MEYER, 6 Décembre – Laurent Lamothe ne veut pas lâcher le pouvoir, entend-on partout.
Sollicité, y compris (semble-t-il aussi) par l’administration américaine, de se retirer pour laisser plus de liberté au président Michel Martelly pour rebattre les cartes, face à une opposition qui descend chaque jour dans les rues demandant la démission du chef de l’Etat, le premier ministre Laurent Lamothe (42 ans), le plus jeune chef du gouvernement depuis la fin de la dictature Duvalier (1986), s’accroche de toutes ses forces.
Il aurait dit : ou le président Martelly et moi nous tombons ensemble, ou c’est le Parlement qui m’a ratifié qui doit me renvoyer !
Or il existe une règle non écrite qui veut que le premier ministre soit le fusible qui doit sauter dès que le président se trouve en situation délicate.

Gagner à tous les coups ! …
Mais c’est là une convention politique. Or Laurent Lamothe se fiche de la politique. Et c’est là le problème. Il est un jeune homme d’affaires à succès égaré dans le monde (le capharnaüm) politique. Il ne pense qu’à avancer. Marquer des points. Aller de succès en succès. On se souvient du titre du livre de Bernard Tapie, qui fut en France un Laurent Lamothe des années 1990 dans le gouvernement de François Mitterrand : ‘Gagner !’
A tous les coups.

Mais tous les coups ne sont pas permis !
Et comme l’atmosphère politique après le séisme de janvier 2010 était, bien entendu, fort morose (Martelly a été élu en 2011), le succès fut immédiat.

C’est le Laurent Lamothe première manière. Juvénile, sans complexe, dur à la tâche, constamment à l’écoute et qui consulte tout le monde sans exception (il reçoit les députés élus dans sa résidence pendant des heures et écoute leurs doléances l’un après l’autre).
Aucun protocole non plus lors de ses rencontres à son bureau ou chez lui avec la presse locale où il se laisse presque faire la leçon par des confrères qui n’en reviennent pas d’un traitement aussi particulier.

Diplomatie sud – sud …
Lors de sa première participation aux travaux de l’assemblée générale des Nations Unies, à New York, il délaisse les grosses pointures pour des délégations de pays qui logent comme Haïti dans le cercle des faillis.
Il réalise alors que nous pouvons échapper aux multinationales de la consommation pour (l’Etat haïtien) acheter notre riz directement du Vietnam et le revendre à un prix plus modéré, sans frustrer pour autant le revendeur local puisque c’est encore celui-ci qui le livre au consommateur.
Forçant les compagnies américaines à mettre une publicité pour leur riz sur les médias en Haïti.


Laurent Lamothe, qui n’appartient pas à la génération de la Guerre froide (lutte acharnée entre le capitalisme occidental et le monde communiste et la peur par les politiciens locaux d’être identifiés dans ce dernier camp), nous engage sans complexe dans la diplomatie sud – sud.
Même le président René Préval, pourtant un chouchou des diplomates sud-américains en Haïti, qui n’ait osé.
Notre jeune premier ministre ne voit pas en quoi cela peut nuire à Washington que Haïti reçoive de l’aide ou des conseils en matière de développement de pays de la même région et avec lesquels nous partageons davantage les mêmes difficultés. Nous citons le Venezuela, Cuba, l’Equateur etc.

‘Assistance mortelle’ …
Ne dit-on pas d’ailleurs que l’actuel pouvoir haïtien est une créature de la diplomatie occidentale, Washington en tête, celle-ci ayant pesé de tout son poids sur les résultats des présidentielles de 2010-2011, via le représentant du Secrétaire général de l’ONU en Haïti, Mr Edmond Mulet.
Voir le documentaire de Raoul Peck, ‘Assistance mortelle’, où l’ex-président René Préval raconte par le menu les menaces brandies par Mr Mulet dans l’accomplissement de sa délicate mission.
S’il a moins bien réussi dans la lutte contre la contrebande à la frontière avec la République dominicaine voisine (dont les exportations annuelles vers Haïti sont estimées à plusieurs milliards de dollars tandis que nous leur vendons officiellement pour à peine quelques dizaines de millions), par contre il n’est pas aimé des trafiquants de drogue et des gangs de kidnappeurs.

Homme d’affaires plus qu’un gouvernant …
Cependant Laurent Lamote a eu du succès jusqu’au moment où il a commencé à dévoiler ses ambitions politiques. Et dès lors c’est une toute autre histoire.
Or c’était fatal puisque dans la nature de ses relations avec le président de la république. Martelly et Lamothe sont des associés en affaires. Ils possèdent une compagnie de télécommunications en Floride et aussi, dit-on, en Afrique nommée Voice.
Dans la compagnie Voice, Martelly s’occupe de la publicité (ou propagande) et Lamothe de la gestion.
Pareil aussi dans le gouvernement. Lamothe est constamment dans l’ombre de Martelly, il se tient modestement pendant que celui-ci fait son cinéma, déballe sa camelote.
Or il semble que la gestion de Laurent Lamothe aura davantage été (on ne se refait pas aussi facilement !) beaucoup plus celle d’un homme d’affaires que d’un gouvernant.
Comme un jeune patron dans le vent, qui a réalisé son premier million avant l’âge où un Haïtien obtient son premier emploi, son principe c’est rapidité et efficacité.

