Crise ou une tempête dans un verre d’eau !

MEYER, 27 Juillet – Tout le long de la route Cayes Jacmel – Marigot (Sud-Est) des chantiers à la chaine. Tous exécutés par des compagnies de construction dominicaines.
Consolidation des berges, rénovation totale de la baie de Marigot et de la route attenante, mises à mal par les dernières tempêtes, dont l’année dernière Isaac et Sandy, toutes confiées à des entreprises dominicaines.

Et le travail semble apparemment satisfaisant.
On retourne à Jacmel, le chef-lieu du département. Ce sont encore des firmes de la république voisine qui ont la haute main sur la construction de la grande promenade que doit devenir Congo-Plage, dans la baie de Jacmel, un ensemble qui devrait comprendre un centre de conventions, un grand hôtel de 100 chambres, places et fontaines publiques etc.
Tout cela administré par une société semi publique où des particuliers et autres intérêts privés seront en copropriété avec l’Etat.

Les chantiers vont redémarrer …
Il reste encore des sceptiques. Mais ceux directement intéressés, tels les propriétaires de la vénérable Rue du Commerce, se montrent assez optimistes.
Nous ne parlons pas des travaux dans la baie de Marigot (route et berge) qui sont presque en phase d’achèvement.
Par contre, ceux de Congo-Plage qui avaient démarré tambour battant, ont marqué une halte de plusieurs semaines.


Est-ce le conflit entre Haïti et la République dominicaine ?
Non, nous assure-t-on. Il s’agissait d’un problème de réajustement au niveau du coût. La plupart de ces contrats ont été signés sous le gouvernement précédant l’arrivée au pouvoir de Michel Martelly.
Mais tout a été réglé et les chantiers vont à présent redémarrer.
Pareil sur la Nationale Sud (Port-au-Prince – Gressier en direction de Léogane).
Ce tronçon, fortement endommagé par le séisme de janvier 2010, est en réparations depuis plusieurs mois.
Mais soudain, plus rien. Que des trous profonds, les dents des roches et la poussière.
Et quelques engins lourds abandonnés ça et là.

Tap-taps et BB (!!!) …
Mais tout cela n’est rien à côté de l’indiscipline du conducteur haïtien. En tête les tap-taps et, tenez-vous bien, les ‘BB’ (immatriculation favorite, murmure-t-on, des proches du pouvoir) qui n’entendent pas rester en ligne, seule façon de franchir les obstacles.
Le week-end dernier, beaucoup ont profité du carnaval de trois jours pour aller visiter les plages du sud du pays.
Embouteillages monstre. Pas moins de deux heures pour en sortir.
Mais on nous assure que les travaux vont reprendre. Et il s’agit, vous avez deviné, toujours de compagnies dominicaines.
Pour mieux comprendre, c’est une même société qui coordonne toutes ces firmes de construction. Et donc qui négocie avec l’Etat haïtien.
Partant, tout s’arrête en même temps. Et tout reprend idem. On va bien voir.

La crise. Quelle crise ? …
En tout cas, rien à voir avec la crise. Quelle crise ?
Existe-t-il une crise entre Port-au-Prince et Santo-Domingo ?
On serait tenté de le croire si l’on s’en tient à la première page des journaux dominicains.
Le gouvernement haïtien a gelé l’importation des œufs et poulets dominicains. Pour raisons sanitaires, maintient ce dernier.
Plus récemment des articles en polyéthylène ont été placés également en interdiction, officiellement pour cause de dégradation de l’environnement.
Outre que les déchets plastiques haïtiens vont polluer aussi les plages des îles voisines : Cuba, la Jamaïque qui s’en plaint incessamment. Et aussi la République dominicaine. Trois pays dont le tourisme est un secteur important de leur économie. Comme Haïti rêve aujourd’hui de redevenir.

Faisons le calcul …
Les exportations du secteur plastic vers Haïti sont estimées (chiffres de Santo Domingo) à quelque US$78 millions l’an.
Les œufs, poulets et autres produits de basse-cour à environ US$40 millions.
Or le total des exportations dominicaines pour Haïti s’élèvent (toujours statistiques du pays voisin) à près de US$2 milliards.
Donc la querelle actuelle ne représente pas plus qu’une goutte d’eau.
Pourquoi alors tout ce bruit ?
Voilà. En économie de marché, cent millions de dollars c’est pas rien.
Ensuite le secteur de l’alimentation est un complément indispensable à l’industrie touristique.
Tertio, Haïti est un marché sûr parce que de notre côté nos gouvernements se sont laissés prendre au jeu et ont abandonné toute velléité de production nationale.
Au point que si les autorités haïtiennes actuelles mettent l’accent sur la qualité des produits importés du pays voisin, c’est parce que les producteurs dominicains seraient tellement sûrs de leur emprise sur le marché haïtien qu’ils n’hésiteraient pas à nous refiler leurs ‘rossignols’, autrement dit le grade le plus bas (en créole ‘merilan’).

