Jusqu’où doit-on se protéger contre les maladies importées ?
MEYER, 14 Juin – Juste retour des choses. Jusqu’ici nous étions le principal propagateur de toutes les maladies et épidémies (malaria, kwashiorkor, etc), voici soudain que c’est nous qui devons dresser un cordon sanitaire contre le reste de l’univers, et pour commencer notre plus proche voisin.
Vendredi on apprend que 5 cas de grippe A H1N1 ont été décelés à Anse-à-Pitres (S.E.), une ville frontalière avec la République dominicaine voisine où sévit cette maladie qui y a déjà provoqué plusieurs morts.
La grippe A H1N1 vient de très loin. Apparue voici quelques semaines dans le Golfe arabique (Arabie Saoudite, Koweit etc), en peu de temps elle atteignait l’Europe (France, Italie …) et pour déboucher en République dominicaine, un grand pays touristique recevant plusieurs millions de visiteurs l’an.
Il y a quelques années, c’est la grippe aviaire (H5N1) qui nous arrivait par le même biais.
D’où confusion. D’abord les autorités haïtiennes s’empressent de raviver une ancienne mesure d’interdiction des produits avicoles (œufs, poulets vivants etc) que nous importons en grande quantité du pays voisin. Pas moins de 20 millions de dollars américains l’an.
Santo Domingo proteste vigoureusement. La grippe aviaire a été éradiquée depuis la dernière épidémie (2008). L’OPS (Organisation Panaméricaine de la santé) en fait foi.
Redirectionner la machine de propagande …
Première constatation : Haïti ne se tient pas suffisamment renseignée sur l’état de la situation sanitaire dans l’île (les deux pays partagent la deuxième plus grande île de la mer Caraïbe, que nos voisins appellent Hispaniola et nous, Kiskeya, son nom indien d’avant l’arrivée de Christophe Colomb en 1492).
Après que furent détectés, le vendredi écoulé, les 5 cas de grippe A H1N1 dans cette ville frontalière (Anse-à-Pitres, voisine de la dominicaine Pedernales), à nouveau il faut re-directionner la machine de propagande préventive pour alerter notre population de ce nouveau mal inconnu et encore plus mortel que la grippe aviaire (H5N1). Et qui nous vient elle aussi du dehors.
Syphilis et cholera …
En plus du cholera arrivé en 2010 dans les bagages des forces de maintien de la paix onusiennes. Bien entendu sans faire part ! En effet, les Nations unies refusent jusqu’à présent d’accepter cette brutale intrusion, cette délicate paternité. Repéré en octobre 2010, le cholera a déjà tué plus de 8.000 de nos compatriotes.
Le monde est petit. Les Espagnols de Christophe Colomb ont importé la syphilis qui a décimé plus d’aborigènes que leurs fusils.
Mais les avions vont encore plus vite que les caravelles. Nos voisins de ‘la partie de l’Est’ se vantent de leurs performances touristiques. Ils veulent cette année passer la barre des 10 millions de visiteurs.
Mais le prix à payer ce sont toutes ces maladies jusqu’ici inconnues dans la région. Et que nous ne pouvons éviter nous non plus. Par contrecoup. A notre corps défendant.
Un coût à payer …
Le progrès (économique) que nous espérons atteindre nous aussi, que nous appelons nous aussi de nos vœux a donc son coût. En effet, le gouvernement Martelly-Lamothe consacre beaucoup d’efforts particulièrement à la relance du tourisme haïtien qui eut son heure de gloire dans les années 1950 et 1970.
Or justement cette crise de grippe H1N1 versus grippe aviaire H5N1 nous fournit une occasion de faire le point à ce sujet.
D’abord nous ne sommes pas suffisamment en phase.
Le voisin dominicain pousse les hauts cris en nous voyant recourir à la même mesure d’embargo sur ses œufs et poulets, mais plus encore à cause de la mauvaise image que cela lui fait car c’est justement pourquoi il a fait l’effort depuis la dernière épidémie (2008) de se libérer de la grippe aviaire, avec à l’appui l’attestation des organisations internationales (dont l’OPS/Organisation Panaméricaine de la Santé).
Pour Santo Domingo la grippe aviaire est une page tournée. Car il y aura encore, et toujours, d’autres maux à venir, auxquels il faut faire face. Dont cette méchante grippe H1N1. C’est le prix du progrès.
Croyance aux maléfices ! …
Aussi question, Haïti a-t-elle les moyens de ses ambitions ?
Peut-on espérer une relance touristique avec le quasi dénuement qui caractérise nos conditions sanitaires ?
La réponse, objectivement, c’est non.
Le Département d’Etat américain publie tous les 6 mois ses fameux Conseils aux voyageurs (‘Travel warnings’) recommandant la plus grande prudence dans le cas d’Haïti.
A chaque fois revient la même observation : il n’existe pratiquement pas de secours d’urgence dans la plus grande partie du pays. Le moindre accident de la route ou autre peut être fatal.
Entre parenthèses, inauguration d’un nouveau centre à Corail (Grande Anse) baptisé Hôpital Nestor Kirchner (du nom du défunt président de l’Argentine).
Voire quant il s’agit de la prévention de ces maladies tout à fait inconnues dans nos contrées. Plus d’une année après sa soudaine apparition, on croyait dans certaines parties d’Haïti que le cholera était le résultat de maléfices. Non seulement inconnu, mais tuant si instantanément.
Alors que c’est une simple question de propreté la plus élémentaire.
Manque de culture socio-sanitaire …
Or ces maladies modernes (SRAS, nouveau coronavirus, grippe A H1N1 etc) requièrent encore plus de sophistication du fait que ce ne sont pas seulement les structures sanitaires (hôpitaux, équipements …) qui comptent que l’éducation, une culture socio-sanitaire.
Et un peuple qui en est à attribuer le VIH-Sida ou le cholera à des diableries quelconques, n’est de toute évidence pas encore prêt à épouser (favorablement) cette nouvelle réalité.
La relance touristique ne sera donc jamais effective si on n’accorde pas à cette nouvelle dimension tout l’intérêt qu’elle requiert.
Haïti en Marche, 14 Juin 2013