MIAMI, 13 Septembre – Lavalas c’est l’anniversaire le 11 septembre dernier de l’un des actes les plus ignominieux de l’ère des coups d’état militaires post-Duvalier (qui s’étend pratiquement de 1986 jusqu’au rétablissement de Jean-Bertrand Aristide au pouvoir par les Marines américains en 1994) : le massacre de Saint Jean Bosco où, le dimanche 11 septembre 1988, les ‘sans manmans’ aux ordres du maire de Port-au-Prince, l’ex-colonel ‘tonton macoute’ Frank Romain, envahirent la chapelle de Saint Jean Bosco, quartier populaire de Port-au-Prince, en pleine messe dite par un certain Père Jean-Bertrand Aristide, et massacrèrent surtout à l’arme blanche de nombreux fidèles et partisans de ce dernier.
Le massacre de Saint Jean Bosco représente un summum de la barbarie militaro-macoute.
Frank Romain n’hésita pas à le revendiquer, déclarant quelques heures plus tard au micro : ‘Qui sème le vent, récolte la tempête !’
Le pays était dirigé lors par l’armée en la personne du général Henry Namphy, assisté de ses compagnons d’armes Williams Regala, Prosper Avril, Jean Claude Paul et le colonel à la retraite Frank Romain.
Peu de temps après, Namphy fut renversé et remplacé par Avril dans un jeu de chaise musicale qui, après un bref interlude en la personne de la présidente provisoire Me Ertha Pascal Trouillot, facilitant la tenue des présidentielles de décembre 1990, devait reprendre 7 mois plus tard, le 30 septembre 1991, avec le renversement du président élu Aristide par l’armée du général Raoul Cédras et du colonel Michel François, surnommé également Sweet Micky, comme notre actuel chef de l’Etat.
Jusqu’au débarquement des Marines dépêchés par le président américain Bill Clinton, pour ‘rechouquer’ Aristide sur le trône, en septembre 1994.
L’ambiguïté …
Ironiquement le même Aristide qui déplaçait les foules en criant : ‘Kapitalis se peche mòtel’ (le système capitaliste est aussi à redouter que le péché mortel).
Déjà nous entrons dans l’ambiguïté qui va caractériser depuis, le Lavalas.
L’autre date symbolique ce sont les affrontements de décembre 2003, veille du Bicentenaire de l’Indépendance d’Haïti (qui de ce fait ne sera pas commémoré, hélas), entre jeunes Lavalassiens originaires principalement des bidonvilles de la capitale et les étudiants de l’Université d’Haïti.
Etre parvenu à séparer ces deux secteurs qui constituaient l’âme du mouvement à sa création (sous les auspices du clergé catholique, branche théologie de la libération), c’est le plus grand coup réalisé par les ennemis du plus grand rassemblement politique haïtien du siècle dernier. Et création spontanée, faut-il le rappeler.
Mais les ennemis en question n’ont pas lésiné sur les moyens : coup d’état militaire du 30 septembre 1991, qu’on dit le plus cruel jamais connu, massacres en série et même en plein jour, déportations massives (plusieurs milliers forcés à prendre la mer) et déportations sélectives, jeunes militants placés devant un choix c’est ou l’exil ou la mort, etc.
Changer Haïti ! …
Objectif : vider le mouvement de sa substantifique moelle, de ses cerveaux. Et qui étaient ceux-ci ? Les jeunes et futurs cadres du pays alliés à leurs compagnons de quartier plus infortunés dans ce qu’on appelait lors les ‘comités de quartier’. Un idéal commun : changer Haïti ! Ces groupes avaient fleuri partout et au grand jour, aussi bien au haut de la ville que dans les quartiers plus populaires, même populeux, ceci dans les mois qui ont précédé la chute du tyran, le 7 février 1986.
Est-ce sentant venir la menace (plus vite que les dirigeants haïtiens) que Washington a décidé de débarquer Duvalier aussi soudainement ? Même l’opposition la plus militante qui fut prise de court.
‘Rat pa kaka’ …
Aujourd’hui que signifie Lavalas pour un jeune ?
Allez lui expliquer qu’aux présidentielles de décembre 1990, les premiers électeurs ont été des pères et mères de famille habillés comme pour la messe du dimanche …
Après cette quasi ‘guerre civile’ (mais opposant les jeunes des bidonvilles d’un côté et les étudiants de l’Université d’Haïti de l’autre), Lavalas est devenu (officiellement) l’homme à abattre. C’est le secteur à ne pas fréquenter sous peine d’être jeté soi-même aussi aux orties et sous les étiquettes les plus infâmantes de ‘chimè’, ‘rat pa kaka’, autrement dit voleurs et va-nu-pieds. Honte à vous si vous pactisez avec une telle engeance !
Ainsi les ennemis du Lavalas ne sont pas seulement parvenus politiquement à l’ « outcast » (à le mettre totalement à l’index) mais ils ont réussi cette performance inouïe de faire le mouvement s’identifier à ces mêmes épithètes honteuses mentionnées plus haut.
Démarche tout à fait sartrienne selon laquelle l’ « outcast » (la personnalité rejetée) revendique son état comme condamnation portée à son tour contre le système.
Il doit bien y en avoir quelques-uns à épouser cette notion même purement philosophique serait-ce inconsciemment, au milieu des coupeurs de portefeuilles qui, selon l’actuel ministre de la justice, constitueraient le gros de la troupe à chaque manifestation, car aujourd’hui comme hier les manifestations Lavalas sont les plus réussies.
Mais pas plus que comme chair à canon.
Oui, qu’est-ce que Lavalas aujourd’hui sinon le peuple des bidonvilles les plus misérables jetés dans les rues par des ‘courtiers’ politiques.
Le diabolisé et le diable …
Les ennemis du Lavalas ont réussi leur pari, un vrai tour de force. Le mouvement politique haïtien le plus populaire du siècle dernier a été abattu, d’abord en le décapitant de ses jeunes cerveaux (c’est le coup d’état de septembre 1991 suivi de trois années de vidange systématique, de quasi ‘nettoyage ethnique’), puis l’étape suivante, d’un processus de diabolisation d’une intelligence inouïe et menée de main de maître pour que le diabolisé et le diable finissent par n’en faire plus qu’un.
Le principal tort d’Aristide est qu’il n’a pas su protéger de ce piège le mouvement dont il a voulu rester, après un quart de siècle, le seul maître à bord.
Soulignons que ces réflexions relèvent de l’analyse politique et n’ont rien à voir avec l’actuelle poursuite pseudo-judiciaire contre l’ex-président Aristide pour corruption qui, de toute évidence, répond à des motivations politiques, serait-ce par les dernières déclarations prêtées au président Michel Marelly par l’agence HCNN, savoir ‘personne n’est au-dessus (des lois). N’hésitez pas à les appliquer. N’ayez pas peur’, alors que le juge d’instruction (ici Lamarre Bélizaire, qui gère l’affaire Aristide) ne doit être sous l’influence d’aucun pouvoir. Dans un sens, ni dans l’autre …
Comme on dit, l’excès en tout nuit !
Haïti en Marche, 13 Septembre 2014