Remettre en question tout le package commercial …
Mais alors que la querelle des œufs et du polyéthylène est ce qu’on retient, la question du côté haïtien est déjà passée à une vitesse supérieure. Et c’est surtout ce qui doit inquiéter les décideurs du pays voisin.
Haïti semble vouloir remettre en question tous les rapports commerciaux entre les deux pays. Nous précisons bien : seul le commerce qui est en cause.
D’autant plus que les associations haïtiennes dudit secteur en profitent aussi pour formuler leurs griefs.
On parle de ‘traitement inégal fait par le pays voisin aux produits d’origine haïtienne qui se voient refuser toute possibilité de commercialisation ‘conformément aux règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC)’ et font l’objet de pratiques commerciales déloyales comme l’impossibilité d’obtenir les certificats réglementaires, des pratiques de dumping. Et surtout la multiplication des marchés binationaux (plus de 50 du côté dominicain) et qui fonctionnent à sens unique au profit des produits dominicains’ (source Forum Economique du Secteur Privé haïtien).
Jusqu’à des campagnes de dénigrement menées contre certains produits haïtiens. Par exemple dans le domaine des boissons. (Exemples à l’appui).
On comprend pourquoi après en avoir agité la menace, la partie dominicaine a d’elle-même renoncé à rechercher l’avis de l’Organisation mondiale du commerce.
Haïti aurait davantage à revendiquer devant cette dernière.

300 millions perdus en évasion fiscale …
De fait, le gouvernement haïtien a introduit subrepticement un nouvel élément dans la discussion : les pertes enregistrées par Haïti en recettes fiscales à cause du marché informel qui représente aujourd’hui près de 40% du commerce global entre les deux pays (dixit l’Ambassadeur d’Haïti Fritz Cinéas dans ses interventions dans les médias de Santo Domingo).
Lors du dernier sommet Petrocaribe à Managua (Nicaragua), le président Michel Martelly et le Premier ministre Laurent Lamothe ont fixé ce manque à gagner pour le budget public haïtien à environ US$ 300 millions annuellement.
Et ils ont laissé comprendre que Haïti cherche à éponger cette perte.
De quelle façon si ce n’est en reprenant un meilleur contrôle du commerce binational.
Pour l’ambassadeur Cinéas : Haïti n’a rien contre les produits dominicains et les mesures prises ne correspondent à aucun intérêt économique caché comme le proclament certains secteurs de Santo Domingo, mais le gouvernement a pour devoir de protéger la santé des citoyens (entre parenthèses, alors qu’un groupe de 409 touristes britanniques viennent de gagner une indemnisation de près de 2 millions de dollars américains pour avoir, en 2007, souffert d’intoxications alimentaires pendant un séjour dans un hôtel de la République dominicaine. Substance incriminée : la salmonelle, qui, rappelez-vous, avait été mise également en cause lors d’une précédente interdiction par Haïti du salami, une variété de saucisses).
Une information qui tombe mal pour nos voisins dans la querelle actuelle.

Haïti sous pression de ses bailleurs internationaux …
Pour finir, on s’étonne que la partie dominicaine, apparemment si avisée économiquement, se montre si peu pratique dans le différend actuel avec Haïti.
D’abord les produits incriminés (œufs et poulets, ainsi que le polyéthylène) ne pèsent, mathématiquement, pas lourd à côté d’un chiffre d’affaires global de US$2 milliards.
De son côté, Haïti est sous pression de ses bailleurs internationaux pour lutter contre l’évasion des ressources fiscales. Aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur.
Or il est désormais universellement connu que au moins US$300 millions disparaissent du fait de la trop grande extension du commerce informel avec la république voisine.
D’autre part cela n’est rien à côté de la profondeur du contentieux entre Port-au-Prince et Santo Domingo si jamais on décidait réellement de jouer cartes sur table : exploitation absolument sans contrepartie d’une main d’œuvre illégale soit, mais taillable et corvéable, puis habilement renvoyée au coin de l’humanitaire (en même temps que constituant l’arme de chantage idéale à l’occasion comme aujourd’hui) mais même l’immigration légale (cas des étudiants ainsi que des petits commerçants haïtiens) dont nos voisins changent les règles à volonté et au gré de leurs intérêts de l’heure.
Haïti reste toujours impuissante.

Nullité des gouvernants haïtiens successifs …
Un proverbe créole dit : ce sont les sots qui s’oublient et bien imbéciles n’en profiteraient pas !
La nullité des gouvernants haïtiens successifs dans la gestion des rapports entre nos deux pays a fait tellement illusion chez nos voisins que cela semble leur avoir tourné la tête à tout jamais.
La partie haïtienne fait bien d’attendre qu’ils se reprennent.
D’autant que les rapports économiques proprement dits sont au beau fixe (dossier des firmes de construction exposé plus haut) et qu’il ne s’agit au fond que d’une tempête dans un verre d’eau.

Haïti en Marche, 27 Juillet 2013