Combien de temps durera le choc de la mort de Dr Amédée Gédéon ?
PORT-AU-PRINCE, 23 Août – Le pays est sous le choc. Revenant de Pestel (Grande Anse) dans le cadre d’une mission médicale, l’ex-ministre de la Santé publique, Michaelle Amédée Gédéon, est morte d’un accident de la route.
Ce n’est pas l’accident qui l’a réellement emportée mais qu’on n’ait pas trouvé depuis les Cayes (la troisième ville du pays, à environ 154 kilomètres de la capitale) un seul centre médical en mesure de lui fournir les soins appropriés.
Après 9 longues heures à errer d’un point à un autre, l’accidentée a rendu l’âme à l’Hôpital Bernard Mevs, à la capitale, où quand elle est arrivée elle avait perdu tout son sang.
Le scandale est unanime. Mais personne ne devrait s’étonner car tout le monde connait le diagnostic médical d’Haïti.
Les bulletins-avertissement aux citoyens américains se déplaçant en Haïti, rappellent toujours que dans notre pays, il n’existe aucun recours en cas d’accident.
Revenons au séisme du 12 janvier 2010 qui fera pas moins de 150.000 morts.
Les premiers blessés sont transportés à un centre médical privé qui venait à peine d’être inauguré avec un matériel opératoire qu’on disait tout à fait up-to date. Son nom, qui ne s’en souvient : le CCCI.
Après s’être sacrifié pour les victimes du séisme, institution privée, le CCCI, totalement ruiné, a dû fermer ses portes.
On ne comprend pas qu’il n’ait point été aidé avec les milliards de l’assistance à la reconstruction post-séisme, dont les fameux fonds Petrocaribe.
C’est une ONG internationale, MSF (Médecins sans frontières) qui reprendra le flambeau.
Aujourd’hui on parle d’une fermeture progressive de sa mission en Haïti.
La particularité des fonds post-séisme n’est pas seulement d’avoir atterri dans des projets qui n’ont jamais été réalisés tandis que les milliards en question faisaient route on ne sait où, mais c’est d’avoir aussi ouvert la mode des éléphants blancs.
On entend ainsi de beaux hôpitaux construits par les meilleurs experts internationaux et livrés clef en main … mais qui ne servent jusqu’à présent à pas grand chose.
C’est le cas de La Providence (Gonaïves) qui a fait récemment les grands titres dans la presse canadienne, ou plus encore de l’Hôpital Saint Michel à Jacmel (Sud-est).
Etc.
A Port-au-Prince même, l’Hôpital Général (Hôpital de l’Université d’Etat d’Haïti) a été reconstruit, revu et largement agrandi. Coût : plusieurs dizaines de millions fournis par les Etats-Unis, la France et l’Etat haïtien.
Mais c’est actuellement le plus mal en point de tous les centres médicaux à la capitale. Tout est payé par le patient, jusqu’à une goutte d’alcool.
C’est d’ailleurs le sachant que l’ex-ministre de la santé, Michaelle Amédée Gédéon, qui n’avait semble-t-il pas perdu totalement connaissance, demanda à être conduite plutôt à Bernard Mevs, or qui est bien plus éloigné.
Haïti est définitivement le pays des contrastes les plus choquants.
Pendant longtemps, tous les cas de maladie, même pas les plus graves, devaient être conduits à l’Hôpital Général, à Port-au-Prince, désigné lors ‘hôpital de référence.’
Aujourd’hui, 8 ans après le séisme, grâce pour une bonne part à l’assistance internationale, voici dans plusieurs coins du pays des petits chefs d’œuvre dans le genre, munis de tous les moyens modernes : énergie solaire, salle chirurgicale en liaison directe par video conférence avec des experts à l’étranger etc.
Mais vous dit-on, d’abord le pays manque d’experts pour faire marcher tous ces beaux joujous.
Puis la vérité finit par éclater : la Santé publique en Haïti est sur la paille. Le budget consacré à la santé de la population est à peine plus élevé que celui … dont se paient nos parlementaires.
On n’a pas écouté les experts cubains qui conseillaient aux présidents haïtiens (Aristide, Préval, Martelly) de construire dans chaque commune des petits centres où seraient acheminés les cas les plus ordinaires, ce qui contribuerait à désengorger nos fameux hôpitaux de référence et à une amélioration des soins de santé et en même temps à une meilleure utilisation du budget de la santé publique.
Mais il faut compter aussi avec l’égoïsme professionnel.
Des étudiants en année terminale à la Faculté de médecine d’Haïti qui font tout pour empêcher leurs collègues diplômés à Cuba ou en République dominicaine de faire également leur stage en Haïti, alors que eux-mêmes, une fois leur diplôme en main, s’empressent de fiche le camp du pays pour aller travailler aux Etats-Unis ou au Canada en oubliant qu’ils ont fait leurs études aux frais du peuple haïtien … aux grandes cliniques et laboratoires privés qui ont menacé de fermer boutique si le président René Préval acceptait l’offre de feu le président du Venezuela Hugo Chavez.
Celui-ci avait offert de financer l’installation de laboratoires d’analyse dans tous les coins de notre pays parce que c’est ce qui coûte le plus cher à notre population.
La mission médicale cubaine apporterait aussi son concours.
Préval céda au chantage. Alors que les fonds Petrocaribe (les 3.8 milliards) connaitront le destin que l’on sait !
Et tout cela s’est passé à la barbe d’un pays qui se réveille toujours trop tard.
La disparition brutale de Dr Michaelle Amédée Gédéon morte pour quelques gouttes de sang (alors qu’elle a aussi été présidente de la Croix Rouge Haïtienne qui est aussi responsable du centre national de transfusion sanguine) est un choc pour plus d’un.
Mais qu’on ne se méprenne pas, nous avons la mémoire courte et nous sommes toujours en retard sur l’événement.
Mélodie 103.3 FM, Port-au-Prince