JACMEL, 31 Mai – L’immigration illégale haïtienne a changé d’adresse. Les nôtres se font de moins en moins cueillir sur les plages de Floride. Ni aux aéroports de Pointe à Pitre ou de Cayenne.
Les derniers refoulés l’ont été sur l’aéroport de Santo-Domingo (République dominicaine) mais en provenance du Brésil ou de pays limitrophes : Pérou, Bolivie.
On aurait tort de le prendre comme un pur hasard car à l’heure où de grands bouleversements économiques s’accomplissent sur la planète, à l’ère des économies émergentes, l’immigration, y compris dans sa version illégale, constitue aussi un important aspect du marché global.
Evidemment vu sous l’angle d’Haïti, nous avons tant de compatriotes qui ne pensent qu’à partir pour des cieux plus cléments que nous sommes peu susceptibles de voir la différence.
On tente de mettre le tort sur les fameux ‘coyotes’, les passeurs qui se font payer 3.000 dollars américains par tête.

Avaler Haïti toute entière …
Mais plusieurs milliers sont déjà parvenus à destination et ont trouvé du boulot. Le Brésil est une immense usine qui serait capable d’avaler Haïti toute entière. Pour le moment, la 6e économie de la planète.
Ensuite, on n’a pas encore enregistré un seul mort contrairement aux traversées en mer. Oceano nox, combien qui sont partis pour des terres lointaines et n’en sont point revenus ! Bref, aucun Haïtien qui ait été dévoré par un anaconda !
Outre l’attrait socio-culturel : football, carnaval, vodou.
Pendant qu’on apprend ceci tombe une autre information : une commission sénatoriale américaine, bipartisane (autant de Républicains que de Démocrates) qui planche sur un projet de loi pour légaliser le statut de 11 millions d’immigrants illégaux aux Etats-Unis, vient d’en recommander le vote au Congrès.
L’immigration reprend de l’importance au niveau, si l’on peut dire, du Dow Jones ou la bourse des valeurs.

Mettre les grands à leur tour en compétition …
L’immigration peut un jour ne plus être ce geste humanitaire que font semblant de nous concéder les grands pays du Nord où les sous-développés du Sud se battent pour parvenir.
Les économies émergentes peuvent aussi devenir un principal pôle d’attraction pour des migrants du Sud, privant le Nord d’un important manque à gagner.
Bref l’immigration, y compris dans sa version illégale, peut aussi mettre à son tour les grandes puissances économiques en compétition. Pourquoi pas ? Tout comme n’importe quelle autre ressource naturelle car étant elle aussi un apport majeur à la croissance économique dont on est aujourd’hui si friand.
Nos voisins dominicains peuvent certainement en dire quelque chose !

Cibler soi-même les pays d’accueil selon leurs besoins …
D’ailleurs nous sommes les seuls à ne pas le réaliser. Depuis très longtemps un pays comme les Philippines a développé une politique d’émigration méthodique, qui cible les pays d’accueil selon leurs besoins. Ainsi les infirmières et infirmiers sont destinés à l’Amérique du Nord (Etats-Unis et Canada). Et aujourd’hui en Haïti, les ouvriers spécialisés en industrie d’assemblage sont presque tous également philippins.
Le pays natal, en l’occurrence les Philippines, investit dans la formation de ces cadres-là qui se disséminent ensuite de par le monde. Mais pas sans avoir remboursé l’Etat pour assurer ainsi leur avenir en terre étrangère.

Lois du marché …
L’immigration n’est pas une tare pourvu qu’une société n’ait point honte d’abord envers soi-même, et honte qui ressort toujours des contradictions propres à ladite société. Comme dans notre cas …
Les Haïtiens (surtout ceux d’Haïti, beaucoup moins en diaspora) semblent ne pas savoir que les Italiens et autres européens (bien sûr aussi les Juifs) qui ont émigré aux Etats-Unis après la Seconde guerre mondiale (1945) ne l’avaient pas fait dans des conditions très différentes que le clandestin haïtien d’aujourd’hui.
L’émigration répond aux lois du marché comme toute autre ressource économique. Avec des hauts et des bas. Fidel Castro nous raconta comment il fut peiné de voir renvoyer chez eux les Haïtiens que, petit, il avait connu dans les plantations de l’Oriente où ceux-ci avaient immigré pour couper la canne, quand Cuba bénéficiait d’un quota privilégié pour la fourniture de sucre aux Etats-Unis. On sait que le Lider maximo leur en garda une éternelle admiration.

Usines à soldats pour l’ONU …
Tout comme, et méfions-nous, ce n’est pas parce que les pays sud-américains auront retiré leurs troupes d’Haïti (on en voit déjà certains qui le mettent à leur actif !) que la Minustah (mission onusienne de maintien de la paix) aura pris fin. Il existe déjà plein de pays qui se sont transformés en usines à soldats pour les missions de l’ONU.
‘Enbesil ki bay, sòt ki pa pran.’ Traduisez, tout pays doit apprendre à tirer son épingle du jeu. La globalisation, quoi.
En Haïti, tout au contraire est prétexte à discrimination (épiderme, fortune matérielle, relations etc) ainsi que aujourd’hui l’épithète de diaspora par opposition … à quoi, on ne sait ! Il n’existe plus rien.

On peut même gagner sur les deux tableaux …
Les plus forts sont nos voisins dominicains qui pompent tous nos cultivateurs pour leurs plantations de bananes ainsi que nos cadres hôteliers pour leur industrie touristique sans nous verser un seul peso en guise de remboursement …
Tandis que c’est encore eux qui moissonnent tous les emplois spécialisés dans l’industrie de la (Re)construction en Haïti.
Dans le processus de migration on peut donc même gagner sur les deux tableaux.
Avec des décideurs un peu plus qualifiés. Mais surtout moins complexés que depuis toujours les nôtres.

Haïti en Marche, 31 Mai 2013