Les origines de l’insécurité
MIAMI, 25 Avril – Cela commence par un mensonge. Un demi-mensonge : savoir que sous la dictature Duvalier la sécurité était totale.
Nous ne parlons même pas des victimes pour raisons politiques, non mais sous Baby Doc Duvalier l’insécurité était plutôt dissimulée.
Etant donné que sa cause principale est la pauvreté et que celle-ci a toujours existé, hier comme aujourd’hui, avec des pics comme c’est aujourd’hui le cas sous un pouvoir où, aujourd’hui comme hier, la corruption est la règle.
Insécurité dissimulée comment, direz-vous ? Eh bien sous Baby Doc (1971-1986), la capitale était divisée - quoique c’était pas la première fois il est vrai - entre le haut de la ville, allant cependant jusqu’au Bicentenaire (Cité de l’exposition où tout le monde continuait à aller se promener le dimanche soir) et disons jusqu’au niveau du bidonville de Cité Soleil (lors Cité Simone Duvalier).
On pouvait s’apercevoir de la différence les jours de fête nationale quand le bas peuple était appelé à courir dans les rues derrière le cortège présidentiel et que le président à vie envoyait des poignées de monnaie par les fenêtres du véhicule.
Puis une fois le parcours présidentiel terminé, la masse était refoulée dans ses pénates à coups de bâton.
Il en va ainsi jusqu’à la chute de la dictature le 7 février 1986.
Et que, selon un nouveau dicton, le peuple ait pris ‘son’ pouvoir !
Les barrières qui isolaient Cité Soleil et autres quartiers dits populaires (Fort-Dimanche, La Saline et autres) du haut de la capitale, ont alors sauté - automatiquement.
La grande masse se répandit partout. A la recherche du pain quotidien.
En premier lieu, dans l’ancien quartier commercial, le bas de la ville de Port-au-Prince.
Celui-ci commença aussitôt à déménager. D’abord les grandes bijouteries et les magasins d’articles de luxe.
Direction : Pétion-ville.
Jusqu’ici banlieue chic où les riches familles avaient leur résidence secondaire, Pétion-ville changea pour devenir ce qu’elle est aujourd’hui : un Port-au-Prince 2 ou principal chef lieu économique du pays.
Mais le changement ne faisait que commencer. Poussé par la nouvelle dynamique politique, et celle-ci caractérisée aussitôt par son instabilité. Et de plus en plus poussée, folle.
Les chefs militaires, succédant à la dictature, n’arrivent pas à s’entendre, ni avec les civils, ni même entre eux.
Après le règne des généraux, vient celui des ‘petits soldats’.
La masse longtemps contenue, comme on a vu, continue à gagner du terrain, au sens littéral. Du haut des montagnes dominant la capitale (depuis le fameux ‘Jalousie’, vivant souvenir de nos fanaux de Noel après le coup de pinceau fantaisiste d’un certain président Michel Martelly) jusqu’au bord de mer, partout apparaissent de nouveaux bidonvilles certains au nom presqu’ironique de Cité Libète, Village de Dieu etc.
Cependant le bourgeois (puisqu’il faut l’appeler par son nom) essaie de tenir bon. Les belles résidences du haut de Turgeau et de Croix des Prés sont hérissées désormais de tourelles et de miradors comme des châteaux forts.
Mais les élections de novembre 1987 tournent au massacre …
Reprises en décembre 1990, le président démocratiquement élu Jean-Bertrand Aristide est renversé peu après par l’Armée.
Celle-ci multiplie les massacres dans les quartiers populaires acquis au président renversé et reçu en exil à Washington.
Retour au pouvoir d’Aristide par une invasion militaire américaine. Et l’Armée d’Haïti démobilisée.
Notre bourgeois est le principal perdant.
Plus de protecteur officiel.
C’est l’entrée en scène des compagnies de sécurité privées. Celles-ci se multiplient comme champignons après la pluie. Ou plutôt la tempête, quoique pas finie, loin de là.
Car principale conséquence de toutes ces turbulences : le Port-au-Prince historique continue de disparaître.
De plus en plus étouffée par la chaine de plus en plus épaisse de bidonvilles. Et c’est aussi l’insécurité qui continue de triompher.
Les compagnies de sécurité deviennent elles-mêmes de moins en moins crédibles. Leurs agents sont attaqués en plein jour par les premiers éléments qui deviendront les gangs armés d’aujourd’hui.
Mon Dieu, que faire ?
Mais rien ne va plus. Après une légère accalmie sous le premier mandat du président René Préval (1996-2001), ça repart avec le second mandat d’Aristide qui sera victime d’un nouveau coup d’état (février 2004) mais cette fois ses partisans n’ont pas été pris au dépourvu comme en 1991, selon les renseignements américains ces derniers auraient fait un terrible massacre dans les beaux quartiers n’était la nouvelle intervention des troupes américaines, suivies de celles d’une mission onusienne de maintien de la paix (Minustah).
Malgré plusieurs opérations musclées conduites à Cité Soleil, place forte Lavalas (nom du mouvement pro-Aristide) par les troupes onusiennes, eh bien justement c’est ainsi que les futurs gangs d’aujourd’hui sont nés et ont élargi leur terriroire, en se réfugiant dans différents autres endroits de la capitale.
Comme aujourd’hui Grand Ravin, Ti-Bois, Carrefour Feuille, Cité de Dieu, et quantité d’autres.
Port-au-Prince fut d’office divisé par l’occupant onusien en diverses zones dont la plus grande partie de la capitale - sauf le carré officiel - en zones rouges donc à éviter à tout prix.
Les gangs se frottent les mains. Autant de gagné. Continuant à élargir leur zone d’influence.
Mais ce n’est pas la fin du cycle car jusqu’ici au moins les bandits sont censés être encore, être toujours l’ennemi à abattre, rien d’autre qu’un bandit.
Puis c’est le coup fatal.
Le 12 janvier 2010, Port-au-Prince est frappé par un violent séisme qui fit plus de deux cent mille morts et détruisit aux trois-quarts la capitale et ses environs.
Aujourd’hui on peut déduire que les seuls gagnants sont les gangs … qui établirent leur royaume sur les décombres.
Mais il y a pis, c’est surtout le début aussi de leur alliance avec une autre engeance aussi dangereuse et terrible qui s’appelle … la classe politique.
En échange de leur aide pour semer la peur dans les rangs opposants et pour encadrer les masses sur le chemin des urnes, les gangs ont pris le système en otage.
Plus récemment ce sont les policiers ‘syndiqués’ qui semblent avoir obtenu leur concours dans leur mouvement de rébellion.
Bien entendu les compagnies de sécurité privée ont dû fermer les unes après les autres. Donc les acteurs économiques ont dû aussi se plier.
Et voilà ! Comme on dit, la boucle est bouclée.
Aussi aujourd’hui personne qui peut croire que le pouvoir veut, ni peut vraiment mettre fin au cauchemar des gangs armés.
Marcus-Haïti en Marche, 25 Avril 2020