A qui un président haïtien doit-il remettre sa démission ?

PORT-AU-PRINCE, 29 Octobre – Jovenel Moïse, crie-t-on de partout, doit remettre sa démission.
Mais à qui le président de la République doit-il remettre sa démission ?
La Constitution haïtienne prévoit-elle cette éventualité ?
Oui, tout élu peut remettre sa démission. Quant au président de la République, il sera aussitôt remplacé par le plus ancien juge de la Cour de cassation, ou par le vice-président de cette cour ou par le juge le plus ancien.
Par conséquent si Jovenel Moïse décidait de partir, il n’aurait aucune difficulté.
Mais l’intéressé a dit qu’il n’a pas l’intention de démissionner, malgré la demande pressante provenant de pratiquement tous les secteurs du pays.
Cependant ces derniers n’ont pas l’intention de renoncer non plus à leur requête.
Donc à qui Jovenel Moïse doit-il remettre sa démission ?
Comme le président refuse de céder aux appels de la nation, faut alors une force supérieure pour le convaincre de partir.
Et comme le peuple souverain ne semble pas avoir l’intention d’enfoncer les portes du palais national pour aller l’en tirer comme cela se faisait au temps ‘lontan’ (traduisez, jadis) ...
Alors quelle peut être cette troisième force (nous n’avons pas dit ‘troisième voie’ !) ?
La communauté internationale ?
Doucement ! Revenons un peu en arrière. Que nous dit l’Histoire ?
Le président à vie Jean Claude Duvalier n’a pas attendu que l’ambassadeur américain vienne au palais national le prier de partir, Baby Doc sentant le moment venu, a remis sa lettre de démission à une commission civilo-militaire avec à sa tête le commandant en chef de l’armée, le général Henry Namphy.


Malgré tout le côté historique de l’événement, ce fut peut-être la démission présidentielle la plus facile comparée à toutes les autres qui vont suivre.
En effet le général-président Henry Namphy fut renversé par un coup d’Etat pour être remplacé par le général Prosper Avril ; le président Leslie Manigat sera également victime d’un coup d’état militaire ; Avril devra être forcé hors du palais où il voulait passer encore un peu de temps, disait-il, pour ‘refroidir le fauteuil’ ; la présidente provisoire Ertha Pascale Trouillot manqua de peu d’être victime d’une tentative de coup d’état orchestrée par l’ex-chef des tontons macoutes Roger Lafontant …

Pour une histoire politique mouvementée difficile de faire mieux …

En effet ce n’est toujours pas fini. Le président Jean-Bertrand Aristide, premier mandat, subira le coup d’état de septembre 1991, atterrira à Washington, reviendra dans les bagages des Marines envoyés par le président Bill Clinton pour reprendre son fauteuil mais juste le temps d’organiser les élections qui porteront René Préval au pouvoir …
Retour d’Aristide succédant à Préval mais nouveau coup d’état en 2004 envoyant à nouveau Aristide en exil.
Pour une histoire politique mouvementée difficile de faire mieux. Seul René Préval qui a eu la chance de compléter ses deux mandats comme on sait. Aujourd’hui il est mort (tranquillement chez lui !).
Mais entre-temps comment s’est passée à chaque fois la démission puisque c’est le sujet qui nous intéresse aujourd’hui, c’est le sujet à nouveau à l’ordre du jour. N’en déplaise à notre actuel occupant du palais national.

Une transition qui n’en finit pas de rebondir …

Oui seul le départ de Baby Doc qui finalement aura été le mieux orchestré dans toute cette histoire comme dit l’autre d’une transition qui n’en finit pas … de rebondir.
La plupart des acteurs sont partis sans signer de lettre de démission, sans demander leur reste, que ce soit les Namphy, Manigat, Aristide 1 puisque ce sont des coups d’état militaires donc avec la même veste de fonction sur le dos ou comme dit notre savoureux créole ‘rechany si l kò.’ Exécution !
Nous ne savons pas si le général-président Prosper Avril avait signé une lettre de démission, par contre Aristide 2, oui.
Lettre que ce dernier aurait remise au chargé d’affaires de l’Ambassade des Etats-Unis (un certain Luis Moreno) venu le quérir chez lui à Tabarre, pour le conduire directement à l’aéroport international Toussaint Louverture.
Le contenu de la dite lettre n’a jamais été rendu public.
Cependant la Constitution en vigueur prévoit et même organise, comme on a dit plus haut, la démission du chef de l’Etat.

