Non aux pistaches 'yankees' ! Oui mais ...
PORT-AU-PRINCE, 21 Avril – Certain que les gros producteurs agricoles américains, largement subventionnés par l'Etat fédéral, ont profité de nos lacunes, insuffisances ou de nos erreurs pour déverser leurs tonnes de produits sur le marché haïtien réduisant ce dernier à néant à cause de l'impossibilité de soutenir la concurrence des prix et des coûts de revient.
Et cela est arrivé si souvent, et toujours à notre détriment qu'on comprend la levée de boucliers qui accompagne cette promesse de don de 500 tonnes métriques de pistaches (cacahuètes) pour les écoliers haïtiens menacés par l'insécurité alimentaire après trois années successives de sécheresse provoquée par le phénomène climatique El Niño.
Le débat fait rage en ce moment et, la nouveauté : jusque dans la presse américaine ('Donation of surplus peanuts from US dismays Haiti farmers' - Washington Post-AP, 15 Avril 2016).

Le 'gros cochon blanc américain' ...
Les défenseurs du don répondent que celui-ci ne concerne que 1.4% de la production haïtienne de pistaches (plus répandue sous forme de beurre de cacahuètes, dont la qualité haïtienne est très goûtée en diaspora).
Secundo, que la pistache haïtienne a une forte incidence de 'aflatoxine', un 'fongus carcinogène' (parasite) etc.

Mais il est difficile de s'enlever de la tête qu'une histoire semblable nous avait été contée dans les années 1970 pour justifier la destruction du 'petit cochon créole haïtien', dont l'implantation remontait à la colonie de Saint Domingue et qui s'était parfaitement adapté aux conditions depuis toujours difficiles du milieu paysan haïtien au point de venir à être considéré comme sa 'boite-secrets' (autrement dit son compte en banque).
Or sous prétexte que le petit cochon noir haïtien avait une maladie qui pouvait se propager jusqu'à son homologue en Amérique du Nord, une campagne systématique fut conduite en Haïti, au prix de millions de dollars, pour éradiquer notre glorieux petit survivant et pour le remplacer par un gros cochon blanc, gros et gras, importé des fermes climatisées du Texas, mais ne consommant que de la nourriture importée, donc hors de portée du paysan haïtien.
La nouvelle espèce ne survivra pas longtemps ou sous toutes sortes d'ersatz peu convaincants. Principal perdant : le paysan.

La 'guerre du riz' ...
Cela n'empêchera pas 15 ans plus tard de tomber dans le même piège avec le riz de Miami.


L'une des raisons inconnues pour lesquelles Washington a lâché Baby Doc (Jean Claude Duvalier renversé le 7 février 1986) était la poussée pour ouvrir toujours plus grand le marché haïtien aux produits agricoles américains.
Sous Duvalier, la production de riz, centralisée dans la Vallée de l'Artibonite, était un marché captif aux mains du régime, qui l'utilisait pour le contrôle de cette région du pays, le département de l'Artibonite ayant une réputation de faiseur de pouvoir.
Duvalier parti, le riz importé se déversa à un prix si compétitif que en peu d'années le riz haïtien, jusqu'ici si estimé, le fameux 'Madan Gougous', disparaissait devant le riz 'Grenn long' dit riz de Miami.
Aujourd'hui le riz consommé coûte multiples fois plus cher. Tandis que le paysan de l'Artibonite, malgré des tentatives sous la présidence Préval, a abandonné la Vallée pour aller errer sur les chantiers de construction chez nos voisins Dominicains (République dominicaine) jusqu'aux déportations massives actuellement en cours.
D'aucuns pensent que la 'guerre du riz' a même pu jouer un rôle dans le renversement puis le 'rechoukage' au pouvoir dans les années 1990 de Jean-Bertrand Aristide.

'Chwal fi n anvayi jaden w' ...
La résistance actuelle aux 'pistaches yankees' a donc des antécédents solides.
Mais cela n'empêche qu'on doive se demander qu'a-t-on fait d'autre pour protéger notre marché ?
Qu'a-t-on fait pour empêcher le café haïtien de traverser clandestinement la frontière avec la République dominicaine pour sa torréfaction et sa distribution dans le monde sous l'étiquette du pays voisin.
Quant au cacao haïtien, on n'en entend jamais parler jusqu'à ce qu'il apparaisse à la télévision internationale sous le titre de 'meilleur cacao du monde, le cacao haïtien, préparé en République dominicaine' etc.
Pareille aliénation n'est imaginable nulle part !
En même temps que les produits agricoles dominicains en sont venus à constituer presque 90% de notre diète quotidienne.
Tandis que nous arrivons avec peine à leur vendre pour 50 millions, nos voisins réalisent jusqu'à 1 milliard en exportations annuellement chez nous.
Cependant beaucoup de ceux qui insistent pour maintenir l'interdiction d'entrée des produits dominicains par la frontière terrestre, ont investi hier dans leur excellente machine à production.
Bien sûr que le scandale est immense et peut avoir fini par menacer les intérêts même de ceux-là.
Alors si notre lutte a un sens, et que justifient plusieurs antécédents, mais a-t-elle un but ? Et si oui, quel est-il ?
L'intervention peut venir par des chemins détournés.
Un proverbe créole dit : 'chwal fi n anvayi jaden w, w ap rele fèmen bayè.'

Haïti en Marche 21 Avril 2016