deux symboles sur lesquels s’arcboute la gouvernance haïtienne si on peut l’appeler ainsi. Les institutions traditionnelles ne sont que pure façade. Le sabre et le goupillon, voilà sur quoi se fonde la nation haïtienne. Qu’on le veuille ou non. Washington l’a bien compris qui, à la chute de Duvalier en février 1986, comptait sur ces deux entités pour maintenir la stabilité du pays : l’armée et l’église. Mais les deux avaient déjà le germe de l’éclatement. Papa Doc était passé par là !

Le rôle de balancier …
Mais qui nous dit qu’en laissant Aristide démobiliser l’armée, les Etats-Unis n’avaient pas en tête de laisser les voisins dominicains remplir ce rôle de balancier qu’a toujours joué cette dernière ?
Parce que, entre autres sous l’influence du trafic de la drogue, celle-ci était devenue moins contrôlable. L’affaire du commandant des Casernes Dessalines, le colonel Jean Claude Paul, refusant de laisser transiter dans ses dépôts les armes destinées par l’administration Reagan aux rebelles Contras luttant contre le gouvernement sandiniste du Nicaragua. Etc.

A qui le crime profite ! …
Exit donc l’armée d’Haïti.
Mais, comme on dit, toujours cherchez à qui le crime profite !
Le président René Préval se fit, au cours de ses deux mandats (1996-2001 et 2006-2011), et probablement par prudence, aussi tolérant que possible envers le pouvoir dominicain. Allant jusqu’à dire que la République dominicaine traite on ne peut mieux l’immigrant haïtien. Contrairement aux rapports des organisations internationales.
Mais à nouveau, d’où partira la petite bande d’ex-militaires et policiers qui sont entrés en Haïti comme catalyseur pour le second renversement d’Aristide en février 2004 – décidément la bête noire de Santo Domingo ?
De la République dominicaine voisine où ils ont été rassemblés, entrainés et équipés avec la collaboration de services de renseignements étrangers, bien entendu non identifiés.

Une autre politique ! …
Par conséquent est-ce que nos voisins n’ont pas aussi désormais pour mission de jouer le rôle de balancier de l’ordre politique en Haïti ? Par exemple, à des moments, tenez, comme celui que nous traversons en ce moment. Et qui n’est pas sans ressemblance aussi bien avec septembre 1991 que février 2004 ! Il n’y a qu’à écouter les cris et slogans qui proviennent de la rue. Jusqu’aux personnages qui sont pratiquement les mêmes.
Toujours cherchez à qui le crime profite. Peuple de peu de foi ! Ou de trop de foi ?
C’est la politique, depuis toujours, qui nous a enfermé dans le piège tendu par cet inquiétant voisin (qui, de son côté, a su au contraire trouver un deal au sein de sa classe politique – mais avec l’anti-haïtianisme, constatons-nous aujourd’hui, comme acte de foi) … et ses alliés internationaux, c’est à dire ceux qui n’ont jamais digéré notre originalité de petit pays aussi pauvre et même aussi fruste mais aussi fier. Or qui dit politique en Haïti, dit tout simplement luttes fratricides. Y compris les problèmes de classe, et même de couleur.
Seule solution : pratiquer une autre politique !

Haïti en Marche, 16 Novembre 2013