LA VALLEE DE JACMEL, 10 Août – On se plaint qu’il n’existe pas de salles de cinéma en Haïti, les dernières ont disparu avec le séisme du 12 janvier 2010, mais est-ce une si grande perte quand on sait ce qui se produit aujourd’hui comme oeuvres cinématographiques ?
Jusqu’à Miami que ce ne sont que de très jeunes qui se bousculent à l’entrée des salles.
Celles-ci pourvues certes de toutes les dernières trouvailles en matière technologique. Car le cinéma aujourd’hui n’est plus ce qu’il était.
Fini le temps où l’on se bousculait au Rex, au Capitole, à l’Impérial ou au Triomphe pour les dernières œuvres des metteurs en scène français Claude Chabrol ou Costa Gavras (L’Aveu) ou américains Francis Ford Coppola ou Georges Lucas (Star Wars), aujourd’hui le cinéma n’est pas une affaire de savoir bien raconter une histoire (la Guerre du Vietnam est déjà loin et l’Espace est colonisé depuis belle lurette, le président Trump ne déclare-t-il pas que Mars sera bientôt habité … par les Américains bien sûr, America first !), le cinéma nouveau, qu’il ne faut pas comprendre avec le nouveau cinéma comme on disait nouveau roman qui signifie une révolution dans le domaine, l’œuvre cinématographique aujourd’hui est davantage le produit d’une compétition à coups de trouvailles technologiques : les multiples possibilités que procure le montage numérique passant avant le fait culturel cinématographique proprement dit.
Or ce sont les grandes compagnies (‘Majors’) qui font la distribution dans les métropoles ou plutôt mégapoles comme Miami.
Aussi faut-il attendre leur passage à la télé - européenne (de préférence) - pour voir les deux derniers films de Raoul Peck : ‘Young Karl Marx’ et ‘I’m not your negro’ sur la vie et l’œuvre de l’écrivain afro-africain James Baldwin.
Fini le temps où aux Etats-Unis la télévision publique (PBS) ou la chaine BRAVO passait des chefs d’œuvres culturels (musique, danse, cinéma …).
Cela a diminué depuis que l’administration fédérale, sous l’influence des élus Républicains, a décidé de réduire les subventions nécessaires.
Quant à la télévision en Haïti, elle ne possède pas les droits de reproduction.
Cette redirection de l’art cinématographique vers la primauté du technologique est peut-être l’une des causes aussi de l’arrêt observé dans une production cinématographique haïtienne naissante.
Y compris à l’extérieur (Etats-Unis, Canada).
L’une de nos vedettes ne s’est-elle pas reconvertie dans la politique. C’est Nice Simon, aujourd’hui mairesse élue de Tabarre.
Le Ciné Institute de Jacmel fait de moins en moins parler de lui.
Une tentative de ciné club ces dernières années à Pétionville, on n’en entend plus rien non plus.
Pas une note de solfège ...
Que nous reste-t-il ? La musique. Presque totalement dominée par le Rap créole et le ‘Rabòday.’
Ou cette nouvelle création des vacances d’été 2019 appelée ‘Car Wash’ (les jeunes qui bloquent toute circulation dans un quartier pour danser et faire la fête … dans un monde de total dénuement, hélas).
Cependant cela ne mène pas loin en fait de patrimoine culturel.
Nos nouveaux musiciens - comme le proclamait, s’en glorifiait même l’un d’entre eux, un certain Joseph Michel Martelly, profession troubadour - ne savent pas une note de solfège.
D’où nous viendront les nouveaux Guy Durosier, Antalcidas Murat, Gérald Merceron, Issa El Saieh, Joe Trouillot, Martha Jean Claude, Frantz Casséus, Carmen Brouard, Micheline Laudun Denis, voire Ludovic Lamothe, Justin Elie et leurs œuvres restées immortelles ?
Si l’Etat haïtien ne se décide pas hic et nunc (ici et maintenant) à investir profondément dans la culture. Mais la vraie.
Disparaître corps et biens ...
Notre pays fait peur actuellement. Haïti laisse l’impression de s’enfoncer dans la disparition totale, corps et biens (enfin ce qu’il en reste).
Sur les plans économique et structurel c’est le néant total. On ne voit rien à l’horizon. Tout le monde le constate et le répète.
Mais comme avait dit un de nos écrivains au lendemain du séisme de janvier 2010 : Quand tout aura disparu, en Haïti il nous restera la culture !
Oui mais la culture n’est pas un simple don de Dieu, n’est pas la science infuse mais avant tout une accumulation d’expériences vécues.
Pour nos gouvernants actuels, cette culture-là consiste en des millions déversés aux élus locaux pour la fête patronale.
Or jusqu’à ce jour notre pays pullule de jeunes passionnés par le théâtre, la grande musique ou la danse classique comme on l’a vu lors de la tournée en Haïti en 2016-2017 des orchestres philarmoniques des universités de Yale et de Cornell qui, avec notre Orchestre philarmonique de Sainte Trinité, ont donné des concerts en plein air (au Champ de Mars comme au Palais Sans Souci, de Milot - Cap-Haïtien) tout comme les nombreuses compagnies de danse locales qui ont accompagné la tournée du Martha Graham Dance Company à Port-au-Prince comme à Jacmel.
Ce n’est pas souhaiter la disparition totale de notre pays comme cela semble avoir commencé, que de rappeler que si Haïti survivra par sa culture, il n’est pas trop tôt pour commencer à renforcer cette dernière.
Et cela vaut aussi pour ce qu’on appelle le secteur privé.
Evidemment !
Marcus-Haïti en Marche, 10 Août 2019