Poursuite d’un élitisme désormais impossible
PORT-AU-PRINCE, 24 Août – Une brève note de presse annonce que désormais seulement deux examens auront valeur officielle pour consacrer l’éducation du jeune haïtien : la 9e année fondamentale et la philo ou bac 2e partie.
Les autres examens se passeront à l’école même. Mais évidemment ne bénéficieront pas de la sanction officielle. Donc ne seront pas couverts par cette dernière, par exemple, au niveau international.
Comme beaucoup de décisions aussi importantes prises aujourd’hui dans ce pays, il n’y a aucune explication. Aucune consultation, ni débat.
Curieusement aucune véritable remise en question non plus. Tout est fatalité ! Alea jacta est.
Ce qu’on appelle dans le nouveau jargon scolaire la 9e année fondamentale est l’équivalent approximativement de la 4e secondaire d’autrefois, tandis que la 6e année correspondrait à notre feu certificat d’études primaires.
Autrefois (pour employer le langage des vieux que nous sommes !), la vie de l’élève était réglée en quatre périodes bien distinctes : le certificat d’études primaires (que les meilleurs d’entre nous passaient aux alentours de 11 ans, maximum 12) ; puis le brevet élémentaire, surtout réservé aux filles qui se destinaient à des métiers bien précis comme infirmière … ou le couvent ; ensuite la rhéto ou baccalauréat 1ère partie et enfin la philo (bac 2) qui ouvre sur les grandes facultés : particulièrement la médecine, le génie ou architecture et le droit.
A l’image de la nouvelle population scolaire …
La nouvelle méthode est à peu près une reproduction de la première, mais dans un vocabulaire plus bureaucratique (pour ne pas dire rébarbatif) comme à peu près tout aujourd’hui : la 6e année fondamentale correspond à première vue au certificat d’études primaires sauf qu’elle est à l’image de la nouvelle population scolaire, c’est-à-dire que bon nombre ont dépassé depuis longtemps l’âge de 11 ans ; la 9e année fondamentale ressemble à notre brevet élémentaire mais n’est plus l’apanage des filles, tandis que la rhéto et la philo demeuraient inchangées …
Oui jusqu’à la nouvelle décision annoncée récemment, sans tambours ni trompette, de suppression de la 6e année fondamentale ainsi que de la rhéto et que l’Etat ne délivrerait de diplôme que pour la 9e année fondamentale, puis pour le bac 2 ou philo.
Combien qui vont jusque-là ? …
Autrement dit, jusqu’à l’âge au moins de 16 ans (la 9e année fondamentale étant une sorte d’équivalent du 4e secondaire), l’Etat ne vous reconnaît point.
Or combien d’élèves en Haïti qui vont jusque-là ?
Je me souviens qu’à la mort de mon père, nous découvrîmes mon diplôme de certificat d’études primaires. Mais pas ceux de la rhéto ni philo.
Il était probablement fier que son aîné ait franchi ce premier stade important de la vie, mais davantage encore dans une école respectable, Jean Marie Guilloux, des Frères de l’Instruction Chrétienne, communément ou plutôt respectueusement dénommée ‘L’école Théâtre’.
A l’époque, ce premier diplôme sanctionné par l’Etat était de la plus haute importance.
Du fait que le plus grand nombre n’allait pas plus loin dans les études.
Mais cela suffisait pour donner au pays des artisans de grande valeur. A-t-on en effet besoin d’études universitaires pour devenir un excellent menuisier ou cordonnier ?
C’est cette étape sur laquelle les nouvelles autorités haïtiennes ont décidé de faire l’impasse.
Un artisan haïtien a donc besoin aujourd’hui d’une formation intellectuelle plus poussée pour parvenir … au même point.
A qui profite donc cette décision ?
‘Celui-là, il fera un bon gendarme !’ …
La première sanction officielle interviendra désormais jusqu’aux examens de la 9e année fondamentale (minimum 15 – 16 ans avec la différence que aujourd’hui il n’y a pas de limite d’âge, comprenne qui voudra).
Le diplôme de 9e année est un sésame qui ouvre sur certains centres d’enseignement technique, quasiment tous privés. Mais si courus que les détenteurs du baccalauréat sont favorisés.
Suppression désormais aussi de la rétho ou bac 1ère partie.
Or doit-on rappeler que celle-ci suffisait autrefois pour entrer à la faculté d’art dentaire de l’université d’Haïti.
Et, croit-on, aussi à la section Pharmacie.
Mais certainement à l’Académie militaire. ‘Celui-là, il fera un bon gendarme !’
D’autre part, jusque dans les années 1980 le papier de rhéto était valable à l’inscription au Miami Dade Community College, très fréquenté comme première étape universitaire en Floride.
Ce ne sont pas les examens le problème …
Tout compte fait, et puisqu’aucune explication rationnelle n’a été apportée, cette décision de n’accepter comme examens officiels (‘officiellement officiels’) que la 9e année fondamentale et la philo s’expliquerait paradoxalement par la dégringolade enregistrée au niveau de ces examens d’Etat, dont les derniers traduisent la réalité d’un massacre dont seuls en paient le prix les pauvres élèves mal enseignés et leurs parents qui se saignent aux quatre veines.
Mais est-ce là le problème ?
Sans entrer dans le détail, ce ne sont pas les examens qui créent le mal, mais le mal est dans l’enseignement.
La décision des autorités ressemble tout à fait à une fuite en avant. Comme l’Alceste de Molière : cachez ce sein madame que je ne saurais voir !
A moins que l’Etat ne cherche à faire, comme dit le créole ‘des économies bouts de chandelle’, il a pour obligation de financer les examens officiels tant que ces derniers remplissent un rôle pour le citoyen, dans le pays comme ailleurs. Un patron à l’étranger qui emploie un immigrant haïtien comme ouvrier (ouvrière) ou comme gardien de sécurité a seulement besoin que celui-ci sache bien lire et écrire mais s’en fout qu’il ait accompli tout son cursus secondaire ou pré-universitaire.
Des collèges techniques de haut niveau …
Oui il est urgent de porter le couteau dans la plaie de la descente en chute libre de l’enseignement en Haïti et qui ne date pas d’aujourd’hui, mais par des dispositions en profondeur : au niveau du système pédagogique, probablement aussi de la langue de l’enseignement étant donné la persistante problématique du créole - français ( !) comme deux langues officielles ainsi que tout naturellement de la formation des maîtres.
Mais aussi en diversifiant pour amener aux différentes catégories socio-professionnelles (qu’il ne faut pas confondre avec catégories sociales !) l’enseignement le plus approprié pour mieux réussir, pour son bien propre et celui aussi de la Nation. Aujourd’hui nous pensons d’abord à des collèges techniques de haut niveau. Avec leurs diplômes également sanctionnés par l’Etat.
La dernière décision du gouvernement haïtien ressemble trop à la poursuite désespérée d’un système élitiste qui a, en réalité, depuis longtemps vécu.
Marcus – Mélodie FM, Port-au-Prince