Gauchisation du discours politique

PORT-AU-PRINCE, 31 Juillet – Parmi les organisations politiques de la base qu’on entend de plus en plus sur le terrain ce sont les pro-PHTK c’est-à-dire liés au parti au pouvoir, le parti Tèt Kale, fondé par l’ex-président Michel Martelly.
Si le nom fait plutôt extrême-droite et même fasciste, dans le genre chemises noires des Mussolini, Hitler etc - les neo-nazi affectionnant aussi le style crâne rasé, par contre ces jours-ci les Parasol et autres PHATK se caractérisent par leur discours tiré vers la gauche. Au plan idéologique.
Difficile de les distinguer en un mot du genre de charabia débité traditionnellement par une certaine gauche qui semble depuis toujours s’enivrer de ses propres paroles.
Les voici (les pro-Martelly) qui abondent dans la perspective annoncée par le président de la république d’un gouvernement de consensus pour demander qu’il y ait trois ministres pour les handicapés, six pour les bidonvilles, sept pour les collectivités territoriales etc.
Histoire peut-être de jeter le trouble dans les esprits. En français cela s’appelle : pêcher en eau trouble. Prêcher le faux pour connaître le vrai.
C’est le temps des slogans passe-partout comme celui-ci qui a fait rage dans les années post-dictature Duvalier : fòk pèp la pran pouvwa a.
Et slogan auquel nous devons peut-être l’arrivée de Jovenel Moïse au palais national ! Du moins à en croire la première dame Martine Moïse, expliquant cette semaine dans une adresse à la nation, plus spécialement ses voisins de Pèlerin 5 dont les maisons ont été démolies parce que, selon le très ‘aba blabla’ commissaire du gouvernement de Port-au-Prince, maisons se trouvant trop près de celle du couple présidentiel.
Martine Moïse estime, vu aussi le silence profond qui caractérise son époux de président de la république depuis les derniers événements (le président a perdu la parole !) que c’est à elle de passer à l’action, de porter la culotte.
Et elle aussi de virer à gauche, en avant toute : moi et le président nous sommes des fils de la campagne, du pays profond, et c’est vous qui nous avez élus. Je suis une mère de famille (‘manman pitit’), comment pourrais-je demander de démolir la maison d’une autre ‘manman pitit’ ?
Oui, le ton est donné. ‘A goch mò a’.
Si les derniers événements, autrement dit les violentes émeutes du 6 au 8 juillet 2018, ont eu une première conséquence c’est cette gauchisation du discours politique.
En effet, c’est comme un coup de tonnerre dans un ciel sans nuage. Un peuple ivre de tout casser mais avec le sourire et qui tombe du ciel un beau jour et met tout en pièces.


Puis se retire comme il était venu. Ni vu ni connu.
Nos professionnels de la politique en reste baba. Du haut en bas. Des états-majors de partis aux groupuscules de la base.
Qui sont ces gens ?
Notre très plat commissaire du gouvernement de Port-au-Prince en ramasse quelques dizaines au hasard qu’il accuse de tous les maux mais qu’il n’ose présenter au tribunal tant son propre discours qu’il a voulu leur mettre dans la bouche à coups de massue, se révèle inconsistant.
En effet on n’avait pas vu un tel phénomène depuis le Moyen Age européen, au temps de la Grande peur, et que des hordes de paysans sans terre et sans chemise tombaient sur les villes qu’ils livraient à un pillage systématique avant de les incendier.
Exactement comme on a vu les 6, 7 et 8 juillet derniers.
Est-ce une renaissance des Piquets ?
Mouvement pareil connu dans l’Histoire d’Haïti mais en 1843. Aurait-on fait un pareil ‘back’, retour en arrière ?
Conclusion : on vient de loin !
Et comme nos ‘politiques’ ne sont pas très sophistiqués et que pour eux le monde se divise en deux parties : soit à droite, soit à gauche …
Eh bien puisque le nouveau phénomène est parti de la rue, quoique plus exactement de l’inconnue et ce n’est pas forcément la même chose – donc toute la barre à gauche.
D’autant plus que le catalyseur a été une décision d’augmentation irréfléchie, irraisonnée des prix du carburant à la pompe par l’administration Jovenel Moïse.
Celui-ci a été le premier à saisir la balle. Peuple je vous ai compris ! Aussitôt le chef de l’Etat promet un nouveau gouvernement et un gouvernement ‘inclusif’ c’est-à-dire plus en phase avec les desiderata manifestés à travers ces événements.
Comme si lui-même y avait compris quelque chose ! Comme si aucun d’entre nous avait compris ce qui est arrivé !
Le président a-t-il parlé plus loin que sa pensée ? A-t-il surestimé ses capacités de pouvoir ? On en a bien l’impression. Trois semaines plus tard, il est totalement bouche bée. Il n’en revient toujours pas.
Par contre si eux ne le diront pas, cependant c’est toute la classe politique qui est frappée de stupeur.
A commencer par les fameux groupuscules (pas la peine de dire de gauche puisque cela va de soi) qui sont eux aussi pris de court et ne savent quoi faire pour récupérer si l’on peut dire les retombées de ce coup de tonnerre.
Tout le monde sent que le baromètre politique a changé de cap mais quoi faire ? Comme dit une expression : faut se dépêcher de remettre sa voile dans le sens du vent mais quelle direction ?
Cela donne comme la journée de grève mi-figue mi raisin du lundi écoulé.
En temps ordinaire le pouvoir se serait réjoui d’avoir empêché la grève de prendre tout à fait, mais le pouvoir aussi est tout aussi méfiant. Qui sait aujourd’hui ? ‘Dèyè mòn gen mòn.’
Même au ministre de la communication, notre trop prolixe Guyler Delva, qu’on semble avoir passé une muselière.
Idem dans les états-majors de grands partis politiques. Grands non pas par leur nombre d’adhérents mais par l’âge de leurs dirigeants, parce que la démocratie interne, connais pas chez nous.
Or venus pour la plupart de la gauche et ayant accepté d’avaler tant de couleuvres avant de pouvoir se ranger aujourd’hui comme dirigeants responsables, parce que chez nous responsable est synonyme de droite (par exemple, les présidents de chambre de commerce, les évêques catholiques ou protestants, les écrivains et artistes et même journalistes honorés sont de droite, ben oui c’est comme ça …).
Mais c’est aussi tout ce monde aujourd’hui qui ne sait trop à quel saint se vouer. Ou plutôt quel discours adopter.
Alors personne ne bouge. Non, pardon oui, rien ne va plus, mais ne faites pas encore vos jeux !
Que le président laisse la barque nationale courir les plus grands dangers (car le danger on sait aujourd’hui ce que c’est et on a vu les résultats de nos yeux vus) en hésitant à choisir le nouveau gouvernement, en refusant de faire face aux adversaires du consensus, c’est-à-dire pour commencer ses propres alliés du parti au pouvoir, eh bien le plus grand complice du président aujourd’hui, ce ne sont pas les bénéficiaires actuels du pouvoir mais c’est davantage une classe politique totalement immobilisée (‘freezed’) tout simplement parce qu’elle n’est pas encore arrivée à comprendre ce qui s’est passé les 6, 7 et 8 juillet.
Elle n’était pas prête.
C’était pareil au moment de la chute de Baby Doc le 7 février 1986.
Nous en payons encore les conséquences.

Mélodie 103.3 FM, Port-au-Prince