PORT-AU-PRINCE, 28 Juin – Récemment quelqu'un opinait qu'il y a 4 pouvoirs : l'exécutif, le législatif, le judiciaire et ... les droits humains.
On aurait en effet cette impression vu que les organisations de défense des droits humains opinent, jugent et condamnent à longueur de journée les actes commis par l'un ou l'autre de ces pouvoirs (précisons) constitutionnels.
Quand un président de la république ou un autre membre du pouvoir commet un impair, il se fait sanctionner par les organisations des droits humains.
Quand le sénat vote une loi contre la diffamation (comme c'est arrivé récemment) qui viole le principe constitutionnel de la liberté d'expression, les droits humains sont appelés à la rescousse.
Quand la justice remet en liberté des accusés reconnus coupables avant qu'ils aient purgé leur peine, vite les droits humains.
Les droits humains ont donc une lourde tâche et surtout dans une société comme la nôtre où ces dérives-là sont très courantes.
Cependant la démocratie oblige que les droits humains eux aussi s'accordent avec le régime des libertés dans telle société et à tel moment de la durée.
On ne peut pas interpréter les droits humains comme parole d'Evangile, c'est-à-dire s'imposant aux hommes en tout temps et en tout lieu.
Après les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, le gouvernement américain a pris des dispositions qui changent passablement le déplacement des citoyens américains dans leur pays même.
Les fouilles corporelles minutieuses dans les aéroports n'existaient pas auparavant.
Ou encore en France où la police aujourd'hui peut se présenter à n'importe quel moment chez vous pour opérer des fouilles sans que vous puissiez évoquer la liberté individuelle, la France qui se dit la patrie des droits de l'homme.
Mais devenu aussi aujourd'hui l'un des pays les plus exposés à la menace terroriste islamiste.
En Grande Bretagne, le pays de l'habeas corpus, où les policiers ne portent jamais d'arme, voici que le gouvernement déploie l'armée dans les rues de Londres.
Cela après trois attentats qui ont fait de nombreux morts.
En un mot, quand une société se trouve menacée, il est normal qu'elle s'organise pour y faire face.
Et nous venons de parler de celles qui se considèrent les plus démocratiques.
Cela veut dire que en vue d'assurer la protection de toute la communauté, on peut être amené à reconsidérer certains principes de liberté individuelle.
Et voici la question : est-ce que Haïti ne se trouve pas en ce moment dans une telle situation ?
Est-ce que la communauté haïtienne n'est pas menacée ?
Qui oserait dire le contraire ?
Une capitale où depuis plus de 10 ans on abat les gens dans les rues comme des mouches.
Une ville de 3 millions et demi d'habitants dont les résidents (autant que les visiteurs) ont peur de mettre le nez dehors de jour comme de nuit.
Qui plus est, où l'on a découvert que des membres de la police nationale (le seul corps autorisé à porter des armes) ainsi que des juges, sont impliqués eux aussi dans les activités criminelles.
Cela bien sûr au détriment du seul citoyen livré pieds et poings liés sans aucune protection.
Est-ce une situation normale ?
Ici arrêtons-nous pour rappeler que Haïti depuis 1987 et la ratification de la nouvelle Constitution, a aboli la peine de mort.
Que savent les Haïtiens de l'abolition de la peine de mort ?
Y a-t-il eu une campagne pour exiger cette abolition ?
Y a-t-il eu une campagne d'éducation ensuite pour expliquer pourquoi nous pouvons abolir la peine de mort. Probablement parce que la société haïtienne est arrivée à un niveau de développement et d'intégration tel que nous pouvons nous le permettre ?
Et surtout parce que le système judiciaire haïtien est suffisamment fiable ?
Et parce que le système pénitentiaire garantit que les accusés reconnus coupables par un tribunal purgeront leur peine et ne se retrouveront pas dans la rue pour venir provoquer les policiers qui ont opéré leur arrestation ou autres ?
Or nous n'avons aucune de ces garanties actuellement en Haïti.
Au contraire le problème se gâte chaque jour davantage, l'insécurité prend de plus en plus de proportions ; cependant rien qui ressemble aux nouvelles dispositions que nous voyons prendre dans des pays comme ceux précédemment cités (Etats-Unis, France, Grande Bretagne) pour faire face à la nouvelle urgence.
A propos de l'abolition de la peine de mort, on se demande même si ce n'est pas une disposition qui a été imposée à Haïti par la communauté internationale ...
Puisque aucune des conditions n'est réunie jusqu'à ce jour pour son adoption. Bien au contraire.
Evidemment droits humains et abolition de la peine de mort vont ensemble !
Faut-il rappeler que la Jamaïque a mis fin à l'abolition de la peine de mort qu'elle avait héritée lorsque son indépendance a été reconnue par Londres (1962).
Mais à un moment où l'insécurité menaçait non seulement les citoyens du pays mais sa principale ressource économique qui est le tourisme, les Jamaïcains ont voté pour mettre fin à l'abolition de la peine de mort.
Par conséquent la liberté individuelle n'est pas une sorte de vérité révélée qui s'impose en tout temps et en tout lieu.
C'est un concept qui doit obligatoirement prendre en compte les conditions dans lesquelles le citoyen en question évolue.
Bien entendu nouveaux changements qui doivent être adoptés par la voie démocratique.
Sinon cette même conception absolue de la liberté peut se retourner contre celui qu'on entend protéger.
Parce que si la liberté, concept remontant au moins au 18e siècle, était une donnée absolue, eh bien on vivrait, en Haïti, toujours en esclavage !
Pourquoi avons-nous semblé interpeller les organisations de défense des droits humains au début de ce texte ?
Eh bien c'est parce que dans leur approche (puisque ce sont elles qui jouent ce rôle de gardien du respect des libertés citoyennes), il serait temps qu'elles commencent à prendre aussi en considération ces nouvelles réalités.
Outre qu'elles ont fini, peut-être sans le vouloir, par exercer une sorte de magistère sur les trois pouvoirs constitutionnels (exécutif, législatif et judiciaire).
Or accepter de jouer un rôle de super-pouvoir sans prendre suffisamment en compte les conditions du milieu, c'est faire soi-même aussi peu de cas du citoyen.
D'autre part, faut-il souligner aussi que partout où de nouvelles dispositions ont été prises pour lutter contre l'insécurité (Jamaïque), le trafic de drogue (Thaïlande), le terrorisme (Turquie), ces mesures sont bien accueillies par la population. Et ces gouvernements sont très forts. Au point qu'il faut commencer à surveiller qu'ils n'abusent de leurs nouveaux pouvoirs.
Seulement donc en Haïti qu'on est menacé d'être tué jusqu'au dernier, sans lever le petit doigt.
Parce que ce ne sont pas quelques mesures banales, d'ailleurs laissées à la seule police nationale, qui peuvent changer la donne.
Les trois pouvoirs restent les bras croisés.
Certains disent que c'est parce qu'ils ont peur d'être accusés ... de violations des droits humains.
Or la réalité, elle, est en constant mouvement. La réalité n'est pas statique, elle est dynamique. Et au bout du compte, ce sera ou une sorte de guerre civile (les citoyens se jetant les uns contre les autres) ... ou une dictature plus terrible que toutes celles que nous avons connues.
En un mot, le remède risque d'être plus terrible que le mal.
Et nous pensons que les mieux placées serait-ce pour ouvrir cette réflexion, ce sont les organisations des droits humains.
A condition qu'elles comprennent qu'il est bien temps ... de réajuster leur tir.
Mélodie 103.3 FM, Port-au-Prince