PORT-AU-PRINCE, 14 Décembre – Le premier ministre Laurent Lamothe a accepté de partir. La nouvelle a été rendue publique dans la nuit de samedi à dimanche, après une attente de plusieurs heures. Le démissionnaire aurait jusqu’au dernier moment voulu négocier les conditions de son départ mais l’envoyé spécial de Washington, Thomas Shannon, qui a séjourné dans la capitale haïtienne durant la semaine écoulée, aurait été catégorique : Dès ce lundi 15 décembre, Haïti doit commencer les contacts pour se donner un nouveau premier ministre, qui, à la tête d’un gouvernement dit de consensus, doit conduire le pays vers des élections (législatives et communales) en retard déjà de trois ans.
Outre que 2015 sera aussi l’année du nouveau scrutin présidentiel, le mandat de Michel Martelly court jusqu’au 7 février 2016.
Sur son compte Facebook, le premier ministre sortant expose les réalisations de son gouvernement pendant les 4 dernières années.
Verre à moitié plein ou à moitié vide …
Pour ses partisans, c’est un record vu l’état déplorable dans lequel se trouvait le pays au lendemain du séisme du 12 janvier 2010 qui a détruit 120 pour cent du PIB, tué plus de 250.000 personnes et jeté 1 million et demi à la rue.
Mais c’est le dilemme du verre à moitié plein et du verre à moitié vide.
Peu sont les projets qui ont été menés à destination tandis que plus de 90% restent inachevés.
Aucun des bâtiments publics en construction n’a été délivré.
Aussi la postérité décidera si le gouvernement Lamothe n’a pas laissé un pays disloqué plutôt que fait avancer la reconstruction post-séisme.
Cela pour avoir probablement vu trop grand.
Qu’est ce qui est le meilleur : le verre plus qu’à moitié plein de projets soigneusement sélectionnés au départ pour pouvoir être achevés à temps et dans les moyens disponibles ou le verre à moitié vide de projets pléthoriques mais dépassant les possibilités financières du trésor public.
L’assiette au beurre …
C’est ce dernier choix qui a été fait par le premier ministre Laurent Salvador Lamothe et ‘son frère’ le président de la République, Michel Joseph Martelly. Dixit ce dernier.
Choix des plus bizarres étant donné que Mr Lamothe aspire ouvertement à la succession au palais national. Et que rien ne vaut mieux qu’une bonne palette de projets achevés clef en main.
A moins que le couple Lamothe-Martelly (ce n’est pas par hasard que nous mentionnons d’abord le nom du premier ministre, mais parce que c’est lui qui semble dominant dans le couple) ait eu d’autres motivations.
Comme le clame l’opposition : le plus de projets, le plus de commissions pour les responsables, à tous les niveaux, le pouvoir en Haïti en étant venu à représenter une simple affaire d’assiette au beurre.
Aussi les projets proprement dits sont-ils automatiquement sacrifiés à une politique de prébendes et de resquille, et aujourd’hui plus lourde encore que jamais pour la caisse publique qu’il y entre certains secteurs internationaux (par ex. les contrats décrochés par le sénateur dominicain Felix Bautista et aujourd’hui probablement gelés comme les autres actifs de ce puissant membre du parti au pouvoir à Santo Domingo mais actuellement sous investigation judiciaire) …
Pris de vertige …
C’est un avertissement pour le successeur de Laurent Lamothe. Il ne suffit pas de faire montre de dynamisme, comme on crédite le premier ministre sortant (notamment le secteur international des institutions financières et du monde capitaliste) mais toujours se rappeler que nous sommes un petit pays, pauvre, obligé de vivre selon ses maigres moyens et faire au contraire la chasse aux resquilleurs de tous acabits, haïtiens comme étrangers.
Secundo, le premier ministre Laurent Lamothe a pu avoir été pris de vertige parce que exerçant trop de pouvoir.
On se souvient de ce gag à la télévision américaine quand Henry Kissinger était le chef de cabinet du président Nixon : ‘Me and my assistant, Richard Nixon’ (moi et mon assistant, le président Nixon).
Tel est le cas avec le couple Martelly-Lamothe. Et c’est le président Martelly qui lui-même l’avoue. ‘Lamothe et moi on est frères dans l’âme, on est lié en tout et pour tout.’
D’après la Constitution en vigueur, l’Exécutif a deux têtes bien distinctes : le Président de la République et le Premier ministre.
Outre qu’on soupçonne l’Exécutif de ne pas hésiter à utiliser la même politique de prébendes pour s’attirer les bonnes grâces d’une partie du Parlement.
Dès lors, le fonctionnement normal du système démocratique et constitutionnel s’en trouve perturbé.
Dictature moderne ! …
Dès lors un tout petit groupe, mais couvrant tous les secteurs de décision et de sensibilisation (y compris les moyens de communication, publics aussi bien que privés), peut arriver à s’imposer aux commandes de la nation.
Une sorte de dictature moderne ! Outre que les élections n’arrivent pas à être organisées pour des raisons difficiles à identifier, les uns et les autres se renvoyant la balle. Mais, n’oubliez pas : toujours cherchez à qui le crime profite ! L’Exécutif a placé tous ses pions à l’intérieur du pays, la Constitution lui permettant de remplacer les conseils communaux jusqu’aux résultats du prochain scrutin.
Sauf qu’on oublie qu’il s’agit d’un pays pauvre, qui ne peut supporter une charge de plus en plus trop lourde pour ses frêles épaules, et que tôt ou tard les pneus finissent par éclater avant que toute la machine ne s’arrête.
C’est le sort aujourd’hui de l’administration Martelly-Lamothe. Des centaines de millions ont été dépensés en projets publics ces dernières années, plus que jamais auparavant, donnant une impression en effet d’un pays qui renait de ses cendres, mais en termes de création de richesses nationales et de revenus réels, le citoyen n’arrive pas à comprendre le malheur qui lui arrive en même temps que le trésor public est complètement asséché.
S’en prendre qu’à nous-mêmes …
Le prochain gouvernement doit se préparer. Il n’aura de moyen que son caractère de consensus, c’est-à-dire basé sur l’universalité, autant que faire se peut, des citoyens et non le représentant d’une camarilla.
Mais pour le reste, on doit se reposer sur la compréhension de nos concitoyens, car on n’aura plus le loisir de tout mettre sur le dos du pouvoir.
En un mot ici finit le règne ‘Tèt Kale.’ Alors what’s next !
La balle est désormais dans notre camp à nous les Haïtiens. Si on laisse la discorde nous dominer, il ne faudra s’en prendre qu’à nous-mêmes car une solution devra finir par nous être imposée étant donné que nous n’avons pas le droit de mettre en danger … la sécurité régionale.
Haïti en Marche, 14 Décembre 2014