‘Peyi san bòday’

MIAMI, 6 Juin – ‘Ils n’en mourraient pas tous mais tous étaient frappés.’

Le même mauvais temps qui a frappé notre Haïti le week-end dernier l’a fait aussi en Floride et partout ailleurs dans la région … sauf que chez nous le bilan est effrayant.

42 morts, mais surtout dans un pays qui n’est plus un pays c’est la savane où plus rien n’existe, un pays qui s’en va à la mer corps et âmes. Et biens, s’il en reste. Bref ce que nos chers leaders politiques n’ont pas encore emporté ailleurs à leur propre compte.

Plus que les gangs assassins dissimulés à chaque coin de rue, ces inondations spectaculaires nous ramènent à notre vérité. En Haïti comme au pays le plus riche du monde que sont censés être les Etats-Unis, on doit s’occuper de son jardin, sinon vous mettriez les Haïtiens à la place des Américains qu’il n’y aurait plus de différence, entre les deux. Le problème est donc en nous autres Haïtiens, assez de taper sur le ‘blanc.’

Alors justement qu’on reparle du gaspillage des fonds Petrocaribe - milliards de l’aide vénézuélienne passés dans les caisses de l’Etat haïtien sans laisser beaucoup de traces, il faudrait cependant remonter jusqu’à la dictature Duvalier (il est vrai longue de 30 ans, 1957-1986) pour voir les derniers travaux sérieux de drainage et de réparation du système de canalisation souterraine sur grande échelle, réalisés à la capitale (qui ne se souvient d’un certain ‘ingénieur Petit’, ministre des travaux publics).


On se souvient aussi de ce discours télévisé de Baby Doc : ‘Structures surannées et défaillantes’ que l’opposition s’empressa de retourner contre le pouvoir mais qui fut suivi effectivement des plus grands travaux jamais entrepris à la capitale depuis peut-être les festivités du Bicentenaire de la fondation de Port-au-Prince en 1950.

Mais Duvalier renversé, commence la ‘bamboche démocratique’.

Le Morne l’Hôpital, dont la végétation protège la capitale en empêchant les flots de débouler de là-haut sur nos têtes, est mis en coupe réglée, charcutée, mis en menus morceaux, bref bidonvillisé.

D’abord par les plus grands, puis aussi par les petits, démocratie non !

Désormais à chaque averse, dans tous les quartiers, y compris les plus huppés de Pétionville, le supposé Wall Street local, on tremble.

42 morts, ce n’est qu’un avant-goût !

Passons maintenant dans le reste du pays. Pourquoi ce désintérêt pour les principales sources de la richesse nationale qu’ont toujours été les plaines de Grande Rivière du Nord, ou de Cavaillon, ou de Léogane, Cayes-Jacmel et même la Vallée de l’Artibonite hier le Delta du Nil haïtien, mais faut-il bien en assurer au moins l’entretien des berges et quelques autres ?
Or ce sont les mêmes qui sont transformés aujourd’hui en cimetière à ciel ouvert comme on voit dans les photos circulant sur nos agences d’informations multiples mais qui sont (entre parenthèses) on ne peut plus utiles dans des moments comme celui-ci – à la fois l’œil, l’oreille et la voix de la population, vox populi, bravo les enfants ?
Une seule réponse à cela, à un désintérêt aussi total et aveugle pour les infrastructures naturelles, natives, : c’est parce que le pays n’est plus intéressé dans la production agricole elle-même.

C’est l’Etat haïtien lui-même qui a tourné la page. Le ‘blanc’ a dit : cela irait mieux si on importait tout au lieu de produire nous-mêmes. Sur ce, le riz de la Vallée de l’Artibonite devient plus cher que celui importé de la Louisiane ou du Mississipi.
La semaine dernière encore l’AGD (administration générale des douanes haïtiennes) ne se glorifiait-il pas de rentrées record : plus de 12 milliards de gourdes en un mois.

Eh bien cela a aussi son prix. Combien de ce pactole est investi dans les infrastructures vivrières d’hier et qui - de par notre négligence, se sont transformées en torrents charriant la mort et nos riches deltas, en cimetière marin ?
Parce que l’Etat ignore que c’est son job. Pourquoi nous le payons. Et si chèrement.

Par exemple, le ministre des TPTC (travaux publics, transports etc.), notre ami l’ing. Rosemond Pradel vient de nommer un ‘task force’ pour voler au secours de la population livrée à elle-même au milieu du désastre laissé par seulement la première tempête tropicale de la saison qui n’en compte comme d’habitude pas moins d’une douzaine …

Mais le ministre n’a pas dit de quel outillage dispose ce task-force ?

Probablement aucun ou presque rien. A ce sujet on se souvient du défunt président René Préval qui, lors de son premier mandat (1995-2000), jouant un peu les militants aux pieds nus genre révolution culturelle à la Mao, allait partout dans le pays à la recherche des équipements de l’Etat (tracteurs, bulldozers et autres ‘mari salòp’) … Il en trouva effectivement plusieurs mais bien dissimulés au fond d’établissements privés avec surveillants bien armés etc, mais de plus ne servant à presque rien.

Un pays totalement privatisé, par quelques-uns. Bien entendu toujours avec la complicité du pouvoir en place.

Et encore quand pouvoir il y a.

Comme aujourd’hui.

Or tout patient qu’est le peuple haïtien, difficile de croire encore à l’histoire de l’Arche de Noé qui viendrait nous sauver du déluge … annoncé !

Marcus Garcia, Haïti en Marche, 6 Juin 2023