'1959' sans quoi Haïti ne serait pas ce qu'elle est!

PORT-AU-PRINCE, 17 Juin – Parmi les auteurs en signature à la foire Livres en folie, ce jeudi 19 juin, Bernard Diedrich avec '1959', une année charnière dans notre Caraïbe.
'1959, l'année qui changea notre monde.' Trois républiques, trois leaders, aussi méfiants l'un de l'autre.
1er Janvier 1959, le dictateur cubain Fulgencio Batista s'enfuit et Fidel Castro, à la tête de ses barbudos, descend de la Sierra Maestra et entreprend une marche triomphale vers La Havane.
L'histoire de la Caraïbe ne sera plus comme avant.
Haïti est une île divisée en deux républiques. Avec deux dirigeants aussi opposés l'un à l'autre que les deux pays par leur géographie que par la langue et la culture ...
En République dominicaine, un dictateur cruel et endurci, le Généralissime Rafael Trujillo y Molina.
En Haïti, un apprenti dictateur, seulement deux années depuis son accession au pouvoir, François Duvalier, le futur Papa Doc.
Trujillo cherchait déjà à provoquer le renversement de Duvalier en tentant de suborner d'abord son premier chef d'Etat major, le Général Antonio Kébreau, vite envoyé en exil diplomatique.
Puis son chef de la sécurité politique, le terrible Clément Barbot, le créateur des Cagoulards. Et plus tard Tontons Macoutes.
Mais Trujillo et Duvalier vont devoir mettre une sourdine à leur conflit personnel à base plus de vanité, face à l'arrivée d'un danger commun, le chef barbudo, Fidel Castro.


Entre celui-ci et le dictateur dominicain, c'est une affaire personnelle.
Tout de suite, Fidel Castro se mit en devoir de préparer une invasion de la République dominicaine pour renverser celui qui se prétend le plus grand défenseur de la chrétienté (et donc du capitalisme) dans la Caraïbe.

