Brasilia dit : Autant !


PORT-AU-PRINCE, 26 Mai – Le Brésil semble un pays tout indiqué pour l’immigration haïtienne. Immense et riche en ressources naturelles. Une industrie débordante. Déjà 6e puissance économique de la planète. Et environ 193 millions d’habitants alors que les Etats-Unis font un peu moins du double (plus de 315 millions).
Ce n’est pas le boulot qui manque. Et l’immigrant haïtien est connu pour ne pas rechigner à la tâche.
D’autre part le Brésil veut combiner son succès économique avec une reconnaissance diplomatico-politique internationale. Brasilia vient d’annuler la dette de douze pays africains. Soit un total de 900 millions de dollars, ce en marge de la célébration du cinquantenaire de l’Unité africaine.
‘Avoir des relations spéciales avec l’Afrique, c’est stratégique pour la politique étrangère brésilienne’ déclare le porte-parole de la présidente Dilma Roussef.
Mais c’est Haïti qui aura été le premier jalon posé avec le rôle primordial joué par le Brésil dans la mission de paix onusienne depuis 9 ans dans nos murs ou Minustah. En effet le plus gros contingent de casques bleus nous vient de ce pays qui assure aussi le commandement de la branche militaire de la mission.
En échange, Brasilia lorgne (croit-on) un poste de membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU.
A la hauteur de son importance aujourd’hui dans un monde qui voit éclater le vieil ordre issu de la Seconde guerre mondiale (1945).
Outre les liens socio-culturels (football, vodou, carnaval etc).


D’autre part le gouvernement brésilien a jusqu’ici manifesté les meilleurs sentiments envers Haïti. Projets de développement (énergie électrique, agriculture etc).
Si la classe politique a été plus lente à le recevoir, le message a été tout de suite capté par la population. L’immense colonne des chômeurs a pris cette nouvelle direction, se détournant même en partie des destinations habituelles (Bahamas, Floride, République dominicaine voisine …).
Le terrible séisme qui a frappé notre pays en janvier 2010 a fait le reste.
L’administration brésilienne a joué le jeu. En 2012, 4.800 Haïtiens se sont établis légalement.
Mais le flot ne s’arrête pas. Depuis le début de l’année, 2.700 Haïtiens sont déjà entrés illégalement dans le pays.
Ils arrivent par un système compliqué et dangereux qui les fait transiter par les pays limitrophes : Pérou, Bolivie. N’ayant jamais été sur la carte de l’immigrant haïtien, ces derniers ne nécessitent pas un visa pour y parvenir.
Dès lors la question prend une tournure plus grave. L’intégrité territoriale du Brésil et des Etats voisins.
D’autant plus que la colonne de clandestins ne se déplace pas d’elle-même mais sous la direction de ce qu’on dénomme les ‘coyotes’, cette espèce de renard qui erre dans les prairies à la recherche d’animaux séparés du troupeau. Et en l’occurrence ce sont les Haïtiens qui sont prêts à aller n’importe où pourvu qu’ils trouvent un emploi et de meilleures conditions que dans leur pays natal. Ces passeurs fixent un tarif de 3.000 dollars américains par tête.
D’où un véritable conseil de guerre qui s’est tenu ces jours derniers à Brasilia autour de la question du clandestin haïtien et réunissant tous ces pays impliqués : Pérou, Bolivie, Panama, République dominicaine et bien sûr Haïti.
En même temps le Brésil, soucieux de son image dans les pays du Sud où il déploie une offensive diplomatique, hésite entre deux attitudes.
Essayer de contrôler le flot mais sans fermer la porte à l’Haïtien.
En avril dernier, 900 de nos compatriotes, entrés dans l’Etat d’Acre (Amazonie) ont reçu un permis de travail.
Mais jeudi ou vendredi un nombre de 322 ont été expulsés sur la République dominicaine voisine d’Haïti, autre point de transit sur la route vers le Brésil.
La question a été portée aussi bien entendu devant le Premier ministre haïtien Laurent Lamothe en visite officielle la semaine écoulée à Brasilia.
Nous ne savons quelle a pu être sa réponse. Toujours est-il que tout en n’étant pas facile à résoudre (car les ‘coyotes’ ne sont pas nés d’hier et, comme le renard de la fable, ont plus d’un tour dans leur sac) le problème se pose cependant en termes très simples.
Haïti doit apporter un maximum de concours pour maitriser cette immigration illégale massive (qui fait peser une menace sur l’intégrité territoriale des pays concernés d’autant plus en ces temps de terrorisme international) et donc susceptible de produire l’effet contraire : fermer définitivement la porte du Brésil pour l’immigrant haïtien.
Nous avons intérêt plus que tous ces autres pays mentionnés à résoudre le problème.
En même temps que nous pouvons obtenir de Brasilia (qui n’y est probablement pas opposé vu les bonnes dispositions manifestées jusqu’à présent) de plus grandes facilités pour l’obtention des visas en Haïti même.
Mieux encore : pourquoi ne pas créer un visa de travailleur temporaire. Le jeune Haïtien qui va au Brésil est garanti d’un emploi sûr. En même temps son retour régulier en Haïti permet de faire bénéficier son pays des nouvelles connaissances acquises. C’est une autre excellente forme de coopération bilatérale.
Le Brésil, puissance émergente, semble assez neuf aussi dans ce domaine de l’immigration. Et ouvert aux idées nouvelles.
Mais le pire serait que Port-au-Prince reste les bras croisés comme on l’a fait depuis toujours, depuis la dictature Duvalier, laissant les pays destinataires se débattre tout seuls. Exposant aussi nos immigrants à l’inconnue totale. Y compris les destins les plus cruels.

 

Mélodie 103.3 FM, Port-au-Prince