MIAMI, 25 Juin – Selon un universitaire dominicain de renom, Silvio Torres-Saillant, 'noirs et mulâtres composent près de 90% de la population Dominicaine actuelle. Cependant aucun autre pays de l'hémisphère n'a autant de mal à définir son identité raciale.'
Alors que la République dominicaine a été le premier port d'entrée d'esclaves noirs dans les Amériques, et aussi l'endroit où a eu lieu la première révolte d'esclaves dans le continent, selon le même auteur.
Ainsi quoique les Dominicains aient un héritage Africain historique, celui-ci est soit nié, soit négligé dans la société Dominicaine contemporaine.
Par exemple, dans les bibliothèques et les musées, les héritages Espagnol et Indigène sont loués pour leurs contributions à la société Dominicaine tandis que l'héritage Africain occupe très peu d'espace.
Ce manque d'importance accordé aux ancêtres Africains se répercute dans l'identité raciale Dominicaine.
Mais tout ceci a une Histoire. D'abord un choix volontaire des élites du pays. Ensuite alimenté par les puissances coloniales.

 

En opposition à Haïti ...
Et tout cela en réaction à l'existence d'un Etat voisin qui se glorifie d'être la première nation Noire indépendante du monde.
L'identité Dominicaine s'est construite à partir d'Haïti et en opposition à celle-ci.
Elle repose sur trois principes. Le premier est l'Hispanité ou Hispanicité, qui se définit dans trois critères : la Culture Espagnole, le Catholicisme et la race Blanche.
Le second apport se réfère à la culture Indigène, Taino, les premiers habitants de l'île.
Alors que après l'arrivée des Espagnols dans l'île en 1492 (ce qu'on appelle la Découverte du Nouveau Monde), les populations natives, Taino et Arawak, ont été rapidement décimées soit par les maladies apportées par le conquérant espagnol, soit par le système esclavagiste, laissant seulement face à face les maîtres blancs et les esclaves Africains.


N'empêche, contrairement à ce que nous apprend l'Histoire, les Dominicains affirment qu'ils sont majoritairement les descendants des Européens et des Indiens.

La couleur mais sans la race ...
Selon Frank Moyans, le choix d'utiliser le qualificatif Indien comme une véritable catégorie raciale, a permis au Dominicain d'éviter d'être Noir. Tout simplement.
En se définissant comme Indien ('Indio'), les Dominicains ont pu, provisoirement, résoudre un drame profond qui remplit toute leur histoire de nation : celui d'être un peuple de couleur, mais dirigé par une élite quasiment blanche, et qui n'a pas voulu accepter la réalité de sa couleur ni son Histoire.
En somme, les Dominicains ont assimilé au sens propre le discours 'Indigéniste' des écrivains du 19e siècle (qui avaient aussi leurs équivalents en Haïti), mais jusqu'à y trouver matière pour accorder leur identité raciale aux préjugés de la petite élite du pays. Bref acceptant leur couleur mais sans accepter leur race.
Finalement le troisième pilier, si ce n'est le plus important, de l'identité raciale Dominicaine, c'est le concept de ne pas être Haïtien.
Haïti a été la première république noire du monde et dans les Amériques.
Cependant, pour garantir la sécurité du nouvel Etat contre le retour éventuel des puissances européennes esclavagistes, Haïti envahit le reste de l'île, la partie qui deviendra la République dominicaine et l'occupa pendant 22 ans (1822-1844), soulevant le ressentiment des futurs Dominicains.

Haïti un défi pour les nations esclavagistes ...
Lorsque le pays voisin devint indépendant à son tour, son premier souci fut de se distinguer de son voisin. Et tout naturellement, en rejetant l'identité Noire.
Plus tard, des dirigeants dominicains (dont le dictateur Trujillo) s'en serviront pour développer toute une rhétorique anti-Haïtienne, dépeignant Haïti comme le voisin à la fois 'noir, pauvre et sauvage'.
Puisque Haïtien et Noir c'est pareil, donc le Dominicain est endoctriné pour ne pas se voir lui-même comme Noir.
Ensuite, le problème de l'identité raciale chez le Dominicain vient aussi que le pays, devenu à son tour un Etat souverain, le 27 Février 1844, devait négocier sa reconnaissance diplomatique avec les puissances occidentales (Etats-Unis et nations européennes).
Or la République noire d'Haïti avait mauvaise presse chez ces dernières, qui considéraient son existence comme un défi alors que l'esclavage existait encore dans les autres colonies d'Amérique, y compris aux Etats-Unis.
Ainsi la question de l'identité raciale du Dominicain devint encore plus problématique.

'Je suis Noir, mais un Blanc-Noir' ...
En décembre 1844, le secrétaire d'Etat des Etats-Unis, John C. Calhoun, parla de la nécessité de donner la reconnaissance formelle des Etats-Unis, de la France et de l'Espagne au jeune Etat Dominicain très fragile afin de prévenir 'une plus grande extension de l'influence Nègre dans les Antilles occidentales' (West Indies).
Plus tard, le Secrétaire d'Etat John M. Clayton souligna, en octobre 1849 : c'est la violence de l'Etat voisin d'Haïti qui fortifie 'les sentiments en faveur des Blancs dans la nouvelle République Dominicaine (...) où il n'est pas rare d'entendre : 'Je suis Noir, mais un Blanc-Noir.'
Jusqu'à une autre haute personnalité nord-américaine, l'Envoyé spécial et ministre plénipotentiaire Sumner Welles, qui note, dans les années 1920, 'la discrimination raciale est inconnue en République Dominicaine, où domine un si grand désir de camoufler l'identité Noire par celle du Blanc.'
Welles note que ce qui peut paraître une contradiction ailleurs ne l'est pas ici, puisque c'est la preuve que la négrophobie (ou la haine du Noir) peut exister indépendamment de toute oppression raciale. En quelque sorte chez le Noir lui-même.
Ainsi, de fil en aiguille, le Dominicain est devenu l'un des rares peuples à se définir, par rapport aux grandes nations occidentales, non seulement dans une relation de dépendance politique et économique mais également de dépendance raciale.
Et à ce jour, rien n'a changé. Bien entendu !

Haïti en Marche, 25 Juin 2015