Appel au plus ancien juge de la Cour de cassation, Me Boniface Alexandre, et le Premier ministre Yvon Neptune sollicité de rester en fonction …

Eh bien justement, comme si tout avait été constitutionnel lors du deuxième renversement du président Aristide, sauf qu’il y a été contraint bien sûr (situation de quasi guerre civile entre les partisans du pouvoir Lavalas et l’opposition conduite par le Groupe des 184 ; entrée en scène de paramilitaires sous les ordres d’un ancien policier, un nommé Guy Philippe ; grosse campagne par des organes de presse acquis à l’opposition etc).
Cependant pour remplacer Aristide 2, Washington s’interposant, eh bien cela se déroula comme prévu par la Constitution : appel au plus ancien juge de la Cour de cassation, Me Boniface Alexandre, et le Premier ministre Yvon Neptune sollicité de rester en fonction pendant le temps constitutionnel jusqu’à l’arrivée d’un nouveau premier ministre parachuté de Miami, Mr. Gérard Latortue.

Ce serait la solution la plus simple pour Jovenel Moïse …

Rappelons aussi que le président Michel Martelly, à la fin de son mandat en 2016, et comme les résultats des présidentielles de 2015 avaient été rejetés par l’opposition, accepta sans trop de difficultés d’enlever l’écharpe de son cou pour la passer au cou de son successeur provisoire élu par le Parlement, le sénateur Jocelerme Privert.
Ce serait la solution la plus simple pour le président Jovenel Moïse s’il concédait au vœu quasi unanime pour remettre sa démission. Passer par le parlement, lors d’une cérémonie à l’Assemblée nationale où Jovenel Moïse passerait l’écharpe au cou du président de la Cour de cassation ou du vice-président ou du plus ancien juge de cette cour, comme le stipule la Constitution.
Ensuite ou garder l’actuel premier ministre ou en nommer un remplaçant mais sans cérémonie, au pied levé puisque ce serait de toutes façons un gouvernement provisoire.
Cependant cela paraît trop beau pour être vrai.
Ce serait trop facile comme solution, avec notre histoire faite de bruit et de fureur (merci MacBeth).
De plus il n’est pas dit que cette solution corresponde au plan de l’opposition, pardon des oppositions.
Aussi force est de revenir à nos moutons.
D’un côté, Jovenel Moïse refuse de bouger.
De l’autre l’opposition ne peut aller le chercher … à cause de l’international.
Le président d’Haïti est protégé par des ‘security guards’ dépêchés directement de Washington.
Donc au mieux la solution, telle que cela apparaît pour le moment, ne peut intervenir sans passer par un ‘troisième larron’.

Le ‘troisième larron’ ou il refuse de se laisser convaincre, ou il a ses propres plans ! …

L’opposition doit donc convaincre le troisième larron (pour ne pas dire les Etats-Unis eux-mêmes) que Jovenel Moïse doit partir et que ce dernier ne fait qu’enfoncer le pays dans le néant par sa présence inutile.
Et c’est ce dilemme qui fait encore trainer Jovenel Moïse au palais national.
Le ‘troisième larron’ ou il refuse de se laisser convaincre, ou il a ses propres plans !
Mais si Jovenel Moïse voulait éviter que la malédiction nationale ne le poursuive toute sa vie ainsi que toute sa descendance (‘bizawèl ak tatawèl’), il reste la solution de convocation de l’Assemblée nationale …
Sinon on devra admettre que seul Baby Doc, tout président à vie qu’il était, a su faire mieux … dans notre cohorte de ‘avida pouvoir’ !

Marcus-Mélodie 103.3 FM, Port-au-Prince