MIAMI, 21 Novembre – Pour comprendre l’actuelle structure de pouvoir politique en Haïti il faut remonter dans le passé, au moins un demi-siècle en arrière. Les derniers soubresauts de la question historique de lutte entre mulâtres et noirs pour la conquête du pouvoir politique.
1957, la campagne électorale fait rage. Trois candidats en tête ce sont le noir Professeur Daniel Fignolé, candidat des masses surtout de Port-au-Prince ; le mulâtre agronome et entrepreneur très dynamique, Louis Déjoie et bien plus en arrière un certain Docteur François Duvalier mais qui utilise une carte spéciale : la question de couleur.
Or en faisant jouer cette dernière, y compris au sein des forces armées qui avaient hérité de l’Occupation du pays par les Etats-Unis (1915-1934) d’une structure pyramidale basée sur la couleur, avec les clairs tout au haut de l’échelle - le futur Papa Doc arriva ainsi à faire éclater l’armée et c’est celle-ci qui le portera au pouvoir en truquant les résultats des élections de 1957 ; oui mais à malin, malin et demi, la première victime du duvaliérisme sera l’armée elle-même.
Pourtant trente ans de duvaliérisme (1957-1986) ne sont pas arrivés à changer la structure profonde du système. Aujourd’hui encore lors des réunions avec les chambres de commerce locales, ce sont toujours les clairs la majorité sinon la totalité des représentants de la classe dite possédante.
Ceux que le New York Times qualifiait lors de la crise politique née du coup d’état militaire de 1991 qu’on croit avoir eu le support des possédants, de ‘most repugnant elite’ (l’élite la plus répugnante du monde) continuent-ils donc de régner ?
Or que non.
Alors que s’est-il passé ?
Tenez-vous bien, la démocratie est passée par là. Mais une démocratie à l’haïtienne ! Un partage du pouvoir entre deux entités … mais encore plus qu’avant au détriment de la majorité.


Comme cela peut se lire dans les sanctions qui tombent en ce moment de la communauté internationale. Et qui frappent autant des représentants des milieux d’affaires que la classe politique actuelle. Classe politique en effet bien actuelle ?
Car ce sont en effet deux secteurs trop intimement liés. Pour ne pas dire : comme deux larrons en foire.
Car il s’agit d’un arrangement quasi secret entre le prétendu capitalisme local et une nouvelle génération de politiciens se prétendant issus des masses ou encore du pays profond et qui ont fait main basse sur le pouvoir … mais qui à l’épreuve, ne représentent que leurs intérêts personnels. Pardon, individuels. Individualistes.
Jusqu’aux niveaux les plus scandaleux comme le montrent les derniers rapports de l’ULCC (Unité de lutte contre la corruption) : des élus qui, comme dans la fable ‘Le corridor des tentations’, ramassent tout sur leur passage : la caisse publique mais aussi les équipements publics tandis que les travaux des champs sont abandonnés pour faire totalement place aux importations, celles-ci faisant de leur côté l’affaire des deux secteurs (rendement maximum avec le moindre effort d’un côté et détournement des taxes de l’autre) outre en arrière-fond mais pas tellement, … le trafic de la drogue !
Or tout cela au nom de la démocratie. Car la démocratie c’est non seulement l’aspect politique : ‘one man one vote’ – ou chacun a son mot à dire … mais c’est aussi le système appelé ‘libéralisme économique’ (traduisez : je place mon investissement, je suis libre d’investir mon argent là où c’est le meilleur pour moi sans aucun véritable rapport avec l’intérêt général).


Ainsi donc tout le monde est satisfait.
Or le résultat est là sous nos yeux.
Un pays sans la moindre ressource. Tout est privatisé sauf que, contrairement au temps de l’agronome mulâtre Louis Déjoie et de ses projets de développement aussi bien dans les départements du Sud, du Sud-est et du Centre - aujourd’hui les profiteurs du système réinvestissent, les uns comme les autres, tous leurs avoirs sous d’autres cieux.
Or c’est encore cela, c’est exactement ça que nous allons reconduire aux prochaines élections. N’est-ce pas la démocratie. Surtout faut rien y changer sinon ce ne serait plus la démocratie !
Qu’est ce qui a changé ces 50 dernières années ?
Tout le monde devrait être satisfait.
Les ‘most repugnant elite’ ne se mêlent plus de politique comme avant …
Le pouvoir est aux mains de la majorité nationale si tant est qu’il suffit d’être noir pour y appartenir.
Mais comme montrent les derniers rapports de l’Unité de lutte contre la corruption (institution judiciaire publique et potentiellement indépendante) ce sont de véritables gangs qui font main basse sur ce pouvoir-là, cela en se répandant partout y compris et surtout dans la paysannerie où se marchande le vote.
Que le pays réel ait compris depuis longtemps le jeu en refusant de participer à ces simagrées comme montre le taux d’abstention vertigineux qui a marqué les élections depuis au moins ces quinze dernières années, mais rien ne change. Une fois encore, c’est droit vers les élections sans le moindre changement !
Car une seule devise : noir c’est noir. Le pouvoir au plus grand nombre, n’est-ce pas !
Le duvaliérisme a-t-il gagné si tant est que c’était la devise de Papa doc à ce qu’on dit.
Seulement que lui le plaçait dans un cadre tout autre : le pouvoir aux seuls noirs, oui mais sous la dictature.
C’est-à-dire que le même pouvoir pouvait du jour au lendemain vous renvoyer sur la paille.
Bref on serait sorti de Duvalier mais pour faire pire.
Pas étonnant alors les gangs massacreurs !
Le vide ne peut produire que le vide.
Cependant il reste le taux d’abstention électoral record, scandaleux, révoltant qui est la contestation la plus patente de ce système frauduleux et destructeur et vrai responsable de la multi-crise actuellement traversée par notre pays …
Sauf que personne n’a ni la personnalité, ni la crédibilité nécessaire pour en prendre la tête.
Espérons que des rapports comme ces tout derniers de l’ULCC commencent à ouvrir les yeux.
Mais reste un dernier défi : comment transmettre le message au vrai corps électoral seul capable de changer la situation aujourd’hui surtout que tous ne pensent qu’à fuir cet enfer …

Marcus Garcia, Haïti en Marche, 21 Novembre 2023