Martelly franchira-t-il la ligne rouge ?

PORT-AU-PRINCE, 31 Juillet - Le responsable de l'International Crisis Group pour le continent (Amérique du Nord et du Sud), Mark Lewis Schneider, a rappelé au pouvoir haïtien, particulièrement le président Michel Martelly, la nécessité de tenir les élections sénatoriales et communales avant la fin de l'année 2013 pour ne pas jeter le pays dans une nouvelle crise et dont l'un des effets les plus redoutables serait la 'suspension de l'aide bilatérale et multilatérale.'
A défaut d'organiser les élections pour le renouvellement du tiers du sénat, élections dues depuis 2011, un second tiers arrivera en fin de mandat en janvier 2014. Le Sénat avec 10 membres seulement ne sera plus fonctionnel.
On prête au président Martelly l'intention d'attendre tranquillement cette échéance pour pouvoir gouverner le pays par Décrets. Sans redevance envers le Législatif. Ni envers personne.
L'International Crisis Group est une organisation non-gouvernementale internationale et sans but lucratif spécialisée dans la prévention et dans la résolution des conflits. Et capable de mobiliser une action efficace de la part des décideurs politiques dans le monde entier.
Pour Marck Schnider, vice-président de l'International Crisis Group (ICG), si Michel Martelly adoptait ce chemin que lui dictent certains conseillers, pour se mettre en position de diriger le pays par Décrets, non seulement il violerait son serment constitutionnel mais il 'franchirait la ligne rouge.'

Une ligne rouge pour les bailleurs et les diplomates …
L'ICG conseille à Martelly de ne pas céder à cette tentation.

" C'est une ligne rouge pour les bailleurs et les diplomates et ils ont dit au président Martelly de ne pas la traverser " a déclaré le responsable de l'International Crisis Group lors d'une conférence le jeudi 25 juillet écoulé au Centre d'études stratégiques et internationales à Washington.
En effet, les Etats-Unis, par la voix du vice-président Joseph Biden, et plus récemment l'ambassadeur du Canada en Haïti ont répété au président haïtien que leurs gouvernements respectifs, Washington et Ottawa, sont prêts à apporter leur concours pour la tenue des élections avant la fin de l'année.
Mais que veut dire l'expression : franchir la ligne rouge, que l'on rencontre si souvent aujourd'hui dans le langage politique et diplomatique.
Lors de la dernière Assemblée générale des Nations unies, le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou débarquait avec tableaux et diagrammes pour démontrer que l'Iran avait franchi la ligne rouge dans sa présumée entreprise pour se doter de la capacité nucléaire.


Cette ligne rouge signifie qu'au-delà, une action militaire est nécessaire contre l'Iran, espérait Netanyahou.
Mais le censeur principal, les Etats-Unis, a estimé que tel n'est pas encore le cas et que le temps des négociations n'est pas encore épuisé.

 

Franchir le Rubicon …
Chat échaudé craint l'eau froide, dans le cas du conflit syrien, Israël est le premier à douter de la volonté de Washington, eh oui, à franchir la ligne rouge pour armer décisivement les forces d'opposition syriennes quand bien même la France affirme que le président Bachar Al-Assad a utilisé des armes chimiques, probablement du gaz sarin, malgré l'avertissement du président Obama.
Cependant l'expression (sinon la chose) ne date pas d'aujourd'hui.
Jules César franchissait le Rubicon, cours d'eau au-delà duquel il envahissait la République et instaurait sa dictature à Rome.
En 1941, à la veille de l'invasion de la France par l'Allemagne nazie, la ligne rouge s'appelait Ligne Maginot.
Cependant alors que les troupes françaises, rassemblées rapidement, se gonflaient devant la Ligne Maginot, un ensemble de constructions militaires datant de la Première guerre mondiale (1914-18), les Allemands surprirent tout le monde en empruntant le passage des Ardennes, estimé naturellement infranchissable.
Mais la ligne rouge avait déjà été franchie par Hitler lorsque l'Allemagne envahit la Pologne et que Londres et Paris ne pouvaient plus rester en dehors du conflit.

Ligne purement imaginaire …
Pendant la guerre du Vietnam, la ligne rouge, côté américain, c'était le Golfe du Tonkin.
Le prétexte des Etats-Unis pour débarquer les premiers Marines au Vietnam restera dans l'Histoire sous le nom de : l'incident du Golfe du Tonkin, quand des vedettes nord-vietnamiennes auraient attaqué un destroyer américain ... Franchissant la ligne rouge.
Quoique dans beaucoup de cas, ligne purement imaginaire. Inventée après-coup par un agresseur.
Dans tous ces cas-là on suggère que la guerre n'est pas immédiate et aurait été précédée de démarches, disons, diplomatiques … comme aujourd'hui avec l'Iran des Ayatollah.

'Koupe tèt, boule kay' …
Quoique pour Napoléon, la diplomatie ne soit que la poursuite de la guerre par d'autres moyens et il se félicitait même de pouvoir y gagner beaucoup plus qu'en exposant ses chers grognards.
C'est ainsi que Toussaint Louverture tomba, hélas, dans le panneau. Mais Dessalines ne donna pas cette chance à ses ennemis. Lui ne connaissait qu'une seule recette : 'koupe tèt, boule kay'.
Quant au président Michel Martelly, s'il s'est entouré d'adeptes du Duvaliérisme (et consorts) c'est peut-être parce qu'il aspire à opposer la même résistance que le régime Duvalier aux démarches internationales l'appelant à abandonner la présidence à vie et à tenir des élections.
Alors que si Baby Doc y avait consenti, on ne serait pas aujourd'hui aussi en retard sur la République dominicaine voisine dont le président Joaquin Balaguer, à la même époque, acceptait de laisser arriver au pouvoir un candidat de l'opposition, Antonio Guzman (PRD).

Un pays de daltoniens …
Michel Martelly franchira-t-il la ligne rouge (per fas et ne fas, autre expression chère à Papa Doc) en refusant de tenir les élections avant la fin de l'année créant par là automatiquement une situation où il pourra diriger par Décrets.
Sauf que toutes ces explications sont encore loin de suffire à faire comprendre aux Haïtiens ce que signifie franchir la ligne rouge. Dans une capitale de daltoniens (la maladie du daltonisme qui se caractérise par la confusion des couleurs), où tous les piétons se précipitent quand la lumière est au vert, et les automobilistes au rouge.
L'Histoire dans notre pays restera-t-elle (autre expression chérie par les adeptes du Duvaliérisme) un perpétuel recommencement ?
Et dont on ne finit de constater les conséquences infinies.

Marcus - Mélodie 103.3 FM, Port-au-Prince