La lutte contre l’impunité n’est pas de l’improvisation

PORT-AU-PRINCE, 7 Mai – On parle beaucoup de lutte contre l’impunité en Haïti.
S’il y a quelque chose de positif, c’est qu’on en parle. Mais c’est tout. Car la lutte contre l’impunité ce n’est pas seulement du discours. C’est Acta non verba. Même si ces actes se traduisent beaucoup par des mots. Mais au sens de : Enseignement. Car la lutte contre l’impunité n’est pas naturelle à l’homme comme on l’aurait crû. Bien au contraire. Et ni en Haïti, ni ailleurs.
Les exemples abondent.
Le peuple allemand aime jusqu’à ce jour se convaincre que c’est seulement Adolf Hitler qui a la responsabilité de la Seconde guerre mondiale et de la disparition de plusieurs millions de juifs et d’autres ethnies et minorités.
Le Français idem. A la fin de l’Occupation allemande (ce que les Français appellent la Libération), les purges contre ceux qui avaient collaboré avec l’occupant ou ‘collabos’ n’ont pas duré bien longtemps.

C’est des décennies plus tard que l’Etat français acceptera officiellement ses responsabilités dans la livraison de Juifs français à l’Allemagne nazie.

Tout oublier ! …
Comme si les peuples – une fois le mauvais moment passé – ne pensent qu’à tout oublier.


C’est une réaction naturelle. Or le danger s’il n’y a pas rupture, c’est que les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets, c’est laisser la porte ouverte aux cinglés qui peuvent recommencer les mêmes folies, attendre toujours le moment opportun pour y soumettre les peuples. Les mêmes peuples.
Les peuples ne sont pas monstrueux par nature mais peuvent être entrainés dans des aventures monstrueuses.
Une certaine pensée occidentale, européo-centriste, voudrait laisser croire (et aujourd’hui encore) que c’est une question de degré de civilisation (civilisation bien sûr jugée à l’aune occidentale) mais oubliant que l’Allemagne est le pays dont l’Histoire compte le plus de savants et de philosophes.

Discipline et conviction …
D’autre part, la lutte contre l’impunité, le combat pour la justice, pour l’établissement de l’Etat de droit, lorsque nous en parlons en Haïti, c’est comme qui dirait une inspiration soudaine, un coup de génie, une révélation comme Paul sur le Chemin de Damas, ‘yon kout loray’, alors que c’est tout le contraire. C’est un travail lent et long. Et difficile. Beaucoup de discipline. Et de difficultés. Mais surtout de conviction. Oui, c’est un engagement – comme les Juifs au sortir des camps de la mort et qui ont juré : Jamais, plus jamais !
Ou c’est le fruit d’une longue et profonde réflexion. Et maturation. C’est un peuple parvenu à l’âge adulte. Comme Nelson Mandela qui devenu président a créé la formule de la Commission Vérité pour juger les responsables du régime de l’Apartheid, le racisme érigé en méthode d’exploitation et de gouvernement. Beaucoup retiennent le mot Commission mais négligent celui de Vérité. ‘Verite sou tanbou’ !

L’exemple sud-américain …
Ou c’est la mise en place d’institutions solides, consensuelles et viables. Et appuyées sur le principe de l’Etat de droit comme le font dans notre continent les nations victimes des dictatures militaires des années 1970 : l’Argentine, le Chili, l’Uruguay.
Nous avons dit institutions mais pas sous la seule forme gouvernementale (Ministère des droits humains, Office de la protection du citoyen et autres), ni un pullulement d’ONGs de défense des droits humains qui ne tardent pas à sombrer elles aussi dans la bureaucratie, soumises elles aussi à la comptabilité plus ou moins aliénante de l’aide humanitaire …
Mais lutte contre l’impunité comme éducation élémentaire et supérieure, enseignement à tous les degrés : jardin d’enfants, primaire, secondaire et universitaire. Jusqu’au doctorat.
La lutte pour l’Etat de droit et contre l’impunité à la fois comme idéologie nationale, instruction civique et morale et doctrine philosophique par excellence.
Bref ces nations sud-américaines sont en train de mener une véritable révolution. A faire rougir nos grands voisins du Nord embourbés en même temps dans leur impossibilité de contrôler l’expansion anarchique des armes à feu.

 

 

‘Les plaisirs démodés’ …
Oui alors que la lutte contre l’impunité n’est pas naturelle à l’homme (qui le premier moment d’excitation passé, comme le 7 février 1986, cherche plutôt à tout oublier, à retrouver sa petite vie moutonnière, bien pépère, ‘les plaisirs démodés’ que chante Aznavour. Et ce dont les grands tyrans comme un Papa Doc sont parfaitement conscients et s’autorisent à en tirer cyniquement parti - sans état d’âme), l’Argentine et le Chili particulièrement ont créé une véritable religion de la lutte contre l’impunité comme moyen le plus sûr de barrer la route au retour des mêmes horreurs.

Sans la stabilité, pas d’Etat de droit …
Mais dans tous les cas, un commun dénominateur : la démocratie et la stabilité politique sont essentielles.
L’Etat de droit ne peut exister en dehors de la démocratie. Et de la stabilité politique.
Que ce soit la formule sud-américaine ou la Commission Vérité à la Mandela, la démocratie est de rigueur.
Pas d’Etat de droit sans démocratie. Pas de démocratie véritable sans la stabilité politique.
Et vice versa. Sans la stabilité pas de démocratie véritable. Donc pas d’Etat de droit.
Alors que en Haïti nous nageons dans l’instabilité depuis la chute de la dictature trentenaire en février 1986. Et que nous continuions de plus belle. Allègrement.
Or comment barrer la route à l’impunité sans un Etat de droit – qui garantisse le règne du droit contre celui de l’injustice. De l’impunité.
Autrement dit, nous devons commencer par le commencement. Sinon ce ne sont que des discours. Plus pompeux les uns que les autres. Ou au mieux des coups d’éclat mais toujours sans lendemain. Des coups d’épée dans l’eau.
Tandis que les moins fortunés d’entre nous doivent se contenter de confier leur sort au ‘bon Dieu bon.’

Marcus - Mélodie 103.3 FM, Port-au-Prince