Révocations par ‘sms’ …
Une rumeur veut qu’il révoque à tour de bras (et ‘par sms’) dans une administration publique haïtienne dont les coutumes remontent au 18e siècle.
La ronde des nouveaux secrétaires généraux, administrateurs et attachés de presse jusqu’aux directions générales des administrations fiscales ou des entreprises d’Etat, comme l’Electricité d’Haïti, n’en finit pas follement de tourner.
Cependant les résultats se font beaucoup plus lents.
Et des sources plus sérieuses craignent qu’il ait détruit de cette façon tout ce qu’il pouvait encore rester comme institution dans le gouvernement haïtien.

Beaucoup plus morose aujourd’hui …
Seul un homme d’affaires, donc par nature toujours pressuré par le temps, peut oser détruire tout ce que le séisme de 2010 avait épargné au centre ville de la capitale avant d’avoir ‘ready on hand’ (fin prêt) aussi bien les capitaux que l’ingénierie nécessaires à sa reconstruction.
Certains nous corrigeront : pas un homme d’affaires, mais plutôt un affairiste !
Outre que, sous le coup d’une remontée brutale du coût de la vie (de 2011 à 2014, la gourde haïtienne a perdu près du quart de sa valeur face au dollar américain qui est notre monnaie internationale), l’atmosphère générale est beaucoup plus morose aujourd’hui qu’au moment de l’élection de Michel Martelly à la présidence.
Entretemps, le mandat du président sera achevé dans un an. Laurent Lamothe doit hâter le pas puisqu’il aspire ouvertement à succéder à ce dernier dans la droite ligne de leur collaboration de toujours.
Le président Martelly l’a encore confirmé la semaine dernière. ‘Laurent Lamothe et moi on est des frères, nous partageons tout.’
Des paroles qui ne conviennent pas au chef d’Etat d’une nation démocratique. Car que devient la Constitution dans tout ça ? Les lois de la République ?
Le premier ministre s’est entouré à cette fin d’un bataillon de conseillers, juristes etc … mais dont surtout émergent une foule de communicateurs, aussi bien haïtiens que étrangers, et venant de la diaspora haïtienne en Floride.

‘Message et massage’ …
La communication comme arme absolue. C’est véritablement le ‘Message et massage’, du philosophe californien McLuhan pour dire : la communication comme lavage de cerveau. Usage immodéré des nouvelles technologies.
Mais si cela a semblé épater au début, par sa nouveauté, là aussi le point de vue du businessman l’a emporté sur celui du politique.
En communication plus qu’en toute chose, l’excès en tout nuit.
Outre que Laurent Lamothe s’entoure de tant de propagandistes (dans le public comme dans le privé !) que ceux-ci souvent se mélangent les pinceaux. Seul objectif : plaire au Prince !
Mais en politique la communication n’est pas un phénomène à sens unique comme en marketing commercial, ce n’est pas Martelly, pardon Sweet Micky, faisant miroiter les dernières trouvailles de la firme Voice, la communication politique est à double sens et peut backfire (produire un effet boomerang) quand on s’y attend le moins.
Pendant qu’on en met plein la vue au public (disons le futur électeur), on peut finir par s’aveugler soi-même.
Comme le mythe du dieu grec Narcisse qui se noie en admirant sa propre image dans la rivière.

La critique …
Parce que la vraie communication politique, celle en direction du gouvernant lui-même, se lit entre les lignes, ne se trouve pas dans les louanges mais au contraire dans la critique. Surtout quand celle-ci est sérieuse.
Sait-on que Jean Claude Duvalier avait fait contacter les journalistes qu’il avait expulsés le 28 novembre 1980.
Explication : depuis qu’ils n’étaient plus là, il ne comprenait plus rien !
C’était plus probablement dans le but de refaire l’image de sa dictature en fin de course.
Mais en même temps pas tout-à-fait faux.
Or, à voir la ruche bourdonnante autour de lui, Laurent Lamothe semble n’avoir pas su échapper à ce piège.
Aujourd’hui encore est-il psychologiquement en état d’entendre les appels lancés dans sa direction ? Qui sait.
Et pourtant, n’est-il pas en train de ruiner toutes ses chances de revenir dans la course puisqu’il ambitionne d’arriver jusqu’au sommet.
Et que, en dehors d’un manque de triture politique, il a su montrer certaines qualités.

Haïti en Marche, 6 Décembre 2014