JACMEL, 3 Février – Apparemment Jacmel n’a pas tellement le cœur à la fête. La ville n’a pas été nettoyée, le défilé des masques menace d’être moins attrayant et moins de Jacméliens pure laine sont descendus dans les rues la veille du carnaval.

Une affaire de sous. Le gouvernement a offert pour l’événement seulement 7 (petits) millions de gourdes, au taux de plus de 43 gourdes pour 1 dollar américain. Jacmel se sent offensé. L‘année dernière l’Etat avait donné 10 millions de gourdes quand la ville lui avait remis un budget de 20 millions.
Mais ce n’est plus l’année dernière. La situation s’est compliquée bien davantage parce qu’il n’y a plus la compétition commerciale pour combler la différence.
En effet deux grands secteurs ont disparu ou connu de profonds changements, ce sont la téléphonie cellulaire et le marché du riz importé.
Les années précédentes ont vu le vigoureux face à face entre les compagnies de cellulaires Digicel et Comcel-Voilà.
La première a phagocyté la seconde.
Le troisième homme, Natcom, même avec des actifs de 40% pour l’Etat haïtien, a une politique moins présente dans les événements populaires.
Quant au riz, devant la hausse constante des prix sur le marché local le gouvernement haïtien a entrepris d’en importer directement du Vietnam.
Les importateurs du secteur privé se sont immédiatement repliés sur eux-mêmes.
L’année dernière les marques Bon Goût, Tchako et Mega rivalisaient sur tous les groupes et chars carnavalesques.

 

Ils sont venus, ils sont tous là …

Le carnaval 2013 risque de s’en ressentir à tous les niveaux.
A commencer donc par celui de Jacmel ce week-end du 3 février.
N’empêche. Le roi est mort mais vive le roi. Ils sont venus, ils sont tous là. Débarquant par tous les moyens de locomotion possibles et imaginables. Grosses bagnoles, vieux tacots qui fument ou n’arrivent pas à grimper le ‘Karate’ ou pic le plus élevé de la Route de l’Amitié, voie unique menant au chef lieu du Sud Est. A moins de passer par la montagne comme le président de la République, Michel Martelly, qui adore se présenter au volant de sa moto Polaris flanqué de ses gardes du corps qui ne sont autres que les sénateur et ex-sénateur du département, les sieurs Edwin Zenny et Joseph Lambert.
Enfin le ciel de Jacmel ne cesse de gronder, on arrive aussi par la voie aérienne.
Par contre le port touristique est orphelin. La croisière Adriana qui devait être de la partie n’a pu venir. Difficultés d’accostage à cause de hauts fonds. La rade doit être nettoyée. Comme elles le sont toutes dans le pays à cause des ensablements provoqués par l’érosion constante des montagnes. On le répète depuis de nombreuses années. On n’en a point encore entendu parler, pourtant ce doit être obligatoirement un aspect important du programme en cours pour la renaissance du tourisme jacmélien et départemental.

 

L’âge d’or de Jacmel …

Car de grands projets sont en perspective. Ou même en train. L’aéroport doit devenir international. On jure que les fonds (pas moins de 40 millions de dollars) sont disponibles. Mais il faut exproprier des riverains. On verra bien.
Par contre les travaux ont démarré au front de mer où une longue muraille brise-vagues est élevée avant la construction de ce qui doit être une grande promenade jouxtant le port touristique qui a abrité joliment l’avant-première du dernier Festival international de jazz d’un côté, l’hôtel La Jacmélienne de l’autre ainsi qu’un centre de conventions international.
Le tout débouchant sur la vénérable Rue du commerce où retentissent encore les voix des maîtres de l’âge d’or de Jacmel, port de café ouvert directement sur Le Havre et Hambourg, et dont les anciens halls portent encore le nom (Vital, Boucard, Léon Baptiste, Madsen etc).
Est-ce qu’on ne rêve pas debout ? Ce n’est pas interdit à Jacmel. La fête se déchaine sur une toute petite partie de l’Avenue Baranquilla. Carnaval dans un mouchoir de poche. Mais c’est ailleurs que l’avenir se dessine. Dans ces petites ruelles moyenâgeuses en escalier. Dans ces perspectives formées par les anciennes maisons de commerce avec la balance en bas pour peser le café livré par l’agriculteur descendu de la montagne sur son mulet et les appartements à l’étage où les belles de la ville se paraient à la dernière mode de Paris arrivée dans les cargos venus directement d’Europe. Jacmel a été aussi la première ville d’Haïti à avoir le téléphone. Et tout cela dans un rayonnement lumineux et illuminé par la peinture de Préfète Duffaut (le café faisant déjà place à l’art et l’artisanat comme secteur porteur), avec au centre de cet éventail mystérieux le vieux marché en fer. Symbole de l’architecture métallique (merci à l’ingénieur Eiffel et la tour qui porte son nom) et qui tombait à pic après le violent incendie qui a ravagé la ville fin du 19e siècle (le 9 septembre 1896).

 

Le Seigneur des Anneaux à la sauce haïtienne …

Cet après-midi du dimanche 3 février 2013 le défilé des masques en papier mâché drainera une nouvelle fois des milliers ou peut-être des dizaines de milliers de spectateurs. Beaucoup d’étrangers. Des artistes venus de différents coins du monde pour voir ce miracle : la seule ville d’Haïti et peut-être de la Caraïbe qui marie le folklore local aux croyances les plus profondes du Moyen-âge européen le plus profond. Les elfes, gibelins, dragons, orques, démons mêlés aux hantises plus locales : têtes sans corps, ‘bois piro’ ou géants pouvant deviner vos pensées les plus secrètes, tous ancêtres du tonton macoute qui sera utilisé par Papa Doc pour installer son régime de terreur.
Bref le Seigneur des Anneaux à la sauce haïtienne. Ou mieux la Maison des horreurs à Disneyworld mais vécue en vrai.
On comprend pourquoi les Jacméliens sont tellement offensés que le gouvernement semble considérer que cet événement miraculeux - dans un pays pratiquement en voie de disparition - ne vaut pas mieux que quelques gourdes en constante dévaluation !

Marcus - Mélodie 103.3 FM, Port-au-Prince