Frankétienne Ambassadeur de la Culture Haïtienne

MIAMI, 12 Avril – Ce 12 Avril, Frankétienne a soufflé 80 bougies. Le même jour, il est déclaré par le gouvernement haïtien grand Ambassadeur de la Culture Haïtienne de par le monde. Un titre par lequel Haïti reconnaît que l'immense talent de cet écrivain et peintre (artiste complet comme se voulait un Hugo ou un Cervantès dont il partage le souffle profond et le goût de l'absurde) a rendu notre nation plus riche, plus noble.
'Where are all the flowers gone ?' Voici que nous vivons aujourd'hui non seulement dans un monde misérable, au sens physique et financier, mais aussi triste et sans couleurs. Que sont devenues les fleurs, du temps qui passe et ne laisse plus de traces !
Où est Haïti chérie ou comme on disait encore, à tort ou à raison : le pays qui chante et danse sa misère ?
Sommes nous devenus plus réalistes à ce sujet. Ou au contraire pessimistes ? Ou pire encore, négatifs ?
En tout cas quelque chose s'est passé ces dernières décennies.
Réalistes, la nouvelle chanson haïtienne, la nouvelle peinture haïtienne, le nouveau roman haïtien ne veulent plus cacher la vérité, certes.
Cependant c'était la même ambition dans les années 1910-1920 chez Frédéric Marcelin, Fernand Hibert, Justin Lhérisson et plus tard chez Roumain, Jacques Alexis, Depestre et les autres.


Cependant ils ont tous traversé le temps, sans laisser de plume.
Pourquoi aujourd'hui ce vide qui nous entoure. Comme un ballet d'ombres, 'le vieux parc solitaire et glacé' de Verlaine.
Il serait peut-être mieux de dire que nous avons voulu arracher le mal (incarné par une dictature trentenaire) mais un peu maladroitement. Et conclusion, nous avons arraché également la bonne semence avec la mauvaise herbe. Nous avons jeté le bébé avec l'eau du bain.
Pire, la politique n'a rien arrangé. Une lutte politique, sans fin, trop longue a fini par perdre tout sens, tout son sens, tout contenu véritable pour sombrer dans les querelles de personne. On s'entredévore. A belles dents. S'autodétruit. De plus en plus bassement. Finissant par écarter beaucoup, qui ne se sentent pas le caractère qu'il faut pour se colleter dans cette mare aux diables, cet asile de fous.
Ce n'est pas la ville où l'on parle par signes de Phelps, mais c'est celle où tous défilent sur la pointe des pieds, de peur de se faire remarquer.
C'est l'anomie collective absolue. Aucune tête ne doit dépasser. Encore plus celles qui, par nature, devraient l'être. Nos talents. Nos modèles.
La mauvaise herbe comme on dit, remplace vite la bonne.
Vinrent les réseaux sociaux, le fameux Facebook, pour faire le reste. Puisque, comme l'auberge espagnole, on y mange ce que l'on y apporte. Dis mois ce que tu racontes, je te dirai qui tu es.
Pourquoi la décision de nommer ce 12 Avril qui lui a fait 80 berges, Frankétienne notre Ambassadeur partout sur la terre bénite et jusqu'à la fin des temps, marquera, espère-t-on, un retour en arrière indispensable pour combler ce vide angoissant d'un pays sans visage, sans couleur, pauvre non seulement par ses habits de souillon mais on dirait jusqu'au fond de son âme.
On est sorti de l'esclavage, on a survécu à toutes les dictatures, y compris celles venues d'ailleurs, 'ces caraïbes d'une autre race', mais nous perdrons ce pays si nous lui enlevons ce qu'il a de plus beau : le chant de ses rossignols, de ses areytos, et que sont nos poètes, nos musiciens, nos grands sportifs bref les meilleurs d'entre nous, et que nous n'honorons pas pour leur simple bonheur personnel, mais pour leur rôle de guides, irremplaçables.

Mélodie 103.3 FM, Port-au-Prince