Trujillo le lui rend bien. Celui-ci n'a lui aussi qu'une pensée, une idée fixe, envahir Cuba le premier pour en chasser Castro et sa bande de 'communistes' ...
Car bien avant Washington, Trujillo est persuadé que Castro représente le plus grand défi posé par le communisme dans la région.
Et voici Haïti entre les deux belligérants. Pour ne pas dire, Duvalier lui-même car celui-ci déjà ne pense pas devoir jamais remettre un jour le pouvoir. Comme on dira plus tard : Haïti est à Duvalier ce que Duvalier est à Haïti !
Castro pense que pour envahir la République dominicaine, le plus court chemin est de passer par Haïti.
Le même calcul est envisagé par Trujillo pour atteindre Cuba.
Haïti est donc le maillon le plus faible de l'ensemble.
Mais Haïti c'est Papa Doc et celui-ci va se révéler un bon joueur d'échecs.
Malgré qu'il ne se sente aucune amitié lui non plus pour ces présumés communistes de La Havane, il commencera par faire des ouvertures au nouveau gouvernement cubain. Libération de prisonniers castristes appréhendés avant la victoire de la Sierra Maestra. Rétablissement des relations diplomatiques sans difficulté.
Mais en même temps les relations s'améliorent aussi avec Trujillo, dont les services de renseignements opèrent presque ouvertement en Haïti. Trujillo prenant très au sérieux la menace d'invasion de son pays en passant par le territoire haïtien. Etc.
Ce qui nous fait penser que Haïti était devenue une sorte de Casablanca pendant la Seconde Guerre mondiale où toutes les puissances ennemies avaient accès et s'espionnaient, se tendaient des pièges allègrement.
C'est le chapitre intitulé par Bernard Diderich 'La Guerre Froide des Caraïbes.'
Car '1959' c'est aussi la Guerre Froide en miniature ; la guerre entre les Etats capitalistes et la Russie soviétique ; d'un côté Trujillo qui se pose en champion du capitalisme et de la chrétienté contre le communisme athée qu'incarne déjà à ses yeux le nouveau régime cubain.
Au milieu, le Petit Poucet s'appelle Haïti. Ou plutôt Papa Doc, car celui-ci aspirant déjà à être le seul maître à bord. Et à vie !
Et comme par ironie, c'est cette même situation qui paraît au départ si périlleuse pour lui, qui va lui ouvrir la voie pour la réalisation de ses ambitions. Folles. Cruelles. Maudites ambitions.
Car s'il n'y avait Fidel Castro, il n'y aurait pas eu Papa Doc.
Celui-ci aurait peut-être sombré dans un des pièges tendus par son voisin, le dictateur dominicain ...
Mais de toutes façons, même Washington, qui au départ ne lui était pas favorable, qui se serait opposé au moins à la présidence à vie.
Mais Duvalier va jouer habilement pour se faire le meilleur allié des Etats-Unis dans la Caraïbe.
Il commence aussi dans ses discours à se qualifier de chrétien, de 'catholique.'
En même temps qu'il se prépare à envoyer évêques et prêtres en exil, et à fermer le Grand séminaire catholique.
Il employa des fonctionnaires américains. Il leur octroya des contrats juteux, leur passa toutes leurs fantaisies, allant jusqu'à utiliser des citoyens américains pour jouer le rôle de fou du roi ...
Mais ce n'est encore rien. Il invita Washington à envoyer une mission militaire en Haïti. Après le choc de l'occupation militaire américaine d'Haïti (1915-1934), c'était inouï. Mais le président-général Eisenhower agréa à sa demande.
Tout cela pour barrer la voie au communisme.
Une mission militaire américaine débarqua en Haïti en vue de réformer les forces armées d'Haïti. Mais les US Marines se retrouveront aussi à entrainer le corps des VSN ou Tontons Macoutes. Duvalier leur expliquant que la population doit aussi pouvoir prêter main forte dans la lutte contre le communisme.
Ainsi Duvalier sut tirer son épingle du jeu.
D'autant plus que Trujillo sera assassiné deux ans plus tard seulement, en 1961.
Comme la plupart des alliés des Etats-Unis de ce temps-là, Duvalier n'avait qu'à agiter la menace communiste pour se faire tout admettre.
A commencer par les invasions menées pas les opposants haïtiens qui toutes ne pourront jamais aboutir.
Jusqu'à la présidence à vie ... dont son fils succédera, seulement à l'âge de 19 ans.
'1959 - l'année qui changea notre monde', mais pour nous l'année qui fit d'Haïti le monde infernal que notre pays va devenir.
L'auteur, Bernard Diederich, n'a eu qu'à ouvrir les anciens numéros de son hebdomadaire haïtien, Haiti Sun.
En effet, le journaliste arrivé en Haïti au début des années 50, avait son propre journal, Haiti Sun, où il rapportait l'actualité nationale, en anglais et en créole, la seule voix d'Haïti dans le monde anglo-saxon à l'époque.
Egalement correspondant de Associated Press et du magazine Time, il couvrit de première main cette actualité capitale, présent lors de l'arrivée de Fidel Castro à La Havane, tout comme à la rencontre entre Duvalier et Trujillo à la frontière, les deux pratiquement la main sur la gâchette. Etc. Nous vous laissons le plaisir de feuilleter par vous-mêmes ce livre passionnant, qui se lit aussi comme un grand roman d'aventures. Du vol du cadavre de Clément Jumelle par les Tontons macoutes aux manoeuvres à peine plus sophistiquées de Trujillo pour enlever ses ennemis et les faire disparaître. Ni vu ni connu. Y compris ici même à Port-au-Prince.
'1959' ... l'année sans laquelle 2014 elle-même ne serait pas ce qu'elle est en ce moment !

Mélodie 103.3 FM, Port-au-Prince