Cheryll Mills l’aiguillon de la politique haïtienne

MEYER, 10 Février – Retour de Mme Cheryll Mills, responsable du dossier Haïti au Département d’Etat américain sous la secrétaire d’Etat Hillary Clinton.
Elle reste à son poste avec le nouveau chef de la diplomatie américaine John Kerry.
La première visite de Cheryll Mills est au Parlement haïtien pour encourager celui-ci à ne pas ralentir les démarches qui doivent aboutir à la tenue des élections (sénatoriales partielles et les municipales et régionales) qui devaient avoir lieu depuis déjà plus d’une année.
Le processus (en ce qui concerne le Parlement mais il reste à convaincre aussi les deux autres pouvoirs exécutif et judiciaire) bute sur une mésentente entre députés et sénateurs sur le nombre de membres devant les représenter au sein d’une commission bicamérale (dite pourtant ‘paritaire’) qui à son tour désignera les trois futurs représentants du pouvoir législatif au prochain organisme électoral (‘Collège transitoire du conseil électoral permanent’).
Quelques heures plus tard débarquait aussi au Parlement le représentant a.i. du Secrétaire général de l’ONU, le canadien Nigel Fisher, qui annonce en partant avoir obtenu la promesse des parlementaires que le processus va suivre son cours.
Cheryll Mills n’est pas venue les mains vides. L’ambassadeur des Etats-Unis, Mme Pamela White, qui l’accompagnait, a annoncé que Washington dispose de 15 millions de dollars pour la tenue des prochaines élections haïtiennes mais à condition que celles-ci soient ‘inclusives et démocratiques’.
 
Indépendance de l’organisme électoral exigée …

Cela dépendra évidemment de l’indépendance de l’organisme électoral. Le message s’adresse donc aux trois pouvoirs qui doivent choisir les membres du nouveau conseil électoral.
Et c’est là que le bât blesse. Jusqu’à présent rien n’est évident. Chacun (particulièrement l’exécutif et le législatif) essaie de tirer la couverture à soi.
On accuse le président Michel Martelly de non seulement noyauter le pouvoir judiciaire – dont le président du CSPJ (Conseil supérieur du pouvoir judiciaire), le juge Arnel Alexis Joseph, est son homme de confiance déclaré, mais aussi d’essayer de mettre des bâtons dans les roues au Parlement (via la majorité pro-gouvernementale à la chambre des députés) pour ralentir sinon renvoyer les élections parce que le parti présidentiel (encore à constituer officiellement) n’est pas encore prêt pour les élections.

Une république présidentielle ? …

En quelque sorte, le dossier Haïti reste toujours si ce n’est complexe, disons embêtant (ou pour employer un terme consacré : une ‘nuisance’) pour l’envoyée spéciale du Département d’Etat. 

Mais d’un autre côté, les élections doivent avoir lieu. C’est un must. Sinon bientôt, dans à peine deux années, le sénat sera réduit à 10 sièges au lieu de 30. Tandis que le président Martelly a déjà nommé de nouvelles commissions communales pour remplacer celles dont le mandat est arrivé à expiration mais que le retard pris par les élections (désormais plus d’une année) n’a pas permis de renouveler. Par conséquent, avant deux ans Haïti ne sera plus une démocratie constitutionnelle mais une république présidentielle, c’est-à-dire le président gouvernera par décrets. Dans le genre de la présidence à vie. Ni plus ni moins !
Les Etats-Unis (la communauté internationale d’une manière générale) qui ont facilité l’arrivée au pouvoir de Michel Martelly (et qui portent pratiquement son pouvoir à bouts de bras – y compris par la présence des casques bleus onusiens) ont une grosse part de responsabilité.

 

‘Speak softly but carry a big stick’ …

Cependant en gardant à son poste Mme Cheryll Mills, l’administration Obama montre qu’elle n’a pas l’intention de changer son approche politique en Haïti.
Utiliser la diplomatie secrète au maximum. Exercer juste assez de pression pour ne pas casser la baraque. Ou encore le mot de Truman : ‘always speak softly but carry a big stick’ (parle aimablement mais fais comprendre que tu peux frapper très dur à tout instant).
La veille de Noël, le Département d’Etat a presque déstabilisé le gouvernement en renouvelant son ‘travel warnings’ (conseils aux citoyens américains désirant voyager en Haïti) en des termes rigoureux alors que Port-au-Prince semble avoir espéré au contraire plus d’aménagements.
Puis est tombée la décision d’Ottawa de geler son aide à Haïti. Difficile de penser que l’actuel gouvernement néolibéral canadien aurait agi sans aucune coordination avec Washington.
Cela après avoir donné au pouvoir Martelly la possibilité de se prévaloir de sa seule réelle réalisation concrète jusqu’ici qu’est le parc industriel de Caracol, financé par les fonds pour la reconstruction de l’Haïti post-séisme (12 janvier 2010) sous la direction d’une commission co-présidée par l’ancien président américain, Bill Clinton, également envoyé spécial pour Haïti du président Obama.

 

L’alternance politique …

C’est le bâton et la carotte. Tout comme on ne sait pas vraiment ce que pense le président Obama de son homologue haïtien. On remarquera en tout cas que Michel Joseph Martelly n’a toujours pas été reçu à la Maison Blanche.
Lorsque le président Jean-Bertrand Aristide, en exil à Washington (1991-1994), était sur le point de revenir en Haïti grâce à une intervention militaire américaine pour chasser du pouvoir les généraux haïtiens putschistes, les officiels américains lui répétaient à satiété : ce n’est pas d’être élu qui fait qu’on soit démocrate, c’est d’organiser des élections pour se retirer paisiblement après avoir accompli son terme. C’est la reconnaissance de l’alternance politique qui désigne le démocrate.
C’est le même défi qui s’impose aujourd’hui à Michel Joseph Martelly. C’est à ce carrefour qu’on le jaugera et le jugera.
Mais cela vaut aussi pour des parlementaires qui ne seraient pas vraiment acquis aux principes démocratiques et qui se servent de leur mandat soit seulement pour battre monnaie, soit encore pour s’assurer une immunité qui leur évite des tracasseries judiciaires, soit même pour obtenir une tribune pour des considérations idéologiques attardées. Extrême gauche ou extrême droite. Quand ce n’est pas du pareil au même. Semblant ignorer que cette forme d’intimidation idéologique fait plutôt la force du pouvoir qu’ils prétendent combattre.
Toujours est-il que Washington accorde une si grande importance au jeu actuel qu’on a l’impression que son ambassadeur (comme on dit dans le football) fait un marquage serré au président Martelly. Autrement dit ne le lui cède en rien en matière de communication et de mouvements sur le terrain.

Haïti en Marche, 10 Février 2013