Qui est le 'fusible' de l'autre ?
PORT-AU-PRINCE, 30 Novembre – On a l'habitude de considérer le premier ministre comme le 'fusible' qui doit sauter toutes les fois que le chef de l'Etat se trouve devant une situation difficile.
C'est le cas actuel du président Michel Martelly qui fait face à un dilemme : on le soupçonne, jusque dans la communauté internationale, de n'avoir pas organisé des élections parlementaires en retard aujourd'hui de trois ans, afin de laisser se créer un vide de pouvoir législatif, cela à partir de janvier prochain (le 12 janvier 2015 marque l'échéance de mandat du deuxième tiers du sénat, tandis que la chambre des députés devrait partir au complet), cela afin de pouvoir gouverner par décrets. C'est-à-dire avec des pouvoirs quasi-dictatoriaux.
Mais mis actuellement au pied du mur, et face à une contestation qui a fini par atteindre le monde international, le président essaie par tous les moyens de convaincre son opposition d'aller aux élections.
Tout est négociable …
Mais des sénateurs bloquent le passage de la loi électorale.
Il faut de toute évidence, et lui crie-t-on de toutes parts, jeter du lest.
Des sénateurs proches du palais national admettent que désormais tout est négociable. Sauf la Présidence …
Répondant ainsi à l'aile dure de l'opposition qui réclame le renvoi pur et simple de Martelly.
Cependant Michel Martelly a-t-il les moyens de négocier ? Même pour protéger sa Présidence !
C'est la grande question.
Autrement dit le premier ministre Laurent Lamothe peut-il partir sans entrainer la chute totale du régime ?
Un geste de bonne volonté …
En un mot, entre Martelly et Lamothe, qui est le 'fusible' de l'autre ?
Lamothe bien sûr parce qu'il n'est qu'un premier ministre, qui n'a pas été élu. Il a été nommé.
L'autorité qui nomme est aussi celle qui a le pouvoir de révocation.
Nommé par le chef de l'Etat, le premier ministre doit obtenir la ratification du Parlement.
Aujourd'hui on discute à savoir si c'est le président ou le parlement qui doit mettre fin aux services de Laurent Lamothe.
Mais serait-ce le président, comme le commanderait la logique puisque ce dernier se trouve en difficulté et qu'un changement de gouvernement pourrait signifier de sa part un geste de bonne volonté - qu'on n'a pas l'impression que Michel Martelly est sur le point de prendre une telle décision.
Le vrai responsable …
Pourtant une certaine opposition (et non des moindres puisqu'il s'agit entre autres du propre beau-frère du président Martelly, Mr Kiko Saint-Rémy) voit dans Laurent Lamothe le vrai responsable des principaux reproches faits au président, comme le piège du gouvernement par décrets qui se cache derrière la non organisation des élections, comme aussi l'utilisation de la justice et de la police nationale pour réprimer les opposants etc.
Qu'est-ce donc qui fait une telle différence entre cette administration et les précédentes que le président n'ose pas utiliser l'instrument classique : le premier ministre comme 'fusible' ?
Associés aussi en affaires …
Eh bien c'est aussi la première fois qu'un président et son premier ministre sont liés autant l'un à l'autre. Oui, Martelly et Lamothe sont associés en affaires. De plus, tout le monde le sait. Ils sont, comme aujourd'hui, au timon des affaires de l'Etat (souligner le mot affaires !) en Haïti, comme ils ont été jusque-là président et vice-président d'une compagnie de téléphonie, Voice, enregistrée aux Etats-Unis et, dit-on aussi, en Afrique du Sud.
C'est leur droit le plus entier. La Constitution haïtienne n'interdit pas à un homme d'affaires de devenir président ou premier ministre en Haïti.
Mais que les deux président et vice-président d'une même compagnie occupent les deux postes les plus importants de l'Exécutif d'un pays, cela ne s'est jamais vu nulle part ailleurs.
Conflit d'intérêts ne saurait être plus flagrant. Scandaleux !
Parlementaires jean-foutre …
Conclusion : il n'y a pas de 'fusible'. Si l'un tombe, l'autre doit tomber aussi. Ainsi disparaît un maillon important au principe de rééquilibrage essentiel dans la gestion des crises inhérentes à l'action gouvernementale. Et au fonctionnement démocratique du système.
C'est aussi la faute de parlementaires jean-foutre (voire stipendiés) qui ont accepté de ratifier une telle monstruosité.
Et qui espèrent s'en tirer sans avoir à reconnaître leur responsabilité.
Encore une fois, only in Haiti !
Marcus - Haïti en Marche, 30 Novembre 2014